Entre "pressions" et "déconsidération", ces médecins responsables des centres de vaccination crient leur ras-le-bol

17/02/2021 Par Aveline Marques
A la demande de l'ARS et de la préfecture, les médecins et infirmiers libéraux vendéens ont monté des centres de vaccination en quelques jours, prenant sur leur temps libre et sur les fonds propres des CPTS ou des MSP auxquels les centres sont rattachés. Mais après avoir "massivement" ouvert les créneaux d'injections, ils ont dû faire machine arrière, faute de doses disponibles. Pris sous le feu croisé des patients mécontents, des "injonctions" de l'ARS et des demandes pressantes de Doctolib, les neuf médecins responsables des centres de vaccination vendéens dénoncent, dans une lettre ouverte, la communication du Gouvernement. 

Le Dr Cyrille Vartanian a beau faire et refaire les comptes, le résultat est sans appel : avec une livraison de vaccins anti-Covid oscillant entre 72 et 96 doses par semaine, "on est bloqués, on ne va pas pouvoir ouvrir de nouveaux créneaux de primo-injections avant deux mois". Deux mois, c'est le temps qu'il faut pour injecter les deux doses du vaccin Pfizer aux quelque 400 personnes âgées de plus de 75 ans mises sur liste d'attente au centre de vaccination de Noirmoutier-en-l'île, après avoir été "déprogrammées" faute de doses en janvier. "On se sentait responsables vis-à-vis d'eux, on leur a promis de les reprogrammer", explique le médecin généraliste, responsable du centre. 

 

"A la va-vite" 

Le centre de Noirmoutier est l'un des neuf centres de vaccination Covid ouverts dans le département de Vendée, à la demande "expresse" de l'ARS et de la préfecture début janvier. "Tout s'est fait à la va-vite", témoigne le Dr Vartanian, qui exerce à la maison de santé de l'île et enseigne à la faculté de médecine de Nantes. Monté en six jours, le centre a vacciné son premier professionnel de santé le 10 janvier et sa première personne âgée de plus de 75 ans le 18 janvier. "Alors qu'on pensait avoir quinze jours, trois semaines devant nous, on a eu véritablement une injonction pour mettre ça en place au plus vite, insiste le médecin. Avec le recul, on se demande si ce n'était pas un peu de la com', pour répondre à la demande du président de la République."  

Car après avoir "ouvert grand les vannes" sur Doctolib à l'appel des autorités, et injecté une première dose à environ 600 patients, très vite les vaccins sont venus à manquer. Les rendez-vous de primo-injections suivants ont dû être déprogrammés et il est depuis impossible de réserver un créneau en ligne. La situation n'est pas meilleure au niveau départemental : avec une dotation prévisionnelle ne dépassant pas les 7.000 doses par semaine, les 75.000 Vendéens de plus de 75 ans ne seront pas protégés "avant...

cinq mois", ont alerté les neuf médecins responsables des centres du département dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, Jean Castex et Olivier Véran, la semaine dernière. "Et si on regarde les simulations de l'ARS pour le mois et demi qui vient, on n'a pas de montée en puissance exponentielle. Si on reste sur le même rythme, au bout de 28 jours on ne peut faire que du rappel", déplore le Dr Vartanian. Et ces dotations, proportionnelles à la population du territoire, ne prennent pas en compte les personnes extérieures au département, venues se réfugier dans leur résidence secondaire. "On ne peut pas refuser la vaccination à ces gens-là, ils sont éligibles de par leur âge, on ne va pas leur demander leur taxe d'habitation", lance le Dr Vartanian.  

 

"Arrêtons de communiquer sur des livraisons massives que nous n'avons pas" 

Mais ce qui met les médecins vendéens en "colère", c'est surtout la contradiction entre le discours de l'exécutif, qui prétend pouvoir vacciner l'ensemble des volontaires d'ici à la fin de l'été, et ce qu'ils vivent sur le terrain. "Arrêtons de communiquer sur des livraisons massives que nous n'avons pas, arrêtons de jeter le trouble et le doute chez des personnes déjà en situation de fragilité", écrivent les responsables de centre, qui signalent par ailleurs que "contrairement aux annonces faites dans les médias, de nombreux résidents en Ehpad n'ont pas reçu la première injection" en Vendée. A l'Ehpad de Noirmoutier, par exemple, la vaccination ne devrait pouvoir démarrer que la "semaine prochaine", d'après le Dr Vartanian, sans qu'aucun cluster n'ait retardé le processus. "La population est dans l'incompréhension, déplore ce dernier. Ils ne sont pas à l'aise avec l'outil informatique, alors souvent ils téléphonent ou se déplacent. Ils sont furieux d'avoir été déprogrammés. On a peur que les gens se démotivent." 

Et alors que les doses manquent, les médecins disent subir des "pressions" et "injonctions" de la part de l'ARS et de Doctolib pour proposer de nouveaux créneaux au plus grand nombre. "Mon assistante est appelée 5 à 6 fois par jour par Doctolib, affirme le responsable du centre de Noirmoutier. On nous dit que c'est un ordre gouvernemental, qu'on n'est pas dans les recommandations, qu'il faut ouvrir des plages au nom...

du principe d'égalité, alors qu'on ne peut pas faire plus inégalitaire pour des personnes âgées qu'une plateforme où l'on demande un mail et un numéro de téléphone portable", remarque le Dr Vartanian. Lors d'une réunion avec l'ARS et la préfecture, le généraliste a demandé aux autorités de jouer carte sur table. "Je leur ai dit : 'Dites-nous de ne pas rappeler les gens déprogrammés, de ne pas prendre des gens hors du territoire'. Ils m'ont répondu qu'il en était hors de question, ce n'est pas le discours porté." 

 

"C'est du bénévolat" 

Pris entre deux feux, les professionnels témoignent d'un sentiment de "déconsidération". Ils n'ont pourtant pas ménagé leurs efforts pour monter les centres rapidement, sur leur temps libre et avec les "fonds propres" des CPTS et maisons de santé sur lesquels ils sont appuyés. Secrétariat, accueil, coordination des équipes, outils informatiques… "Un centre de moyenne importance, c'est 4.000 à 5.000 euros de frais de fonctionnement par mois", relève le généraliste. Si les médecins et infirmiers libéraux qui vaccinent peuvent être rémunérés à l'acte ou à la vacation, quid des autres ? "Je passe 1h30 à 2 heures par jour à tout coordonner, à faire une revue de la littérature sur les différents vaccins. Je considère que c'est du temps que je prends sur mon activité universitaire, mais la plupart du temps, c'est sur mes loisirs, c'est du bénévolat", témoigne le Dr Vartanian. Alors que le Gouvernement a mis "un pognon de dingue" sur le dépistage, les centres de vaccination, eux, ne voient "rien venir", déplore le généraliste. Les Vendéens espèrent que leur lettre ouverte permettra de débloquer la situation. 

 

Réduire la "fracture vaccinale" 
La fronde a démarré en Seine-Saint-Denis, mais de nombreux départements seraient concernés. Constatant que 30% des créneaux de vaccination étaient pris par des Parisiens aux dépens des personnes plus précaires et moins connectées de leur département, les maires des communes du 93 accueillant des centres de vaccination ont entrepris de réserver des rendez-vous aux personnes fragiles directement repérées par les médecins et les centres communaux d'action sociale (CCAS), sans passer par Doctolib, révèle Libération. Après leur avoir enjoint d'ouvrir des plages de rendez-vous sur la plateforme, le préfet de Seine-Saint-Denis a annoncé le 15 février la mise en place d'un "d'un dispositif expérimental de repérage des personnes les plus à risque", qui seront orientées dans un centre de vaccination supplémentaire dédié à Drancy/Bobigny.
De son côté, le syndicat MG France a réclamé l'application d'une règle "de trois parties", garantissant un accès équitable aux prochaines doses de vaccin mises à disposition : "une partie pour le public, accessible par les plateformes de rendez-vous sur Internet ; une partie réservée aux personnes repérées par les services sociaux et les CCAS; une partie proposée par les médecins traitants et par les professionnels de santé de proximité." "Si l’âge est le principal facteur de risque de formes graves, on sait désormais que la mortalité est multipliée par deux chez les personnes socialement défavorisées", souligne le syndicat dans un communiqué du 16 février. Or, "force est de constater que ce sont les plus instruits et les mieux informés qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu lors de la première vague de vaccinations Pfizer et Moderna", relève MG France. 
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