Du médecin traitant à l’équipe de santé référente : l’Académie de médecine en faveur d’un médecin assembleur

12/04/2023 Par K.R.

"Quels rôle et place du médecin généraliste dans la société française au XXIe siècle ?" Dans un avis publié ce mardi, l’Académie nationale de médecine formule des propositions en vue de redessiner la fonction de praticien de proximité "dans cet univers en transformation profonde". Fort de ses 64 auditions de professionnels de santé, d’étudiants en médecine, d’élus et d’associations de patients, le groupe de travail, par la voix de son rapporteur Guy Vallancien, insiste sur le rôle d’assembleur du médecin généraliste au sein de l’équipe soignante.     Confronté à des évolutions technologiques, professionnelles et sociétales dans un "univers sanitaire en pleine transformation", le médecin ‘bon à tout faire’ disparaîtra-il, écrasé sous la pression des autres professionnels de santé aidés par l’IA et les patients informés ? Ou deviendra-t-il le spécialiste de la synthèse, l’assembleur de la multitude d’actes réalisés par les autres spécialistes et soignants et restera-t-il le confident du patient dans l’organisation de son parcours de soins personnel ?" C’est la question qui a motivé cet avis de l’Académie de médecine, publié ce mardi 11 avril. Comme "la répartition des rôles des professionnels qui s’effectuait au sein d’une hiérarchie reposant sur le principe du monopole diagnostique et thérapeutique relevant de la responsabilité du seul médecin se trouvent aujourd’hui remises en cause avec l’émergence de plusieurs innovations" (voir ci-dessous), l’Académie de médecine note qu’"aujourd’hui et encore plus demain, c’est une équipe de soins qui assurera la prise en charge des patients". Car "dans cet univers en transformation profonde" – féminisation de la jeune génération de médecins, réduction du temps de travail pour mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée, plébiscite pour l’exercice collaboratif entre médecins et autres professionnels, mise en place d’autres modes de paiement… le médecin généraliste doit "faire profondément évoluer son exercice sans se perdre dans une conception dépassée de son action". Adopté lors de la séance du 14 février dernier par 72 voix contre 15 (et 16 abstentions), l’avis s’est appuyé sur 64 auditions réalisées par un groupe de travail* pour formuler trois scenarii concernant le rôle et la place du médecin généraliste : > Sa disparition sous la pression des autres professionnels de santé. Un "schéma rejeté par toutes les personnes interrogées", note l’Académie ; > L’éclatement du métier de généraliste qui, en fonction des besoins ou des préférences, deviendrait pédiatre, gériatre, gynécologue, andrologue ou autre spécialiste ; > Son évolution vers une fonction globale : de synthèse, en véritable assembleur de la multitude d’actes réalisés en partage avec les autres spécialistes et soignants ; de confident personnel du patient au sein de son parcours de soins ; de prévention pour la population générale.   Si les deux premiers scénarii "n’ont pas été retenus car ils exposeraient à une prise en charge désordonnée des patients, les différents acteurs réalisant leurs prestations sans véritable plan diagnostique et thérapeutique coordonné", les personnes entendues au cours des auditions ont, "à l’unanimité", insisté sur "la nécessité de maintenir le rôle central de coordonnateur du médecin généraliste". Cette fonction, "symbole de la qualité de la relation humaine dans un esprit de confiance du patient", a été particulièrement soulignée par les jeunes internes. Ainsi, le troisième scénario "privilégie le rôle du médecin généraliste au sein d’une équipe référente en matière de soins et de prévention avec sa vision à la fois panoramique et profondément personnelle de l‘état de santé physique, mental et social des personnes qui se confient à lui" Pour le groupe de travail, le médecin généraliste doit rester le médecin de premier recours pour les pathologies courantes, "même si ce rôle sera partagé au sein de l’équipe référente de santé". Il deviendra le "spécialiste de la synthèse diagnostique et thérapeutique" et ne traitera pas seulement le symptôme et la maladie. Il conservera son rôle "d’interlocuteur privilégié" du patient dans une prise en charge globale au sein de l’équipe référente de santé et interviendra également en amont dans la prévention aux accidents et affections évitables, comme en aval dans la réhabilitation avec les professionnels médicosociaux. Ainsi, "l’organisation de l’exercice médical inclura plus de temps pour discuter et expliquer au patient ce qui lui arrive et le chemin à suivre après avoir effectué la synthèse des actes réalisés par les autres professionnels". Dès lors, pour que le médecin puisse assurer toutes ces missions, l’Académie précise qu’il faudra évaluer les actes – et la responsabilité qui en découle – à transférer à d’autres professionnels afin que le généraliste concentre son action "sur la synthèse et la gestion coordonnée des soins, notamment des cas complexes", tout en conservant sa relation avec le patient de "conseiller intime, de guide médical". Ainsi, le praticien "agira en véritable médecin interniste ambulatoire, remplissant le rôle d’assembleur des prestations à mener auprès de chaque patient", précise l’avis. Autres questions à aborder : quel rôle devra-t-il jouer dans la prévention sanitaire ? Comment s’inscrire dans la réhabilitation au sein d’un parcours médico-social ? Comment se répartira la responsabilité entre les professionnels ? Quelles études l’étudiant devra-t-il entreprendre afin de répondre à ces défis, et quelle formation complémentaire proposer aux médecins déjà installés ? Quels sont les modes et niveaux de rémunération qui correspondront le mieux à la reconnaissance de son engagement et de sa responsabilité ? Quelle place le généraliste tiendra-t-il dans l’organigramme sanitaire de demain ?   Un temps plus long de consultation "La priorité des priorités (…) consistera à bâtir un système autour de la santé de la population et des besoins des patients et non pas de la seule maladie, attribuant aux différents professionnels une autonomie d’exercice maximale dans un cadre collaboratif renforcé, tout en définissant clairement les limites de leurs compétences et de leur responsabilité", recommande l’avis. Ainsi, chaque professionnel de santé est autonome dans ses décisions et ses gestes mais s’inscrit dans un plan défini en commun par l’équipe locale référente. Le médecin doit promouvoir et assurer l’intégration des données, synthétiser la prise de décision et observer la qualité des résultats tout au long du parcours de soins. "Mon espace santé" servira à tous les professionnels intervenant auprès du même patient afin de permettre une fluidité dans l’accès aux informations médicales de l’équipe soignante "qui manque encore souvent aujourd’hui".   La mission du médecin généraliste réclamera un temps plus long de consultation qu’il ne pourra récupérer qu’en appliquant certaines mesures :
● Une réduction "massive" des tâches administratives et du remplissage de la majorité des certificats : des assistants administratifs gèreront les rendez-vous et le recours aux examens d’imagerie, de biologie et autres investigations dans le cadre d’une vraie "conciergerie sanitaire" dévolue à l’équipe soignante. Ils traiteront aussi les documents réclamés par les organismes payeurs ;
● Le transfert à d’autres professionnels de santé (selon leurs compétences) de certains actes diagnostiques et thérapeutiques d’affections aiguës bénignes et de suivis des pathologies chroniques stabilisées, du remplissage des certificats en tous genres, de l’aptitude à la pratique du sport au décès. L’Académie cite l’expérience de l’ARS Bretagne qui autorise, en accord avec l’URPS, 50 pharmaciens à diagnostiquer et prescrire pour 13 pathologies bénignes. Loin de déclasser le praticien, un tel transfert d’actes "valorisera sa pratique dans une démarche holistique de médecin assembleur et non plus de médecin uniquement traitant" ; ● L’usage des algorithmes et des moyens numérisés pour faciliter l’adoption de la bonne option diagnostique et du juste choix thérapeutique… à condition d’en détecter les biais et erreurs possibles ;
● Le temps médical intègrera des actions de prévention et de réhabilitation, débordant largement le champ du seul soin, faisant du généraliste "le joueur au centre du terrain qui passe les ballons". Ainsi, il coordonnera les interventions des autres soignants "sans prédominance de son pouvoir sur les autres professionnels engagés dans une même action collaborative à responsabilité partagée" ; ● Un exercice mixte pour permettre une meilleure coordination entre les mondes sanitaires, incluant des contacts plus étroits avec la PMI, la médecine scolaire, la médecine du travail, la médecine du sport et les Ehpad ;
● Des consultations avancées multisites organisées dans les petites communes en périphérie de la MSP, pour lesquelles médecins et personnels soignants se déplaceraient à tour de rôle la semaine soit dans les mairies elles-mêmes ou dans des "bus santé" cofinancés par les communes. En complément, des cabines de téléconsultation seront installées dans les pharmacies locales, conseille l’avis.   Ainsi, "sur la base d’une moyenne de 4,5 à 5 jours d’exercice par semaine, répartis en demi-journées en collaboration avec ses collègues, le médecin généraliste pourrait suivre une file active médiane de plus de 1 500 patients en partage d’actes avec les autres soignants". Et organiser des plages dédiées aux nouveaux patients et à d’autres activités médicales. Des centres de soins non programmés (CSNP) ou immédiats ayant déjà ouvert leurs portes dans plusieurs territoires, l’Académie recommande d’organiser "la coopération entre ces centres et les MSP qui n’assureraient pas de permanence des soins afin d’offrir un accès fluide et coordonné aux patients". L’avis propose également, étant donné que les infirmières hospitalières de premier recours sillonnent déjà en ambulance certains territoires pour assurer des soins non programmés et des petites urgences (mini-SMUR infirmier), d’établir un "bilan de l’efficience de ces innovations et leur harmonisation loco régionale" afin de combler l’absence de permanence des soins dans les MSP les week-ends, d’assurer une prise en charge rapide des patients, de faire disparaître le recours aux urgences hospitalières pour des motifs qui ne le nécessitent pas.   "1 médecin généraliste pour 1 350 habitants" Aujourd’hui, la faiblesse du paiement à l’acte ne répondant plus au financement des multiples missions du praticien, une combinaison de rémunérations, "négociée avec les syndicats", semble le mieux adapté, précise l’Académie. Cela repose sur une part de capitation (nombre de patients suivis), de forfait journalier (activité clinique), de salaire (activité d’assemblage et de coordination avec les autres professionnels et les tâches administratives restantes), et de paiement à l’acte "qui ne persisterait que pour certains gestes techniques non répétitifs type petites urgences (pansements, attelles, sutures) ou autres". Pour l’Académie de médecine, on s’orienterait ainsi vers une rémunération correspondant aux diverses missions du médecin et mieux adaptée à l’exercice actuel et futur du généraliste que l’accumulation actuelle de compléments d’actes. Et "compte tenu de l’ampleur de son action et de sa responsabilité, le montant de la rémunération du médecin généraliste devra au moins rejoindre celui de la moyenne des spécialistes techniques". De plus, des aides pérennes à la création et au fonctionnement des MSP et centres de soins doivent être prises en compte par les ARS, les régions, les communes et inter-communes. Et "chaque territoire s’organisera comme il l’entend sans la nécessité d’un canevas rigide, mais à partir d’orientations nationales indicatives", note le groupe de travail. Parallèlement, un congrès annuel de ces structures de proximité permettra l’échange des initiatives à développer comme l’analyse des erreurs à ne pas répéter. En matière de formation, les études de médecine toutes spécialités confondues devraient être profondément révisées, estime l’avis de l’Académie de médecine, "tant dans leur durée trop longue que dans les matières enseignées et dans les stages pratiques". Ainsi, la sélection ne devrait plus reposer "sur les seules sciences dures" mais prendre en compte les qualités humaines et organisationnelles. De plus, dès la première année de formation, l’étudiant doit être confronté au développement des outils de simulation, à la création de protocoles diagnostiques algorithmiques reposant sur l’evidence based medicine et la multiplication des stages sur le terrain en proximité, tout comme les notions de santé publique, les bases des sciences numériques, les principes d’organisation d’une MSP ou encore le management. L’orientation vers la médecine générale et les autres spécialités pourrait s’effectuer dès la fin de licence, avec la possibilité d’une réorientation en 2e année de master, conseille l’Académie. Les formations spécialisées transversales (FST) permettront aux étudiants d’acquérir des compléments de compétences, "notamment en pédiatrie, gériatrie et gynécologie médicale dont le besoin est criant". Combien de médecins faut-il former ? En prenant en considération le chiffre approximatif de 50 000 médecins pratiquant à plein temps et exclusivement la médecine générale (hors MEP) pour 68 millions d’habitants, "il faudrait un médecin généraliste pour 1 350 habitants", estime l’Académie de médecine. Et compte tenu d’une amplitude horaire de travail de 40 à 45 heures par semaine et non plus de 56 h ou plus comme actuellement, il faudra augmenter le nombre d’étudiants pour assurer une couverture suffisante sans aller forcément jusqu’à le doubler, vu la croissance d’activité des autres professionnels de santé. Pour ce qui est du développement professionnel continu, 10 journées par an seront dévolues à l’information sur les progrès réalisés dans les différents domaines des spécialités, des normes et règlements de santé publique et de l’avancement des procédures numériques. Elles seront effectuées en alternance avec des formations en présentiel et en distanciel.   Une position centrale d’assembleur Pour l’Académie de médecine, la fonction de médecin généraliste doit "impérativement être promue et valorisée". Le médecin de proximité doit jouer le rôle d’assembleur au sein de l’équipe soignante, qui deviendra référente de la prise en charge des patients tout au long de leur parcours de soin. C’est l’évolution que promeut Guy Vallancien, rapporteur de ce groupe de travail, afin d’adapter le système de santé qui ne serait plus uniquement centré sur les seuls soins. "L’exercice partagé et coordonné des professionnels s’impose comme la seule politique raisonnable à promouvoir", insiste l’Académie nationale de médecine qui précise que les médecins généralistes et les autres soignants partageront de plus en plus leurs expériences et savoir-faire au sein de ces équipes référentes regroupées dans des structures dédiées comme les maisons de santé. Le médecin doit maintenir une "position centrale, véritable praticien de proximité au service de la population locale dans une prise en charge holistique, à la fois médico-scientifique et humaine singulière". Son exercice doit consacrer une part importante à la prévention primaire et secondaire, en lien étroit avec les autres personnels soignants "dans le respect des compétences et de la responsabilité médicolégale de chacun". L’Académie de médecine en est convaincue : "Pilier de l’équipe de santé au service de la population comme de la personne malade, blessée ou handicapée dans sa spécificité, le médecin généraliste tiendra donc une place essentielle au sein d’une équipe référente dans le cadre d’un système de santé adapté à son siècle."


Innovations et évolutions
 
"La répartition des rôles des professionnels qui s’effectuait au sein d’une hiérarchie reposant sur le principe du monopole diagnostique et thérapeutique relevant de la responsabilité du seul médecin se trouvent aujourd’hui remises en cause avec l’émergence de plusieurs innovations" Lesquelles ? L’intelligence artificielle, "capable de poser un diagnostic et de proposer une thérapie depuis son ordinateur personnel grâce à la puissance des algorithmes" ; la télémédecine qui "décloisonne l’espace relationnel avec le patient" et "déjoue la notion de proximité en tant que seule garante de la qualité" ; "l’exercice des IPA et des [infirmières] Asalée, l’action au quotidien des pharmaciens, des sages femmes, des kinésithérapeutes, des podologues, des ergothérapeutes des orthoptistes, orthophonistes et autres professionnels du soin" qui facilitent la prise en charge globale des patients dans le cadre de protocoles et qui "se développent rapidement malgré la persistance sur le terrain de certaines résistances corporatistes" ; le rôle des patients partenaires et des associations de patients "qui participent à une meilleure information" ; ou encore l’émergence des MSP, des CPTS, des URPS et des centres de soins non programmés (CSNP) qui "participent à la mutation profonde d’un exercice médical qui reposait essentiellement sur la disponibilité et le savoir-faire du médecin de famille local"… Ainsi, note l’Académie de médecine, "aujourd’hui et encore plus demain, c’est une équipe de soins qui assurera la prise en charge des patients".
 
 
* Composé de 11 membres de l’Académie nationale de médecine, ce groupe de travail a réalisé pendant deux mois 64 auditions de professionnels de santé (médecins, pharmaciens, sages femmes, infirmières, kinésithérapeutes, podologues), d’anciens ministres de la Santé, de présidents des Ordres nationaux et de syndicats, d’universitaires, d’étudiants en médecine, d’internes, de directeurs d’hôpitaux et de cliniques, de responsables des URPS et CPTS, de directeurs d’ARS, d’assureurs et de mutuelles, d’élus nationaux et locaux, d’associations de patients et de médecins généralistes exerçant en France et à l’étranger.
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