12 heures par jour, 40 actes : ce n'est plus possible

23/06/2018 Par Catherine le Borgne
Face à une France qui vieillit, des comptes sociaux encore dans le rouge, et une population qui nécessite de plus en plus de soins et réclame des médecins à domicile alors que leur nombre diminue, il faut une nouvelle organisation des soins primaires. Comment, qui va payer, comment convaincre ? Ces questions ont été au cœur du colloque organisé par MG France, sur le modèle économique de la médecine générale, demain.

Ce jeudi, le Dr Françoise Guillemot était sur scène, aux côtés de l'infirmière qui partage son quotidien depuis trois ans, près de la frontière Suisse. Une vidéo décrit l'organisation de ce cabinet de médecine générale où les deux femmes exercent seules (30 h par semaine au cabinet pour l'infirmière salariée) dans un cadre de délégation de compétences. Le Dr Guillemot travaille beaucoup – elle voit entre 35 et 40 patients par jour – charge qu'elle ne pourrait supporter sur le long terme si l'infirmière qui l'épaule et qu'elle salarie ne prenait pas sa part du travail, dans une salle d'examen attenante. A elle l'interrogatoire initial, le remplissage de dossiers, la prise de tension, la surveillance du poids, les électrocardiogrammes, des pansements, la rédaction de l'ordonnance (visée et signée par le docteur), les conseils diététiques et de prévention et toutes les autres tâches administratives… le binôme semble opérationnel et surtout, efficient.

Militante de MG France, le Dr Guillemot a tout noté et chronométré dans un mémoire, aidée par une économiste, car elle voulait mesurer ce que valait cette nouvelle organisation du point de vue économique. "En 2016, 60 % de mes charges sont liées au salariat, mais j'ai une augmentation de 45 % de recettes, et de 25 % de mon bénéfice comptable. De plus, j'ai un vrai plaisir à travailler, la prise en charge des patients est de meilleure qualité et j'ai pris plus de vacances qu'en 2015. C'est donc efficace", a-t-elle relaté, regrettant presque de n'avoir pas exercé ainsi pendant 20 ans, avant que ses deux associés partent à la retraite et la laissent seule. Revers de la médaille, le Dr Guillemot travaille en moyenne 12 heures par jour et se doit de posséder un grand local, car il faut avoir deux cabinets opérationnels en parallèle.   Avant elle, le Dr Céline Le Bihan avait raconté en vidéo une expérience en maison médicale, qui n'avait pas bien marché, victime de son succès. Faute de place pour accueillir de nouveaux médecins séduits par ce mode d'organisation, l'expérience avait tourné court.  "Le plus ? Le plaisir de travailler ainsi. Le frein ? L'argent pour payer le personnel", avait résumé cette jeune généraliste. Avant de se lancer, l'infirmière du Dr Guillemot s'était rendue sur place, chez le Dr Le Bihan, pour prendre ses marques. Et surtout, noter les pièges à éviter. Des expériences qui semblent difficile à généraliser car, comme l'a résumé le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, "travailler 12 heures par jour, c'est pas normal. Ces coopérations doivent s'inscrire dans un cadre supportable par le médecin. Il faut des moyens; à l'hôpital, les spécialistes ont tous les assistantes. Il faut y arriver pour les cabinets médicaux en ville, dans un cadre de droit commun. Je crois en la capacité d'innovation des professionnels", a-t-il martelé.  

Cette nouvelle structuration de la ville et de l'organisation hospitalière, c'est ce à quoi rêvent le ministère de la Santé et la Cnam. Pour inciter à pousser les lignes et innover, le gouvernement a fait promulguer l'article 51 de la loi de Financement de la Sécurité sociale 2018, qui permet à la ville ou à l'hôpital d'expérimenter presque sans limites des innovations tarifaires ou organisationnelles. Un appel à manifestation d'intérêt a été lancé, qui prendra fin le 31 juillet prochain, pour sélectionner les volontaires, chargés ensuite de co-écrire le cahier des charges avec les pouvoirs publics. MG France compte d'ailleurs présenter un dossier, "ce qui est lourd et long pour des libéraux qui n'ont pas les moyens administratifs des hospitaliers", a fait remarquer Jacques Battistoni au passage. Secrétaire générale des ministères en charge des Affaires sociales, Natacha Lemaire a expliqué que les projets pouvaient émaner soit des acteurs de terrain, soit des pouvoirs publics, et que deux initiatives nationales sont actuellement ouvertes : modalités de l'intéressement collectif pour un groupement d'acteurs et rémunération collective pour une équipe de soins. L'autre pôle, c'est bien évidemment la Cnam. Car de cette structuration, l'Assurance maladie en rêve elle aussi. "Il faut qu'on y arrive, c'est l'enjeu décisif des prochaines années. La structuration, c'est la clef qui ouvre beaucoup de portes alors que notre offre de soins est déséquilibrée et fragmentée", a constaté Nicolas Revel, le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie. Il faut travailler prioritairement sur le couple organisation et financement".   10-15% de médecins militants  A l'heure actuelle, a-t-il confié, les professions de santé sont majoritairement dans un cadre de paiement à l'acte et c'est la médecine générale qui est le plus innovante en cette matière. "On peut trouver un modèle économique presque à retour constant", a-t-il déclaré sous les murmures de la salle, en se référant au modèle du Dr Guillemot, "mais il faut amener des éléments supplémentaires, c'est vraiment la priorité". Ce qui veut dire, pour l'assurance maladie, investir directement dans tout ce qui permet de mieux optimiser le temps médical dans le cabinet, et plutôt dans un cadre de regroupement. "Il faut aussi travailler dans un cadre territorial, par la mutualisation des ressources pour la coordination des parcours complexes". Aujourd'hui, tous les professionnels de santé bénéficient du forfait structure; "il faut le faire monter en charge", a assuré Nicolas Revel rappelant que la caisse allait mettre 100 millions d'euros de plus sur la table l'année prochaine et encore 50 millions l'année suivante.  "Il nous faut définir les cibles pour rendre ce forfait plus efficace et ensuite, financer les structures, comme l'ACI (Accord conventionnel interprofessionnel) pour les maisons de santé pluriprofessionnelles". Par ailleurs, un cadre conventionnel pour les CPTS (communautés professionnelles territoriale de santé), sur le modèle de celui régissant les maisons de santé pluridisciplinaire, semble inévitable à court terme pour Nicolas Revel, car le financement par le FIR (fond d'action régionale) "n'est pas construit pour porter et pérenniser des éléments de financement structurants". Mais la question qui se pose immédiatement est d'une autre nature. Elle concerne la capacité de conviction du gouvernement, de la caisse ou des syndicats, d'attirer vers ces nouveaux modes d'organisation, une part majoritaire de la profession, au-delà du noyau des 10 % -15 % de médecins militants qui seraient prêts à s'investir dans ce type de projet.  "Comment franchir vraiment cette étape d'ici trois ans ? Il nous faut construire une alliance, un cadre et des modalités pour être convaincants", s'interrogeait Nicolas Revel, confiant que l'on ne pouvait se contenter d'attendre "le renouvellement générationnel". En défendant le travail en équipe et l'aide à la conduite de projets, la création et le financement par l'assurance maladie du métier d'assistant médical, qui serait en charge de l'aspect médico-administratif et médico-social de la patientèle, une sorte de "secrétaire avancée", sur le mode de l'infirmière de pratique avancée. Et en militant pour le développement du forfait structure, la valorisation de la coordination des soins par un accord conventionnel ou encore le soutien à l'innovation organisationnelle en soins primaires dans les territoires, MG France fait sans nul doute partie des partenaires recherchés par Nicolas Revel.

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