Asterya

Le centre Asterya a ouvert dans le 12e arrondissement de Paris. Crédit photo : Louise Claereboudt.

"Nous voulons leur éviter l'errance médicale" : immersion au cœur du premier centre de santé dédié aux enfants de l'ASE

Officiellement ouvert à la mi-novembre dans le 12e arrondissement de Paris, le centre de soins Asterya a déjà accueilli une centaine de jeunes confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Premier du genre en France, ce centre – porté à bout de bras par la Pre Céline Gréco – a pour ambition de proposer à chaque enfant entrant dans le dispositif un bilan de santé complet et un parcours de soins adapté à ses besoins.  

12/12/2025 Par Louise Claereboudt
Reportage Pédiatrie Violence
Asterya

Le centre Asterya a ouvert dans le 12e arrondissement de Paris. Crédit photo : Louise Claereboudt.

"Grâce à vous, Asterya [petite étoile en grec, NDLR] n'est plus seulement un rêve inspiré par les contes, mais une réalité concrète ; un lieu où chaque enfant en difficulté trouvera un abri, une écoute et une chance de se reconstruire", s'est émue la Pre Céline Gréco face à une foule de personnalités réunies mercredi 10 décembre pour inaugurer le premier centre d'appui à l'enfance de l'Hexagone. "Ce centre n'empêchera pas qu'il y ait encore des ours [des adultes maltraitants, NDLR] qui se baladent dans la nature et rentrent chez eux le soir, mais grâce à vous nous réussirons à leur survivre et peut-être même à vivre", a poursuivi, sous une pluie d'applaudissements, la cheffe du service de médecine de la douleur et de médecine palliative à l'hôpital Necker (AP-HP), elle-même violentée par son père et placée à l'ASE à 14 ans.

Il a fallu à peine "deux ans" depuis que l'idée a germé dans l'esprit de Céline Gréco pour qu'Asterya voit le jour en lieu et place de l'ancienne école maternelle Netter, à deux pas de l'hôpital Trousseau (AP-HP), dans le 12e arrondissement de Paris. Et seulement six mois depuis la pose de la première pierre, en mai dernier. "C'est allé très vite parce que tous les acteurs ont joué le jeu", s'est félicité Sylvain Turgis, le directeur du centre, également à la tête du pôle santé de l'association Im'pactes. Fondée par Céline Gréco au printemps 2022, l'organisation développe et promeut à la fois la santé et la scolarité des enfants et jeunes majeurs protégés par l'ASE, de 0 à 25 ans. C'est elle qui a porté le projet de centre de santé dédié à ce public, Asterya, en lien étroit avec l'AP-HP, dans le cadre d'un "groupement de coopération sanitaire". 

Crédit photo : Louise Claereboudt

Concrètement, l'association a apporté les financements pour rénover le bâtiment – un second est en construction juste à côté, il accueillera notamment un restaurant d'insertion pour les jeunes de l'ASE – grâce au mécénat. L'AP-HP, elle, salarie les professionnels de santé. Pédopsychiatres, psychologues, orthophonistes, pédiatres, généraliste, psychomotricienne, infirmière coordinatrice, secrétaires, mais aussi art-thérapeutes ou coach sportif*… Ils sont 22 à avoir rejoint l'aventure le 3 novembre. "Mais on prévoit de monter à 38 professionnels", a indiqué Sylvain Turgis, précisant qu'aucun service n'a été déshabillé pour créer ce centre. "Ces professionnels étaient en province ou en libéral." 

Le centre, qui fonctionne comme un hôpital de jour, a accueilli les premiers enfants le 12 novembre. Tous ont bénéficié d'un bilan de santé. Objectif : répondre au vide sanitaire auquel ils sont trop souvent confrontés. Aujourd'hui, 380 000 enfants sont confiés à l'ASE, et plus de la moitié sont placés. Seuls 30% de ces enfants bénéficient d'un bilan de santé, pourtant rendu obligatoire depuis 2016. "Ces bilans ne sont pas faits pour tout un tas de raisons, dont l'absence de professionnels pour les réaliser", a regretté Sylvain Turgis. Seuls 10% des enfants de l'ASE bénéficient en outre d'un suivi de leur santé.

Des données alarmantes au regard de la "cascade de réactions" qu'entraînent les violences et maltraitances que ces enfants ont pu subir, a souligné Céline Gréco : des pathologies somatiques deux à trois fois plus fréquentes qu'en population générale (eczéma, asthme, douleurs, troubles fonctionnels intestinaux, surpoids, etc.), des problèmes dentaires et ophtalmologiques, des troubles psychiques cinq fois supérieurs à la population générale, 120 fois plus d'hospitalisations en pédopsychiatrie, 37 fois plus de tentatives de suicide ou suicides à l'âge adulte, ou encore deux à trois fois plus de maladies cardiovasculaires (AVC, diabète, cancers, maladies auto-immunes à l'âge adulte). 

Un chiffre illustre particulièrement l'urgence d'agir : l'espérance de vie de ces enfants et adolescents confiés à l'ASE est amputée de 20 ans par rapport à celle de la population générale.

Asterya ne pouvant accueillir tous les enfants qui passent par l'ASE, priorité a été donnée aux enfants qui viennent d'entrer dans le dispositif, et à ceux ayant "des besoins de soins très lourds" et pour lesquels "un rattrapage" est indispensable, a expliqué le directeur. Une centaine d'enfants ont déjà été pris en charge. Outre le bilan de santé, ils se sont vu proposer un parcours de soins adapté à leurs besoins. Un premier parcours relève d'une prise en charge en ville, un deuxième s'adresse aux enfants ayant besoin de revenir au centre tous les 15 jours et, enfin, un troisième parcours a été mis en place pour les patients les plus lourds, déscolarisés ou avec des troubles psy, nécessitant un suivi approfondi.

Parmi les enfants déjà accueillis, une dizaine d'enfants ont été invités à revenir au centre. Et, à terme, 2 000 enfants franciliens y seront suivis chaque année. "Nous voulons leur éviter de vivre ce qu'ils ont vécu auparavant : l'errance médicale, l'absence de professionnels disponibles pour eux ou encore la perte de leurs données médicales" du fait d'un parcours morcelé, a confié la Dre Nathalie Regnier, médecin généraliste et responsable médicale du centre. Sont également proposés des ateliers thérapeutiques et pédagogiques autour de la prévention des conduites à risque ou encore de la confiance en soi, ainsi qu'un accompagnement éducatif pour favoriser la rescolarisation et la reconstruction identitaire.

Un programme de formation inédit

Pour répondre au mieux aux besoins des enfants, les 22 professionnels d'Asterya – y compris les secrétaires – ont été formés à la prise en charge du traumatisme complexe, "encore peu connu en France". C'est outre-Atlantique que Céline Gréco a découvert le concept et a eu l'idée de le transposer en France, où seules quelques expérimentations (Pégase ou Santé protégée) se sont penchées sur cette prise en charge spécifique. "L'idée, c'est de former nos professionnels en interne, mais aussi, par la suite, d'avoir une offre de formation au trauma complexe pédiatrique pour les professionnels du secteur" de la protection de l'enfance, a complété Sylvain Turgis. Une mission de recherche sera également mise en place pour mesurer l'impact réel de ces parcours de soins et de suivi précoces sur le développement des enfants, leur qualité de vie et sur leur progression scolaire.

Traiter le traumatisme complexe nécessite d'"avoir un regard qui puisse se décaler", explique Nathalie Regnier, qui travaillait auparavant dans un hôpital mère-enfant et au sein d'une pouponnière – une activité qu'elle a conservée. "On va avoir tendance à se dire que les enfants victimes de maltraitances multiples doivent reparler des violences qu'ils ont subies pour que ça aille mieux et, en fait, ce n'est pas le cas. Il faut développer cette sensibilité qui est de se dire 'je vais accompagner le jeune dans ses symptômes sans lui parler nécessairement de son trauma, mais je vais traiter le trauma autrement dans une prise en charge globale. Ça ne prend pas plus de temps que ça, mais ça demande une approche différente. Un peu comme est conçu ce lieu finalement…"

Un ciel étoilé 

Ici, tout a été pensé pour ces enfants "que l'on ne voit pas, que l'on n'écoute pas". La façade du bâtiment, recouverte de petits carreaux bleu et blanc, fait penser à une piscine municipale. A l'intérieur, aucun angle. Les murs pastel sont arrondis, comme des nuages. Le plafond, bleu nuit, étincelle de ses petites ampoules qui imitent les étoiles. Chaque bureau de consultation porte le nom d'une constellation : Pégase, triangle, bélier. Les portes disposent de deux hublots, un à hauteur d'adulte, l'autre à hauteur d'enfant. Ici et là, des fresques du street-artiste Seth habillent les murs, comme cet enfant plongé dans un livre.

Crédit photo : Louise Claereboudt

Le grand escalier en bois qui dessert les étages abrite une cabane. "On a eu une fratrie de quatre enfants séparés. Pendant 15 minutes ils s'y sont blottis, serrés les uns contre les autres", ajoute Sylvain Turgis. Un toboggan permet aux petits patients de passer du 2e au 1er en un temps éclair. "On s'est aperçus que ces éléments ludiques avaient finalement une vertu thérapeutique […] Les médecins voient par exemple la différence entre ceux qui ont testé le toboggan et ceux qui ne l'ont pas testé. Ceux qui l'ont descendu sont plus ouverts en consultation", se réjouit le directeur du centre. Et d'ajouter : "Ça déconstruit aussi le côté hospitalier.

Si Asterya est pionnier en son genre, Im'pactes prévoit déjà le déploiement de centres identiques dans cinq autres régions. Deux devraient pouvoir ouvrir dès 2026, à Bordeaux (Aquitaine) et à Villeneuve d'Ascq (Nord). "Asterya n'est pas une fin en soi, c'est un début. Le début d'un réseau de centres d'appui à l'enfance, dont nous soutiendrons le développement au niveau régional, en lien étroit avec les CHU, mais aussi les ARS, les départements, les associations", a déclaré la ministre de la Santé Stéphanie Rist, lors de l'inauguration. "L'Etat sera au rendez-vous" pour que "plus aucun enfant protégé ne reste sans soin, sans bilan, sans suivi". 

 

*les art-thérapeutes et coach sportif ne sont pas rémunérés par l'AP-HP mais par Im'pactes. 

Intérieur du centre Asterya

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