Retraités, ils montent un cabinet de "dépannage" pour les patients sans médecin traitant

04/04/2023 Par Marion Jort
Depuis plusieurs mois, dans les territoires, fleurissent des cabinets de médecine générale réservés aux patients sans médecin traitant. Véritables leviers pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins et la pénurie de soignants ou moyen pour les patients de trouver des rendez-vous plus rapidement que ceux proposés par leur généraliste ? A Avesnes-sur-Helpe, dans les Hauts-de-France, des médecins retraités de leur exercice libéral ont décidé de renfiler la blouse pour proposer des consultations "de dépannage" aux habitants qui peinent à se soigner. En moins d’un an, ils ont déjà vu défiler 2 000 personnes différentes.   

En mai 2022, le centre hospitalier de la petite commune d’Avesnes-sur-Helpe (Hauts-de-France) a décidé d’inaugurer un premier cabinet de médecine générale réservé aux patients sans médecin traitant de son territoire, rural. Cet espace, géré par une équipe de médecins salariés du CH, est ouvert 5/7 jours et attenant à l’hôpital. “On s’est dit ‘pourquoi pas’”, se souvient le Dr Christian Castel, 72 ans, qui a porté le projet. A l’époque, le généraliste retraité de son activité libérale avait la charge de superviser le centre de vaccination Covid. “Pendant cette campagne, on a vu plein de monde et on s’est rendu compte que beaucoup n’avaient plus de médecin traitant. Soit leur médecin est parti à la retraite sans être remplacé, soit ils n'avaient pas réussi à en trouver là où ils habitent.” Avec ses confrères et consœurs de la vaccination, ils évoquent alors la possibilité de créer un cabinet et de “se relayer pour les patients sans médecin traitant qui ont abandonné l’idée de se soigner, qui vont direct aux urgences ou qui sont pris en charge de temps en temps par des MG qui veulent bien les prendre”. Le Dr Castel en parle au directeur de l’hôpital, où il travaille également quelques jours par semaine dans le service de médecine polyvalente. “Il a été super enthousiaste”, se réjouit encore le généraliste. “Ça s’est monté un peu comme ça, j’ai senti presque un ‘regret’ que la campagne de vaccination cesse dans l’équipe de médecins retraités hyper motivés qui avait été montée à cette occasion, complète Serge Gunst, directeur de l’établissement. Ce projet, c’est un amalgame de circonstances : la volonté de travailler en commun, la constatation que les MT sont difficiles d’accès et des retraités qui disent ‘si c’est pour une demi-journée par semaine, on peut le faire’”. En deux semaines, une équipe de cinq généralistes est montée. Deux jeunes médecins s’associent aux retraités en cumul et tous assurent une demi-journée ou une journée par semaine dans ce cabinet, en alternance.

  Le soin, unique priorité “On s’est pliés à leur demande. Pour monter ce cabinet, ce que voulaient le plus les médecins, c’était ne plus avoir de relations avec la Caisse d’Assurance maladie et avoir à gérer l’administratif, les locaux. C’est donc nous qui nous en chargeons”, poursuit le directeur de l’hôpital. Tous les praticiens sont salariés du CH et rémunérés environ 200 euros la demi-journée, une somme qui correspond à leur rémunération moyenne lorsqu’ils vaccinaient. “A ce tarif, pour environ 20 consultations à 25 euros, j’équilibre mon budget. Je ne gagne pas d’argent, mais je n’en perds pas. En revanche, cela donne une excellente image de la mission de service public de notre établissement”, reconnaît Serge Gunst.    Au quotidien, les patients peuvent prendre rendez-vous sur la plateforme Doctolib. En cas d'urgence, quelques créneaux sont disponibles dans la journée. Pour pouvoir en bénéficier, il faut appeler un numéro dédié géré par une secrétaire de la communauté de communes de l’Avesnois. Par ailleurs, les consultations ne sont ouvertes que...
jusqu’aux alentours de 18h “afin de ne pas rentrer trop tard le soir” et les patients ne savent pas avec quel médecin ils auront rendez-vous. “Nos médecins sont de jeunes retraités et ils ne doivent pas retrouver toute leur patientèle dans ce centre”, insiste le directeur.    Les généralistes n’ont donc qu’une priorité : soigner. Dans ces conditions d’exercice, “confortables” selon le Dr Castel, ils reçoivent entre 15 et 20 patients en une demi-journée de consultation. “On arrive, on consulte et quand on rentre, on ne s’occupe plus de rien. On s’aperçoit que lorsqu’on est libérés de toutes ces charges administratives, 15 minutes par patient ça suffit généralement largement. Au pire, on se rattrape sur la consultation suivante.”  En 10 mois d’existence, ils comptabilisent déjà près de 2 000 patients différents. “On a tout de suite eu beaucoup de monde, des gens qui viennent pour tout”, complète le médecin, qui estime retrouver “la patientèle classique de médecine générale” en consultation.        "Les gens viennent de partout" “On voit des personnes qui viennent pour un état grippal, renouveler un traitement, une urgence. J’ai retrouvé l’ambiance de la MG telle que je l’aimais avant. A ceci près qu’on constate tous les jours les conséquences du manque de médecins sur les patients. Le pire que j’ai vu : un patient diabétique qui n’avait pas consulté de généraliste depuis 3 ans”, lâche-t-il, désabusé. Selon le Dr Castel, “beaucoup de patients ont aujourd’hui abandonné. Ce patient diabétique ne prenait plus rien, il avait lâché l’affaire.” “Depuis l’ouverture de ce centre sur notre territoire, les gens viennent de partout pour consulter ici : Lille, Roubaix, Tourcoing, parfois même Paris”, s’étonne-t-il.    Un succès indéniable… qu’a eu du mal à appréhender la Caisse primaire d’Assurance maladie locale. “Au départ, c’était assez rigide de leur côté car ce cabinet est situé dans un hôpital. On a eu quelques problèmes de remboursements”, détaille Serge Gunst qui parle maintenant d’un souci “résolu”. 

  Impossible de contrôler les patients Si le cabinet est en priorité réservé à ceux qui n’ont pas de médecin traitant, les généralistes ne peuvent contrôler les prises de rendez-vous en ligne. “On dit, on répète à ces gens de continuer à chercher un MT et qu’on n’est là que pour dépanner. On ne peut pas vérifier à chaque fois qu’on nous dit que le médecin est en vacances. Mais on sait aussi que c’est compliqué voire impossible dans certains secteurs à moins d’être pistonné”, admet le Dr Castel, pour qui il est impossible pour les médecins du secteur de “faire plus que ce qu’ils font déjà”.    “Quand je dis ça, ce n’est pas parce que je considère que les médecins ne s'investissent pas assez”, tient-il à justifier. “C’est juste que ce n’est tout simplement pas possible d’en faire plus. Les pouvoirs publics promettent de donner un peu plus d’argent en échange de plus de travail, mais c’est vain. Les médecins aujourd'hui ne cherchent pas à gagner plus d’argent, ils cherchent à travailler dans de meilleures conditions. Tous les raisonnements s’arrêtent là”, considère le retraité. Lui-même a pris sa retraite à 65 ans, “complètement au bout du rouleau”. “Au moment où j’ai mis fin à mon exercice, je me suis dit que c’était devenu urgent car sinon j’allais faire une grosse bêtise”, lâche-t-il avant de poursuivre : “Il fallait que j’arrête. Je ne voulais plus entendre parler de médecine ni même de mon territoire au point même que j’avais acheté un appartement à Lille. Pour moi, c’était clair, j’étais excédé par les démarches administratives, les problèmes avec les secrétaires car nous avions des personnes en présentiel, avec le cabinet, l'infrastructure…” Le Dr Castel est pourtant un médecin hyper investi, pour ses patients, son territoire en tant qu’élu à la communauté de communes. Il estime que ce sont les politiques publiques successives qui l’ont, peu à peu, essoré.  Le salariat dans ce cabinet de dépannage lui a permis de retrouver, plusieurs années après, le plaisir d’exercer. “Je sais que ça ne fait pas consensus, certains de mes confrères ne me comprennent pas mais je trouve le salariat hyper bien”, assume le généraliste. “J’ai repris goût à la médecine générale grâce à ce centre, je peux le dire carrément.” En attendant de prendre sa retraite définitive, le Dr Castel se réjouit de voir de jeunes médecins rejoindre le projet au fur et à mesure. Conscient que ce type de cabinet n’est pas une solution pour tous sur le long terme, il représente néanmoins “un fonctionnement intéressant” à ne pas écarter, selon lui.  

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