La BPCO, souvent négligée chez la femme

13/11/2017 Par Chantal Guéniot
Pneumologie

La BPCO se féminise. Elle est plus précoce et plus grave chez la femme, qui paye un tribu de plus en plus lourd à cette maladie. Pourtant, elle fait souvent l’objet d’un retard au diagnostic.

Deux millions et demi à trois millions de personnes sont atteintes de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) en France, dont les deux tiers ignorent leur maladie. Cela est dû en bonne partie à la représentation faussée qu’ont les médecins et le public de cette affection, généralement associée à l’image d’un homme de 60 ans, gros fumeur, toussant, crachant et souvent dépendant de sa bouteille d’oxygène, stade ultime de la maladie. "Il faut changer cette représentation très négative de la maladie", a insisté le Dr Anne Prudhomme, pneumologue au CHR de Bigorre (Tarbes), au cours d’une conférence de presse organisée par la Fondation du souffle, à l’occasion de la journée mondiale de la BPCO, qui a lieu le 15 novembre. En effet, cette vision a le double inconvénient de retarder le diagnostic, alors qu’une détection précoce revêt une importance fondamentale pour le pronostic, et de laisser dans l’ombre la BPCO de la femme, dont le poids ne cesse pourtant de s’accroître. Les femmes sont également sous-représentées dans les études cliniques. La Fondation du souffle a choisi d’axer sa campagne sur ces femmes atteintes de BPCO, trop souvent ignorées. L’importance prise par les pathologies respiratoires chez la femme a conduit la Société de pneumologie de langue française (SPLF) à créer il y a six ans un groupe "femme santé respiratoire", dont le Dr Prudhomme est co-responsable, avec un sous-groupe consacré à la BPCO. Il y a 20 ans, 20 % des personnes souffrant de BPCO étaient des femmes. Aujourd’hui, elles représentent 40 % des patients atteints. Dans certains pays comme l’Australie ou les Etats-Unis, la BPCO est même devenue une maladie à prédominance féminine, ce qui préfigure probablement l’évolution que connaîtra la France d’ici quelques années. Cette évolution est liée principalement à l’augmentation du tabagisme chez les femmes. Selon l’Inpes, la proportion de femmes parmi les fumeurs est passée de 33 % en 1974 à 46 % en 2012. Mais elle reflète aussi leur plus grande sensibilité aux effets du tabac. A consommation égale, le risque d’obstruction bronchique est plus élevé chez elles, y compris après arrêt du tabagisme (Amaral AFS et coll.,Am.J.Resp.Crit.Care Med.2017). La réduction du risque après arrêt semble d’ailleurs moins marquée que chez les hommes. A l’adolescence, un ralentissement de la croissance pulmonaire est visible dès une consommation de 5 cigarettes par jour, chez la jeune fille. La cohorte Millenium indique que le risque de BPCO apparaît dès la consommation de cinq à dix cigarettes par jour (Pirie K., et al. Lancet 2013). Et selon cette étude, les fumeuses perdraient 11 ans d’espérance de vie, selon cette étude.  

Des symptômes plus marqués

  Plus fréquente, à facteur de risque égal, la BPCO est aussi plus grave chez la femme, avec davantage d’exacerbations et d’hospitalisations. Le VEMS décline plus vite chez elles en cas de tabagisme, même pour des consommations inférieures à 15 cigarettes par jour (Gan WQ, Resp.Dis.2006). L’étude française Vitalité a comparé les symptômes de la BPCO chez les femmes et chez les hommes (Raherison C. BMC Women Health 2014). Les premières étaient nettement plus jeunes (61,9 ans contre 66,6 ans) et avaient une consommation tabagique un peu moindre (37,1 contre 40,4 paquets-années). À gravité de la BPCO égale, elles avaient des symptômes (toux, dyspnée, expectoration) plus intenses et une qualité de vie plus altérée. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces disparités. "Il existe très probablement une hyperréactivité bronchique plus importante chez la femme ainsi qu’une plus grande sensibilité à l’inflammation, et les bronches sont de plus petit calibre", a observé le Dr Maeva Zysman, pneumologue au CHU de Nancy (Inserm  U955), qui évoque également la possibilité de prédispositions génétiques. Par ailleurs, on observe aux alentours de la cinquantaine une fragilité particulière, qui pourrait être liée à la disparition de l’effet protecteur des œstrogènes. La femme souffre également plus volontiers de comorbidités. L’association d’un asthme et d’une BPCO (syndrome Acos), notamment, est fréquente et complique le diagnostic. Pour le Dr Anne Prudhomme, "la BPCO a un retentissement psychologique majeur chez les femmes. L’anxiété et la dépression sont des comorbidités fréquentes de la maladie, potentiellement révélatrices de la pathologie". Le risque de cancer du poumon est également significativement plus élevé que chez l’homme (risque multiplié par 3,97 contre 2,23 chez l’homme, à degré égal d’obstruction bronchique). Enfin, l’ostéoporose est fréquente et peut être aggravée par la corticothérapie inhalée.  

Le tabac pas seul en cause

  Plus de 80 % des BPCO sont imputées au tabagisme et la gravité de la maladie est directement liée à l’importance de la consommation. La France fait figure de mauvaise élève à cet égard. "Le taux de tabagisme frôle 30 %, déplore le Pr Bruno Housset. C’est parmi les taux les plus élevés en Europe." D’autres facteurs peuvent intervenir, comme l’exposition passive au tabac, d’autant plus délétère qu’elle a pu commencer très tôt, in utero ou dans la petite enfance, l’exposition à des polluants domestiques et les expositions professionnelles (mineurs, ouvriers de fonderie, travailleurs du bâtiment, industrie textile, agriculteurs…). Certains facteurs de risques sont plus spécifiques des femmes. Ainsi une analyse de la Nurse Health Study présentée au dernier congrès de l’European Respiratory Society indique que l’exposition des infirmières aux désinfectants de surface augmente de 22 à 32 % le risque de BPCO. Dans les pays en voie de développement, l’exposition aux fumées de charbon ou de bois, liée notamment à la cuisine, joue un rôle important chez les femmes. Enfin, il existe de grandes disparités sociales face à cette maladie et la mortalité par BPCO est supérieure de 53 % dans les populations défavorisées.  

Améliorer la détection précoce

  En dépit de ce constat, le sous-diagnostic des BPCO est particulièrement important chez les femmes et ne fait qu’aggraver le pronostic.  Des auteurs canadiens ont présenté des cas fictifs à des généralistes, en variant le sexe des patients (Chapman KR et coll. Chest 2001). Le diagnostic de BPCO a été posé correctement dans 58 % des cas quand le patient était un homme, mais dans 42 % seulement quand c’était une femme. Le fait que le médecin soit une femme n’améliorait pas le diagnostic. Globalement, les médecins n’avaient demandé une spirométrie que dans 22 % des cas : 24 % si le patient était un homme et 19 % si c’était une femme. Le généraliste a un rôle clé pour éviter le retard diagnostique, ont souligné les participants, en observant qu’une femme de 35 à 45 ans, fumeuse, peut avoir une BPCO, même si sa consommation ne paraît pas très importante. "Une BPCO peut être observée avec une consommation inférieure à 20 paquets années", a confirmé le Pr Bruno Housset, chef de service de pneumologie au Centre hospitalier intercommunal de Créteil et président de la Fondation du souffle.  La dyspnée est la principale gêne dont se plaignent les personnes. "Mais l’essoufflement n’est pas toujours au premier plan, a-t-il remarqué. Parfois la patiente parle de fatigue. Et l’essoufflement est aussi une souffrance, une douleur." Le questionnaire simple en 5 questions de l’HAS peut aider à repérer les signes d’alerte qui doivent conduire à une spirométrie, qui pourra permettre également de différencier une BPCO d’un asthme. "Il faut mesurer le souffle en soins primaires", a estimé le Pr Housset. Une expérimentation de la Cnam est en cours dans trois territoires (Gironde, Essonne et Artois), pour améliorer la détection précoce de la BPCO. Elle a démarré le 14 mars 2017 par la diffusion d’une web-conférence sur la chaîne Fréquence Médicale. A l’issue du visionnage de cette conférence, 10 % des généralistes de ces trois territoires se sont inscrits à une session de formation théorique et pratique, pour se familiariser avec le maniement des spiromètres. Au 2 juin 2017, 119 avaient commandé un spiromètre auprès de la Cnam. Les caisses primaires envoient actuellement des auto-questionnaires aux assurés dont le médecin traitant est équipé d’un appareil. Selon les réponses, un courrier est adressé au patient les invitant à prendre rendez-vous avec leur médecin traitant pour bénéficier d’une spirométrie. Les résultats de cette expérimentation devraient être analysés début 2018, avant une éventuelle généralisation. Le Pr Housset a plaidé, enfin, pour la réhabilitation, "encore sous-utilisée en France". Pour le Dr Zysman, "c’est, avec l’arrêt du tabagisme, le seul traitement qui améliore réellement les patients". Un livre blanc sur la BPCO sera remis très prochainement à la ministre de la Santé "pour attirer l’attention des hautes instances sur cet enjeu majeur de santé publique".  

Les chiffres
La BPCO touche 6 à 8 % de la population française et entraîne près de 18 000 décès par an. La mortalité qui lui est liée augmente régulièrement de 1,7 % par an chez la femme, depuis la fin des années 1970, alors qu’elle est restée stable chez les hommes. Elle coûte trois à quatre milliards d’euros par an et les dépenses liées aux hospitalisations augmentent de 13 % par an. Elle devrait être la troisième cause de mortalité dans le monde en 2030, selon les projections de l’OMS.
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