Statines : un rapport de l’Académie fait taire les polémiques

25/05/2018 Par Marielle Ammouche
Cardio-vasculaire HTA

Après des années de polémiques et de doutes concernant les bénéfices réels apportés par les statines, et leur place dans les stratégies préventives vis-à-vis du risque cardiovasculaire, l’Académie nationale de Médecine a décidé de taper du poing sur la table et publie un rapport scientifique sur le sujet. Intitulé "Efficacité et effets indésirables des statines : évidences et polémiques", ce document analyse de "façon objective", - et méta-analyses à l’appui- , les preuves concernant l’utilité de ces thérapeutiques en prévention cardiovasculaire.

Les académiciens se sont penchés non seulement sur l’efficacité, et la tolérance de ces molécules, mais aussi sur les données existant sur leur efficience, et les raisons qui sont à l’origine de la polémique ainsi que leurs conséquences. Rédigé par le Pr Michel Komajda (CHU Pitié-Salepétrière), au nom de la commission "Maladies cardio-vasculaires", il a été voté lors de la séance plénière du mardi 22 mai 2018. Et ses conclusions sont sans appel : "le bénéfice apporté par cette classe de médicament, notamment en prévention cardiovasculaire secondaire est très important et sans commune mesure par rapport aux effets secondaires rapportés".  Le débat date de nombreuses années mais a connu son apogée en 2013 avec la publication d’études suggérant que les effets secondaires des statines pourraient dépasser leurs bénéfices, chez les patients à risque faible ou intermédiaire. Ces données ont été largement médiatisées auprès du grand public, en France mais aussi en Grande-Bretagne, et ont été perçues comme des critiques vis-à-vis des statines. On se souvient en particulier des nombreuses réactions provoquées lors de la sortie du livre du très controversé Philippe Even, "La vérité sur le cholesterol", en février 2013. Le débat a été d’autant plus intense que peu de temps après, en juillet 2014, les autorités de santé Outre-Manche (National Institute for Health Care Institute Excellence, Nice) recommandaient d’élargir les indications des statines aux patients ayant un risque cardiovasculaire intermédiaire (supérieur ou égal à 10% à 10 ans), alors que seuls ceux à risque élevé (supérieur ou égal à 20%) y étaient éligibles jusqu’à présent. "Peu de classes thérapeutiques ont fait l’objet de polémiques aussi virulentes que les statines alors que cette classe de médicaments, l’une des plus prescrites dans le monde, [est à l’origine] d’innombrables publications portant sur son bénéfice chez les patients atteints de maladie cardio-vasculaire avérée ou à risque élevé d’en développer une à moyen terme. En dépit de ces évidences, des campagnes polémiques niant le bénéfice de ces traitements et soutenant l’hypothèse de leur dangerosité, ont trouvé un écho certain dans la population et conduit un certain nombre de patients à abandonner leur traitement et certains médecins à douter de l’intérêt de cette classe de médicaments" souligne ainsi l’Académie en introduction de son rapport. Dans ce contexte, elle a réagi à deux reprises pour indiquer les risques que pouvaient entrainer une telle interruption de traitement (16 février 2013 et 21 décembre 2016). Elle souhaite aujourd’hui aller plus loin à travers ce rapport en analysant les preuves scientifiques qui sous-tendent cette position.   Une efficacité largement démontrée en prévention primaire et secondaire   Trois grandes études apportent ainsi la preuve du lien de causalité entre LDL-cholestérol (LDL-c) et maladie cardio-vasculaire, ainsi que des bénéfices des traitements hypolipémiants : une revue scientifique des preuves d’efficacité et de tolérance des statines parue en 2016 dans The Lancet (Collins R et al. Lancet 2016 ;pii:S0140-6736(16)31357-5) ; une méta-analyse du Jama (Silverman MG et al. Jama. 2016;316(12):1289-97); et un consensus de la Société européenne d’atherosclérose (Eur Heart J. 2017 Apr 24). Elles rappellent, entre autres, que l’effet des statines est directement lié à la baisse du LDL-c, et non à des effets indirects (pleiotrope via une action sur la CRP par exemple) comme cela l’a parfois été évoqué. Cette action  dépend de la statine. Dans une méta-analyse portant sur 24 000 sujets traités et 14 000 sous placebo (Karlson SP et al. Am J Cardiol. 2016 May 1;117(9):1444-8. ), la diminutiondu LDL-c était en moyenne de 27%, 37%, 21%, 38% et 20% avec respectivement la simvastatine 10 mg, l’atorvastatine 10 mg, la fluvastatine 20 mg, la rosuvastatine 5 mg et la pravastatine 10 mg. Les baisses les plus importantes sont obtenues avec la rosuvastatine 40 mg (-53%) et l’atorvastatine 80 mg (-55%). L’efficacité sur le risque cardiovasculaire a été largement démontré dans ces études et confirmé récemment dans une vaste revue Cochrane (Taylor F, et al. Cochrane Database Syst Rev. 2013 ;(1):CD004816), qui montre que le traitement de 10 000 personnes à très haut risque cardio-vasculaire permet d’éviter 1 440 accidents cardio-vasculaires si l’on abaisse le LDL-c de 2 mmol/l, soit 0,77 g/l. Le bénéfice est en outre directement fonction de la baisse du LDL-c, et "justifie le fait que les statines sont au premier plan de la thérapeutique préventive" soulignent les académiciens. En cas de risque élevé ou très élevé, les statines sont "indispensables" et le bénéfice "majeur" insistent-ils. Concernant les personnes présentant un risque faible, les études sont plus difficiles à analyser. En effet, la statine est associée à une réduction de la morbimortalité, comme cela a été mis en évidence dans la revue Cochrane de 2013 précédemment citée. Cependant ces données doivent être mises en balance avec son coût pour la société.  Ainsi, pour les académiciens, "cette indication est considérée comme peu utile en raison du nombre de patients à traiter pour éviter un événement et en raison de son coût. La conclusion peut être complètement différente selon que l’on se place du point de vue du bénéfice individuel ou du point de vue du rapport bénéfice/coût pour la société". Pour les patients à risque intermédiaire, et pour les sujets très âgés, les auteurs du rapport considèrent que la décision d’instituer un traitement par statines est à prendre au cas par cas.   Une efficience variable en fonction des indications et des seuils   Le rapport a ensuite analysé les données d’efficience des statines, c’est-à-dire le gain de santé apporté divisé par le surcoût que cela engendre. Et force est de constater que les données françaises manquent dans ce domaine. En outre les études internationales sont difficiles à comparer du fait de seuils variables. En prévention secondaire ou chez les patients coronariens, on retrouve peu d’articles, "vraisemblablement parce que la justification médicale de l’indication détermine seule la décision de prescription" reconnaissent les académiciens. Une étude de 2007 (Chan PS, et al. Circulation. 2007;115(18):2398-409) concluait à l’efficience d’un traitement intensif chez les patients coronariens. Et concernant la prévention primaire, une étude de 2011 (Conly J, et al. CMAJ. 2011 Nov 8;183(16):E1180-8) a mis en évidence que l’utilisation de statines de nouvelle génération (atorvastatine ou rosuvastatine), comparée à l’absence de statinee, était associée à un ratio d’efficience de $ 21 300 par année de vie en bonne santé supplémentaire ; mais que les statines les plus anciennes (fluvastatine, lovastatine, pravastatine or simvastatine) n’avaient pas démontré cette efficience. Une autre étude américaine, plus ancienne (Brandle M, et al. Diabetes Care. 2003 Jun;26(6):1796-80), avait aussi conclut que la pravastatine était efficiente dans une population de sujets âgés de 75 à 94 ans. Cela semble le cas aussi chez les patients diabétiques. La position de la Haute Autorité de Santé (HAS) est cependant restée différente : elle a considéré dans son analyse de 2010 (Efficacité et efficience des hypolipémiants : une analyse centrée sur les statines) que, "toutes les études ont conclu que le traitement par statines était une stratégie efficiente en comparaison à l’absence de traitement médicamenteux chez les patients en prévention primaire à haut risque CV et les patients en prévention secondaire et ce, quels que soient la molécule et le contexte de soins étudiés".   Un risque médicamenteux non négligeable, mais dépendant de la dose   Depuis leur mise sur le marché, les effets secondaires des statines ont été largement étudiés. En particulier concernant les effets musculaires, on estime que 10 à 25% des patients présentent de tels effets, mais avec des aspects et des sévérités très variables. Dans l’étude Stomp (Parker BA, et al. Circulation 2013;127:96-103), 10% des sujets avaient des effets musculaires sous statines, contre 5%% sous placebo. "L’incidence de la rhabdomyolyse est assez faible, estimée à 2 cas pour 10 000 patients traités, en sachant que la cérivastatine, la statine la plus pourvoyeuse de rhabdomyolyse, notamment en raison d’un mésusage, a été retirée du marché il y a une dizaine d’années", rappelle le Pr Komajda. Différents facteurs favorisants ont été identifiés : faible masse musculaire, interactions médicamenteuses… La toxicité semble dépendre de la dose. Par ailleurs, si des cas de rupture tendineuse ont été rapportés, une étude de 2015 portant sur 800 000 personnes (Contractor T, et al. Am J Ther 2015;22:377-81) n’a pas trouvé de lien avec la prise de statines. Une élévation des enzymes hépatiques est parfois notée en début de traitement "mais elle excède rarement 3 fois la normale (moins de 3% des patients) et les insuffisances hépatiques sont exceptionnelles" précisent les auteurs du rapport. Le risque de l’apparition d’un diabète a été évoqué suite à l’étude Jupiter (Ridker PM, et al. N Engl J Med 2008;359:2195-207) qui montrait un risque accru sous rosuvastatine. D’autres méta-analyses ont permis d’étayer ce risque avec des odds ratio allant de 1.12 à 1.25, selon les études. Cela équivaudrait à un nombre de patients traités pour l’apparition d’un cas estimé à 133 après 5 ans d’exposition. Le risque serait plus élevé pour la rosuvastatine et l’atorvastatine que pour la simvastatine, "même si des études récentes montrent un risque pour l’ensemble de la classe" précisent les auteurs du rapport. La dose parait aussi jouer un rôle significatif.  Les mécanismes sous-jacents "restent cependant globalement inconnus mais les facteurs génétiques jouent certainement un rôle" ajoutent-ils.   Des données rassurantes concernant le risque cognitif   Enfin, en 2012, la Food and Drug Administration a émis une alerte sur le possible risque de troubles cognitifs consécutifs à la prise de statines suite à deux essais cliniques et une enquête d’autosurveillance. Cela concernerait en particulier l’atorvastatine avec un trouble des fonctions mnésiques et une moindre plasticité cérébrale. Cependant, "deux méta-analyses dédiées au risque cognitif des statines n’ont pas permis de conclure" à cette association,  affirme le rapport. Au contraire, certaines données épidémiologiques et issues d’études animales, ont suggéré une prévention ou une moindre progression des troubles cognitifs d’origine dégénérative ou vasculaire ; même si, actuellement, aucun essai clinique randomisé n’a apporté la démonstration de ces effets, et que certains experts considèrent que cette relation est liée en réalité à un biais d’interprétation (population moins souvent traitées par statine, manque d’adhésion,…). Les données sont aussi rassurantes sur les liens entre dépression et statines. Les académiciens concluent donc que "si le risque médicamenteux lié à la prise de statine n’est pas négligeable, en particulier au plan musculaire et peut conduire à un arrêt du traitement, ce risque est à mettre en regard du bénéfice démontré des statines".   Un discours médiatique dangereux   Les académiciens sont aussi revenus sur les conséquences sanitaires engendrées par certains discours critiques sur les statines, largement véhiculés par les médias et les réseaux sociaux. Une étude menée dans plusieurs hôpitaux parisiens immédiatement après la publication du livre du Pr Even, a montré que, sur 144 patients interrogés en consultation, 24% des patients traités en prévention secondaire et 8% de ceux traités en prévention primaire, envisageaient de stopper leur traitement. Une étude de cohorte (Bezin J, et al. Archives of cardiovascular diseases. 2017;110(2):91-8) menée à partir des données de l’Assurance Maladie et incluant  plusieurs milliers d'utilisateurs chroniques de statines montre aussi que le taux d’interruption de traitement par statine avait augmenté significativement en 2013 par rapport à 2012 : de 26% chez les patients en prévention secondaire, de 40% chez les patients à risque cardio-vasculaire modéré et de 53% chez les patients à risque cardio-vasculaire faible. Un impact semblait  aussi retrouvé sur la mortalité globale dans les populations en prévention secondaire et à risque modéré. Pour approfondir ces données, l’Assurance Maladie a mis en place une autre étude, qui est en cours de publication. Elle montre que chez des utilisateurs réguliers depuis plus d’un an en prévention secondaire (et donc à risque cardio-vasculaire majeur), l’arrêt des statines entraînait un risque de décès ou d’événement cardio-vasculaire non fatal dans les trois mois suivant l'arrêt 3 fois supérieur à celui des patients qui n’avaient pas arrêté leur traitement. "Cette augmentation de la morbi-mortalité dans les 3 mois suivant l’arrêt des statines était moindre chez les patients à risque cardiovasculaire intermédiaire et non significative chez les patients à risque cardio-vasculaire faible" précise le rapport. Les académiciens concluent donc que "l’interruption intempestive de ce traitement peut avoir des effets désastreux sur leur santé". Ils s’étonnent de l’ampleur de cette "crise des statines", qu’ils considèrent comme une "crise de confiance sans précédent dans l’histoire moderne", et ce, d’autant plus que "le niveau de preuve concernant les risques et les bénéfices pour les patients est probablement l’un des plus élevés de la littérature scientifique". Scandales sanitaires, désenchantement vis-à-vis des progrès technologiques et scientifiques, mais aussi vis-à-vis des institutions, et développement des réseaux et des médias sociaux  ont certainement joué un rôle majeur dans ce phénomène. "Malheureusement, tout laisse à penser aujourd’hui qu’il ne s’agit là que d’un premier épisode dans une longue série de crises sanitaires d’un nouveau type" affirment-ils.      

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