Retraite de Russie - Bernard-Edouard Swebach
Ces maladies insoupçonnées qui ont contribué à causer la perte de la Grande armée de Napoléon
Le froid, la faim et les soldats ennemis ne sont pas les seuls responsables des 300 000 décès déplorés au cours de la désastreuse campagne de Russie, en 1812. Parvenant à séquencer l'ADN présent dans les dents de soldats napoléoniens exhumés en Lituanie, des chercheurs ont identifié les signatures génétiques de la fièvre paratyphoïde et de la fièvre récurrente.
Retraite de Russie - Bernard-Edouard Swebach
8 décembre 1812. Les "malheureux restes" de la Grande armée réunie six mois plus tôt par Napoléon pour conquérir la Russie, "naguère si formidable", arrivent à Wilna (Vilnius, Lituanie), "tout déguenillés et pour la plupart malades", relate le Dr Joseph Romain Louis de Kerkhov (dit de Kirkhov), médecin attaché au grand quartier-général durant la campagne de Russie. "On peut dire sans exagérer qu'alors des hommes qui avaient échappé à la Bérézina, il n'en existait plus que la moitié."
La campagne de Russie a tourné au désastre : incapable d'arracher des accords de paix au Tsar malgré ses victoires, Napoléon s'est résolu fin octobre à évacuer Moscou pour ne pas passer l'hiver isolé dans une ville ravagée par le feu. La retraite est une lente agonie pour la Grande armée, harcelée par les troupes de Koutouzov. Les combats, la fatigue, la faim et les maladies causent la perte de près de 300 000 hommes.
Un ADN ancien extrêmement fragmenté
Les pathogènes en partie responsables de cette hécatombe restent un sujet de débat. Dans son Histoire des maladies observées à la Grande armée française, de Kirkhov atteste de la prévalence des cas de typhus, de diarrhée, de dysenterie, de fièvre, de pneumonie et d'ictère. Surnommé la "fièvre des camps", le typhus, en particulier, a longtemps été suspecté d'avoir fait des ravages parmi les forces napoléoniennes. Des poux de corps ont été retrouvés sur les restes des 3269 soldats exhumés en 2002 à Vilnius, en Lituanie, tandis qu'une étude, menée en 2006, avait conclu à l'identification par PCR de Rickettsia prowazekii (responsable du typhus) et Bartonella quintana (responsable de la fièvre des tranchées).
Une étude publiée le 24 octobre dernier dans la revue Current Biology apporte un nouvel éclairage. Des chercheurs de l'unité Paléogénomique microbienne de l'Institut Pasteur, en collaboration avec le laboratoire d'Anthropologie bio-culturelle de l'Université d'Aix-Marseille, ont cherché à identifier les agents pathogènes impliqués en ayant recours à des techniques de séquençage de nouvelle génération appliquée à l'ADN ancien. "Dans la plupart des restes humains anciens, l'ADN des pathogènes est extrêmement fragmenté et ne subsiste qu'en très faible proportion, ce qui rend l'obtention de génomes complets très difficile, explique Nicolás Rascovan, responsable de l'unité Paléogénomique de l'Institut Pasteur et dernier auteur de l'étude. Disposer de méthodes capables d'identifier sans ambiguïté des agents infectieux à partir de ces faibles signaux, et parfois même d'en reconnaître les lignées, est essentiel pour explorer la diversité pathogène du passé", souligne-t-il.
L'ADN a été extrait des dents de treize des soldats exhumés à Vilnius. Le protocole d'authentification développé en collaboration avec les chercheurs de l'université de Tartu, en Estonie, combine plusieurs étapes de validation et inclut une interprétation guidée par la phylogénie des fragments hautement fragmentés du génome récupéré.
Betteraves salées
Ces analyses ont permis d'identifier les signatures génétiques de deux agents infectieux jusqu'alors insoupçonnés : Salmonella Patatyphi C, responsable de la fièvre paratyphoïde, et Borrelia recurrentis, responsable de la fièvre récurrente, une maladie transmise par les poux et caractérisée par des épisodes fébriles entrecoupées de périodes de rémission.
La fièvre paratyphoïde, transmise à l'homme par le biais de nourriture ou d'eau contaminée par des matières fécales, peut provoquer de la fièvre, des maux de tête, une éruption cutanée, de la fatigue et des troubles digestifs, décrivent les auteurs. Des symptômes non spécifiques et variés qui peuvent expliquer que cette maladie ne soit évoquée dans aucune source historique, relèvent-ils. Mais le rapport de de Kirckhoff fournit des "informations clés" sur l'événement qui a pu être à l'origine de cette épidémie. "La diarrhée était générale parmi nous dans la Lituanie, écrit ce médecin militaire. Une cause qui contribuait puissamment à cette maladie, c'est que nous rencontrions dans presque toutes les maisons, depuis Orcha [en Biélorussie, NLDR] jusqu'à Wilna, de grands tonneaux de betteraves salés (buraki kwaszone), dont nous mangions, et nous en buvions le jus quand nous avions soif, ce qui altérait beaucoup plus et irritait fortement le canal intestinal."
Les auteurs reconnaissent néanmoins que cette description peut correspondre à quantité d'autres maladies répandues dans l'Europe du 19e siècle. "Deux siècles après, il est toujours impossible de procéder à un diagnostic différentiel entre le typhus, la typhoïde ou la fièvre paratyphoïde en se basant uniquement sur les symptômes ou les témoignages des survivants", pointent-ils. Mais cette étude apporte la première preuve directe de l'implication de la fièvre paratyphoïde dans la déroute de la Grande armée. Le nombre limité d'échantillons analysés, comparé à la multitude de soldats enterrés sur ce site, ne permet toutefois pas de conclure à la seule responsabilité de cette maladie. Considérant les conditions extrêmes caractérisant cette retraite, la présence de multiples infections est "plausible".
Les chercheurs en concluent que la mort de ces soldats résulte à la fois de la fatigue, du froid et de plusieurs maladies, dont la fièvre paratyphoïde et la fièvre récurrente. D'autres études, sur un plus grand nombre d'échantillons, sont nécessaires.
Références :
Paratyphoid fever and relapsing fever in 1812 Napoleon's devastated army, Barbieri, Rémi et al. Current Biology, Volume 35, Issue 21, 5384 - 5391.e4
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