
Cures thermales : la riposte scientifique face à la menace du déremboursement
250 millions d'euros : c'est le montant consacré en 2023 par l'Assurance maladie à la prise en charge des cures thermales. La France est ainsi l'un des derniers pays de l'OCDE à rembourser ces soins, a déploré en avril dernier la Cour des comptes, appelant à en faire l'économie. Face cette menace de déremboursement qui plane depuis plusieurs années, la médecine thermale a musclé sa recherche pour tenter de démontrer son efficacité. Avec plus ou moins de succès. Egora dresse le bilan.

Qui a dit que le changement climatique était mauvais pour la santé ? Sûrement pas les stations thermales. Changer d’environnement peut en effet faire du bien au curiste. Au même titre que les propriétés prêtées aux eaux, les soins, le repos, et le fait de partager son quotidien et ses tourments avec d’autres curistes. Mais comment juger de l’efficacité de ces aspects ? Faut-il les considérer un par un, ou mesurer leur résultat global sur l’état de santé ? Tel est l’enjeu de l’évaluation de la médecine thermale et de ses douze orientations thérapeutiques ouvertes au remboursement en France [voir encadré].
Il n’y a pas si longtemps encore, et malgré une société savante parmi les plus anciennes de France, cette évaluation était à la traîne sur le plan scientifique. En 1990, la revue Prescrire concluait au fait que "le thermalisme repose essentiellement sur l’empirisme et la tradition". Trente-cinq ans plus tard, les acteurs du thermalisme en France se targuent d’avoir publié dans des revues scientifiques internationales, "en langue anglaise, avec comité de lecture et facteur d’impact", une vingtaine d’études, "pour l’essentiel contrôlées randomisées", souligne le Pr Christian-François Roques-Latrille, président pendant quinze ans du conseil scientifique de l’AFRETh, l’Association française pour la recherche thermale. Selon le Pr Jean-Louis Montastruc, qui lui a succédé à ce poste, plus de 90 % des orientations de cure ont aujourd’hui fait l’objet d’études. Et celles-ci ont "démontré une efficacité" en rhumatologie, phlébologie, psychiatrie, neurologie, dans l’obésité ou encore dans les cures post-cancer du sein.
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Francois Cordier
Oui
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La méthodologie saluée en haut lieu
Comme le retrace le sociologue Adrien Sonnet dans une thèse, c’est une menace qui a fait bouger le secteur thermal, au tournant des années 2000 : celle pesant sur le remboursement des cures, vieux d’un demi-siècle. L’État et l’Assurance maladie conditionnent alors son maintien à la démonstration d’un service médical rendu. Les acteurs de la filière se réorganisent. En 2002, ils fusionnent leurs syndicats professionnels en un seul, le Conseil national des établissements thermaux (CNETh), pour séduire politiques et administration. Deux ans plus tard, aidé des maires des communes thermales et de la Fédération thermale et climatique française, ce syndicat patronal – ne dites pas lobby… – fonde l’AFRETh, l’association de recherche. L’engagement du secteur dans la recherche est inscrit dans sa convention nationale avec l’Assurance maladie.
La menace du déremboursement ressurgit encore épisodiquement au Parlement ou, tout récemment, à la Cour des comptes. Sans aboutir. La filière a toujours convaincu de son intérêt économique et touristique. Et également médical, désormais ? Tout en restant prudent, Thierry Dubois, président du CNETh depuis seize ans, veut le croire : "l’Assurance maladie nous a dit que les études de l’AFRETh, qu’elle lit, suffisent pour le maintien du remboursement." Sans doute satisfait de la méthodologie mise en œuvre par le conseil scientifique de l’association, l’organisme décisionnaire n’y envoie plus de représentant. Autre siège désormais vide pour la même raison, celui de la Haute Autorité de santé (HAS), dont une cheffe de service a félicité publiquement, devant l’Assemblée nationale en 2016, la rigueur méthodologique de l’AFRETh.
"La prise en charge de l’anxiété est la seule qui ait été comparée à une thérapeutique médicamenteuse"
Egora ne fera pas ici l’exégèse que même la HAS n’a pas réalisée, faute d’avoir jamais été saisie pour évaluer "les actes de thermalisme" de façon globale, comme elle nous l’a indiqué début 2025. Plusieurs études réalisées par l’AFRETh suggèrent en tout cas un bénéfice des cures à plusieurs mois. Les acteurs que nous avons interrogés citent en particulier les études Thermartrose (dans la gonarthrose), Thermalgi (fibromyalgie), VeinoThermes et Thermes&Veines (insuffisance veineuse chronique), Psothermes (psoriasis) et Stop-Tag (troubles de l’anxiété généralisée), consultables sur le site de l’AFRETh.
Les critères d’évaluation ont concerné, en général, la douleur, la qualité de vie ou la capacité fonctionnelle. Les auteurs n’ont généralement pas comparé l’effet des cures à une hospitalisation ou à un médicament. "Dans l’arthrose ou l’insuffisance veineuse chronique, par exemple, il n’y a pas de médicament de référence sur la maladie (seulement sur des symptômes) et l’hospitalisation se fait seulement pour une prothèse totale ou la chirurgie des varices", explique Christian-François Roques-Latrille. "Parmi les grandes pathologies traitées en cure, complète Jean-Louis Montastruc, la prise en charge de l’anxiété est la seule qui ait été comparée à une thérapeutique médicamenteuse", la paroxétine. L’étude Stop-Tag, qui a mesuré le niveau d’anxiété des patients inclus, a conclu à un effet supérieur de la cure par rapport à cet antidépresseur.
Le remboursement des cures thermales en chiffres
12 orientations thérapeutiques prises en charge par l’Assurance maladie, à hauteur de 18 jours de traitements par cure : affection des muqueuses bucco-linguales ; affection digestive et maladie métabolique ; affection psychosomatique ; affection urinaire et maladie métabolique ; dermatologie ; gynécologie ; maladie cardio-artérielle ; neurologie ; phlébologie ; rhumatologie ; troubles du développement chez l'enfant ; troubles des voies respiratoires.
Sont pris en charge les frais médicaux liés à la cure thermale, qui comprennent le forfait de surveillance médicale et le forfait thermal, ainsi que sous conditions de ressources, les indemnités journalières liées à l'arrêt de travail et, dans certains cas, une partie des frais d'hébergement et de transport.
471 615 bénéficiaires en 2024 (en hausse, mais moins qu’avant le covid), dont plus de quatre sur cinq en rhumatologie.
les cures thermales représentent 85 % du chiffre d’affaires des 88 stations et 103 établissements en activité; les 15% restant étant les courts séjours bien-être
0,15 % du montant total des soins et biens médicaux remboursés
Le double aveugle, courant dans les essais cliniques de médicaments, est par ailleurs impossible : difficile de cacher à un curiste inclus dans une étude s’il reçoit ou non le soin thermal évalué... Les seules études en double aveugle, réalisées à l’étranger, ont porté sur les eaux ou les boues. Elles ont suggéré que la balnéation en eau thermale, versus eau du robinet, ou l’application de boues thermales, versus boues non thermales, réduisait significativement les douleurs en rhumatologie, mais avec peu de patients inclus et nombre d’études faites par la même équipe, nuance Christian-François Roques-Latrille. "Des études pharmacodynamiques ont montré des propriétés antalgiques, anti-inflammatoires et antioxydantes de l’eau thermale", précise Jean-Louis Montastruc.
"Se détacher de l’idée d’une eau magique qui soignerait"
Un argument de nature à convaincre le médecin généraliste Pierre de Bremond d’Ars ? Interrogé au nom du collectif No FakeMed, il se garde de tout avis définitif sur l’intérêt des cures : il en prescrit lui-même exceptionnellement et reste prudent sur ce sujet "très compliqué ". Il invite à "se détacher de l’idée d’une eau magique qui soignerait", et interroge le fait que "des études se basent beaucoup sur le ressenti individuel, or une semaine de 'vacances' a forcément un intérêt positif…" Pour évaluer la médecine thermale, les études quantitatives et qualitatives (basées sur le ressenti des patients) "s'éclairent et se valident mutuellement", rétorque Christian-François Roques-Latrille, citant le cas de la douleur.
Membre de l’Académie de médecine, celui-ci a aussi une expérience des études examinées par cette institution en cas de demande d’ouverture d’établissement thermal, de nouvelle orientation dans une station ou de nouveau forage. "Il faut savoir trouver un juste équilibre entre exigences méthodologiques et faisabilité pratique", explique-t-il. Ou comment viser des études comparatives en tenant compte des circonstances. Un pragmatisme que rejoint Jean-Louis Montastruc, mais attention : "que la méthodologie parte du terrain ne signifie pas que l’évaluation est moins forte". Le professeur de pharmacologie clinique poursuit : "La médecine thermale est plus complexe et donc plus difficile à évaluer que le médicament, dont la stratégie d’évaluation est bien définie. Mais son évaluation est possible, par des essais cliniques comparatifs et aussi, ce qui est une perspective nouvelle, par des études de type pharmaco-épidémiologie."
Convaincus de longue date des bienfaits de la médecine thermale, le précédent comme l’actuel président du conseil scientifique de l’AFRETh défendent pied à pied les études de l’association. Leurs limites ? Communes à d’autres évaluations de thérapeutiques. Les critiques ? Souvent le signe d’une ignorance méthodologique ou d’un défaut de lecture. Le faible recrutement dans des études ? A relativiser, avec 200 à 250 participants par étude en moyenne, et "toujours la puissance statistique requise", insiste Christian-François Roques-Latrille. Les difficultés de suivi des comportements des curistes une fois repartis chez eux ? "C’est la vraie vie", répond le professeur émérite, évoquant un très faible nombre de perdus de vue, tandis que Jean-Louis Montastruc met en perspective : "Dans n’importe quel essai, les participants sont souvent plus compliants et ne sont pas totalement représentatifs de la population générale."
Une recherche autofinancée
Reste la question des liens d’intérêts. Ponctuels, quand un coauteur d’une étude (Thermactive) a créé le service digital dont elle doit évaluer l’intérêt dans le maintien d’une activité physique. Mais surtout structurels, puisque le principal financeur de la recherche médicale sur le secteur thermal... n’est autre que le secteur thermal lui-même. Ce dernier s’en explique : les pouvoirs publics sont favorables à une évaluation mais n’ont pas voulu la financer, et l’association des maires a réduit sa participation, ne laissant au CNETh d’autre choix que de financer la recherche quasiment seul. A raison d’un euro par curiste, soit un budget annuel d’environ un demi-million.
L’indépendance de l’évaluation est garantie par le conseil scientifique de l’AFRETh, dont l’actuel président est d’ailleurs réputé pour ne pas céder aux intérêts économiques. C’est ce conseil qui sélectionne (ou refuse) les études, ensuite financées par le conseil d’administration. Mais, une fois publiées, leur mise en avant au détour de quelques brochures de stations ne dévoile-t-elle pas "des enjeux promotionnels plus que scientifiques", selon l’expression de Pierre de Bremond d’Ars ? "Il n’est pas éthiquement condamnable que les financeurs utilisent les études dans leur communication si elles ont été conduites de manière indépendante", estime Christian-François Roques-Latrille.
Au final, l’ample effort d’évaluation semble à lui seul répondre à l’exigence des pouvoirs publics. "Les partenaires conventionnels prennent acte de l'effort de recherche [...], souligne ainsi la convention conclue avec l'Assurance maladie. Les travaux d'évaluation du service médical rendu se poursuivront pour la majorité des orientations thérapeutiques et feront l'objet de publications scientifiques."
"Il faut laisser à l’AFRETh le temps de faire correctement ce travail, plaide Jean-Louis Montastruc. Pour l’instant, nous étudions le service médical rendu et les risques de la médecine thermale, afin d’établir sa place dans le parcours de soins. Et nous réfléchissons à de nouvelles méthodes d’évaluation." Par exemple à des travaux à partir d’un large échantillon d’assurés, en cours en ORL et voies respiratoires, une orientation où les preuves d’efficacité des cures font encore défaut. "Dans quelques années, nous pourrons rechercher et isoler l’effet de tel ou tel facteur, l’influence de l’eau, telle démarche de soin…" Il est aussi possible que l’analyse médico-économique se développe, dévoilant un coût des soins thermaux inférieur à un séjour hospitalier, en rhumatologie ou dans Parkinson. Ce serait un argument de plus pour convaincre les pouvoirs publics de résister aux sirènes du déremboursement.
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