Dépenses de santé

Explosion des dépenses de santé : "Il y a un problème de responsabilisation des médecins", pointe la Cour des comptes

La juridiction financière a livré son ordonnance pour dégager environ 20 milliards d'euros d'économies sur la santé d'ici à 2029. Au menu : diminuer les prescriptions "atypiques", limiter les revalorisations conventionnelles, fermer les services hospitaliers qui ne répondent pas aux exigences de qualité ou encore réduire le remboursement des cures thermales. 

14/04/2025 Par Aveline Marques
Assurance maladie / Mutuelles
Dépenses de santé

"Nous sommes vraiment au pied du mur", a alerté le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, lors d'une conférence de presse ce lundi 14 avril. "La forte progression de l'Ondam* pose un enjeu de soutenabilité financière de notre système de sécurité sociale", a-t-il mis en garde.

Fixé à 265.4 milliards d'euros pour 2025, en hausse de 4.8% par an depuis 2019, l'Ondam doit progresser de 2.9% par an jusqu'en 2028 pour atteindre 289.2 milliards d'euros. Mais les économies envisagées "ne sont pas documentées" à ce stade, alerte la Cour. Répondant à une "commande initiale" de l'ancien Premier ministre Gabriel Attal, la juridiction financière a donc passé en revue ces dépenses afin de livrer ses 15 propositions d'économies.

Objectif : dégager entre 19.4 et 21.4 milliards d'euros d'ici à 2029, "soit l'équivalent de ce qui est nécessaire pour gager le financement de mesures nouvelles et respecter la trajectoire de l'Ondam". "Ce n'est pas un plan d'austérité que la Cour propose, assure Pierre Moscovici. L’objectif n’est pas de baisser le montant des dépenses de l’Ondam, mais de maitriser le rythme de leur progression", a-t-il insisté. 

 

En finir avec les "coups de rabot"

Pour le premier président de la Cour des comptes, il faut "changer d'échelle" et en finir avec la politique des "coups de rabot à court terme" qui "ne suffisent plus". La Cour appelle au contraire à des "réformes structurelles", mises en œuvre dans le cadre d'un programme pluriannuel de maitrise des dépenses, afin d'améliorer la "qualité" des dépenses.

Premier axe : "dépenser à bon escient". Cela passe notamment par le renforcement de la lutte contre les fraudes, qui doit permettre de dégager 1.5 milliard d'euros d'économies. La Cour plaide pour des contrôles plus systématiques, pour le blocage des facturations irrégulières et par le recouvrement des indus "sur toutes les périodes non prescrites".

Les Sages appellent également à économiser 2.8 milliards d'euros en améliorant la pertinence des soins et des prises en charge, à l'hôpital comme en ville. "Il existe encore de trop nombreuses prescriptions qui sont en décalage avec les recommandations de la Haute Autorité de santé", a souligné Pierre Moscovici, qui cite l'exemple des prescriptions de dosage de vitamine D : "seules 9% correspondent à une indication recommandée par la HAS". "Les durées d'arrêt de travail prescrites par les médecins sont supérieures à celles prévues par les référentiels", pointe encore la Cour : parmi les motifs les plus fréquents, "plus de 40% des journées prescrites excèdent les durées les plus longues préconisées", notamment pour les troubles anxiodépressifs, la lombalgie, la gastro-entérite virale, la grippe saisonnière et l'angine.

Pertinence : aucune sanction n'est prévue si les objectifs ne sont pas atteints

Les Sages relèvent la "persistance d'écarts de pratiques médicales entre établissements de santé et entre départements". Les dépenses standardisées** de santé prises par patient varient ainsi selon les départements dans une proportion de 1 à 1.7. "Les dépenses de santé par habitant et le nombre de consultations augmentent avec la densité des médecins, note la Cour. La corrélation entre la densité des médecins libéraux et les dépenses de médicaments par habitant peut conduire à s'interroger sur la pertinence des actes." La dématérialisation des prescriptions doit permettre d'identifier et de réguler les "atypies". "Il y a un problème de responsabilisation des médecins qui est évident", a déclaré Pierre Moscovici.

 

Mise sous entente préalable en cas de prescriptions atypiques ?

Si la convention médicale de 2024 comporte 15 programmes d'amélioration de la pertinence (juste recours à l'ordonnance bizone, prescriptions d'IPP, arrêts de travail…) en contrepartie des revalorisations consenties, avec un partage des économies pour ceux qui dépasseront leur cible en 2027, "aucune sanction n'est prévue si les objectifs n'étaient pas atteints", déplore la note. "En outre, il s'agit d'objectifs collectifs qui ne sont pas opposables individuellement à un professionnel et qui ne peuvent conduire à réduire les rémunérations individuelle". La Cour incite la Cnam à mettre en place un suivi annuel de ces objectifs et le cas échéant, à "un dialogue renforcé" entre les caisses et les médecins, "allant d'un rappel aux référentiels médicaux à la mise sous entente préalable en cas de prescriptions atypiques".

Dans un deuxième axe visant à "dépenser efficacement" et renforcer l'efficience, la Cour chiffre d'autres mesures d'économies telles que les transport sanitaires (300 millions d'euros) et les baisses de prix des produits de santé, qui doivent se poursuivre pour un total de 4.8 milliards d'euros visé d'ici à 2029.

La Cour met également l'accent sur la prévention, à laquelle n'étaient consacrés que 7.5 milliards d'euros en 2023. "Il est urgent que la prévention devienne une priorité en France", martèle Pierre Moscovici. Au programme : améliorer la détection et la prise en charge des maladies chroniques (400 millions d'euros d'économies), mieux prévenir la perte d'autonomie des personnes âgées et notamment les chutes (0.8 à 1.2 milliard d'euros), poursuivre le virage ambulatoire (800 millions d'euros) et réduire les événements indésirables associés aux soins (0.5 à 1 milliard d'euros).

 

Fermeture ou transfert de services hospitaliers

Les Sages recommandent, en outre, une "réorganisation territoriale des parcours de soins", qui passe par la fermeture ou le transfert des services hospitaliers qui ne présentent pas des garanties suffisantes en termes de qualité et de sécurité des soins.

La Cour des comptes appelle enfin, dans un troisième axe, à "dépenser équitablement", en partageant davantage les efforts avec les organismes complémentaires (1 à 1.5 milliard d'euros), notamment en "réexaminant le périmètre des obligations du contrat responsable et solidaire" de ces derniers. 

 

Limiter les revalorisations conventionnelles

Il s'agit, aussi, de "mieux responsabiliser les assurés" (300 à 500 millions d'euros), en encadrant la délivrance des antalgiques de palier 1 (hors enfants et ALD), et en diminuant le remboursement des cures thermales. "La France est l'un des derniers pays de l'OCDE à prendre en charge des soins de cure thermale (250 millions d'euros en 2023) sans que leur service médical n'ait été démontré", chargent les Sages. La liste des médicaments remboursés à 15% (service médical rendu faible) mériterait également d'être revue.

Quant aux mesures nouvelles contenues chaque année dans les lois de financement de Sécurité sociale, il faut en "réduire l'ampleur" pour économiser jusqu'à 3 milliards d'euros d'ici à 2029. Autrement dit, formulent les Sages, il va falloir "limiter" les revalorisations conventionnelles et les mesures salariales en établissements… 

 

*Objectif national des dépenses d'assurance maladie

**"Pour tenir compte des disparités départementales de démographie, la dépense moyenne par département est standardisée selon l'âge et le sexe, en étant rapportée à la dépense 'attendue', définie comme la dépense qu'aurait chaque département avec sa structure de patients par âge et sexe mais avec la dépense moyenne par âge et sexe des patients de France entière" (Drees). 

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Claire FAUCHERY

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1 débatteur en ligne1 en ligne
il y a 8 mois
Enfin le déremboursement des cures thermales est mis sur la table... plaidoyer pour un déremboursement complet !!! Il suffit de jeter de l'argent public par la fenêtre pour quelque-chose qui n'a fait aucune preuve d'efficacité thérapeutique. Responsabilisons les patients et arrêtons de leur mentir. Il en était de même avec l'homéopathie, c'est le sens de l'histoire. Respectez les reco de la HAS comme le pointe le rapport, sur certaines pathologies permettra aussi d'économiser un peu... OUI Le moins ou MIEUX sur les prescriptions d'imagerie par exemple va aussi dans le sens de l'histoire et des données actuelles de la science ! Mais en même temps moins revaloriser les médecins, donc rogner encore une fois sur leurs revenus ?? Le rapport se trompe gravement là : il faut moins de "mediocrité" des professionnels de santé oui, je dirais aussi plus de part patient à régler (il en est ainsi vu notre système conventionnel qui ne tient plus), plus de contrôles "qualité" sur notre travail, d'accord.... POUR pouvoir mieux nous rémunérer !!! Nous les professionnels de santé consciencieux ! Et contrôler plus oui, pour stopper les quelques uns de nos confrères qui fraudent et qui travaillent comme de la m*rde. Si la CNAM en avait vraiment la volonté, ce serait déjà possible (vu toute la data qu'ils ont sous la main).
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120 points
Incontournable
Gastro-entérologie et hépatologie
il y a 7 mois
Rien de surprenant, les politiques, responsables par leurs choix passés de la situation actuelle, en accusent les médecins. Et une fois de plus la Cour des Comptes est (en partie) à coté de la plaque. La Cour des Comptes dénonce-t-elle l'absence de choix de son Assurance Maladie en France (responsable d'une baisse des coûts en Allemagne par leur concurrence) ? Dénonce-t-elle que la France a le record d'Europe des dépenses hospitalières (32% des dépenses de santé), qu'elle a le record d'Europe d'administratifs hospitaliers ( 34%. Plus que de soignants!), que les dépenses de médicaments hospitaliers flambent, que nous avons les coûts de fonctionnement de la Sécurité Sociale les plus chers (13,5 Mds € !). Dénonce-t-elle que les cliniques privées et les libéraux ne représentent que 18% des financements publics de santé pour 28% de l'offre de soins et… 75% des Consultations et 35% de l'activité Hospitalière? Jamais la Cour des Compte ne compare l'efficience des deux systèmes. Et pour qui les tarifs différenciés sont à nouveau favorables en 2025? De sacrées pistes d'économies à faire sur les coûts de gestion de la Santé sans en diminuer la qualité. La Cour des Comptes, nos politiques, nos médias n'en parlent jamais…
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232 points
Incontournable
Psychiatrie
il y a 8 mois
J'ai l'impression que Moscovici surfe sur la vague très tendance du médecin bashing et que puisque l'on limite maintenant sa possibilité d'installation on peut aussi lui limiter ses prescriptions (qu'est-ce qu'il y connait, lui, aux prescription ?) quitte à le mettre sous entente préalable de façon quasi automatique. Il n'y aura pas grand monde à l'heure actuelle pour s'opposer à des économies potentielles, qu'elles soient réelles ou hypothétiques. Les médecins ont dores et déjà perdu la partie, jamais les gens ne se sont soulevés pour soutenir leurs revendications et je pense qu'ils sont un peu fatigués de redire encore et toujours la même chose. Et ce sont pas les syndicats qui y changeront quoi que ce soit. Eux aussi on les a trop entendus pour pas grand chose. Une remarque ci-dessus fait sourire : Juppé disait "trop de médecins, il faut réduire", Moscovici dit "pas assez de médecin, il faut mieux les réguler". Deux situations opposées, une même solution.
 
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