VIH

Les seniors, angle mort de la lutte contre le VIH

Si les jeunes homosexuels et les migrants demeurent les populations les plus exposées au VIH, le virus n’épargne personne, y compris les hétérosexuels de plus de 50 ans. La prise en charge des personnes âgées séropositives, infectées récemment ou depuis plusieurs décennies, constitue une préoccupation croissante.

28/04/2025 Par Romain Loury
Infectiologie
VIH

Selon les données publiées en octobre par Santé publique France, 22% des découvertes d’infection par le VIH en 2023 concernaient les plus de 50 ans, une proportion stable ces dernières années. Au-delà du VIH, plusieurs infections sexuellement transmissibles sont en forte hausse chez les plus de 50 ans. C’est le cas des infections à gonocoque, de celles à Chlamydia trachomatis et de la syphilis. Pour cette dernière, le nombre de cas a crû de 44% entre 2021 et 2023 chez les femmes de plus de 50 ans (et de 34% chez les hommes du même âge), contre respectivement +27% et +19% tous âges confondus.

Comment expliquer ce phénomène ? Selon la Dre Erika Kurzawa, responsable du CeGIDD* du CH de Martigues (Bouches-du-Rhône), l’un des moments à risque pour cette population survient «lors du départ des enfants du foyer familial, ce qui engendre parfois une séparation du couple, une nouvelle vie sexuelle. De nombreux seniors, même s’ils ont été jeunes dans les années 1980, ont complètement oublié le port du préservatif et peuvent se contaminer [...] Sur mon territoire, l’âge au diagnostic de l’année 2024 va de 17 à 72 ans».

D’où la nécessité de proposer le dépistage du VIH à tout patient, y compris aux personnes âgées, en particulier face à des signes tels que perte de poids inexpliquée ou survenue d’une infection pouvant être liée au VIH par exemple un zona, fréquent chez les seniors. Cette habitude semble encore peu ancrée dans le monde médical : «Tout le monde n’est pas à l’aise avec ce sujet, surtout quand on est médecin de famille. Quand on suit le mari et la femme, il est difficile de demander à la personne si elle va voir ailleurs !», explique Erika Kurzawa.

Au-delà des médecins, «la société s’imagine encore que les relations sexuelles n’existent plus chez les personnes âgées». À tort, comme le montrent les récents résultats de l’étude sociologique Contexte des sexualités en France, qui révèle que la vie sexuelle ne cesse de se prolonger vers les âges avancés : parmi les personnes de 70-79 ans interrogées, 63,5% des hommes et 42,8% des femmes indiquaient avoir eu des rapports sexuels au cours des douze derniers mois.

 

Une population VIH+ vieillissante

Indépendamment de l’âge au diagnostic, le vieillissement avec le VIH constitue une préoccupation croissante pour les infectiologues, encore peu formés à la gériatrie. D’autant que, conséquence bénéfique des trithérapies, la population séropositive, d’âge moyen de 53 ans, ne cesse de vieillir : plus de la moitié des patients ont désormais plus de 50 ans, contre seulement 8,5% en 1993. D’où une part croissante de personnes âgées, dont de nombreuses ont été contaminées au cours des années 1980 et 1990.

À ce statut de «vétéran» de l’épidémie, souvent difficile à porter, s’ajoutent l’isolement social et la précarité financière provoqués par la vie avec le VIH. Ainsi que le fardeau de la polypathologie : responsable de l’étude ANRS-SeptaVIH (portant sur les patients VIH+ de plus de 70 ans), la Dre Clotilde Allavena, du service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nantes, rappelle que «cette population souffre de nombreuses comorbidités, dues à la fois à l’exposition au long cours au VIH et aux antirétroviraux de première génération, qui ont eu de nombreux effets secondaires sur les plans métabolique et cardiovasculaire. Et puis il y a l’impact du mode de vie, l’exposition au tabac, à l’alcool et à d’autres drogues».

 

Des maladies plus précoces

Responsable d’une hyperactivation du système inflammatoire, le VIH, même lorsqu’il est bien contrôlé, conduit à une usure précoce de l’organisme. «Parmi les fumeurs, le risque de cancer du poumon n’est pas beaucoup plus important chez les séropositifs, mais il survient généralement dix ans plus tôt. Ceci est dû à un vieillissement accéléré : le cancer survient selon l’âge physique, et non réel, du patient», avance la Dre Agnès Villemant, du service de médecine interne de l’hôpital Beaujon (Clichy, Hauts-de-Seine).

Quid du rôle des médecins généralistes dans le suivi de ces patients vieillissant avec le VIH ? Selon une récente analyse de SeptaVIH(1), «le généraliste considère souvent que c’est une pathologie à part, réservée aux médecins hospitaliers. Ils s’occupent donc du reste, mais pas du VIH. De plus, ces patients âgés, qui gardent le poids du secret, ont du mal à parler de leur VIH, ce qui peut aussi compliquer la prise en charge», explique Clotilde Allavena.

Selon elle, «ce n’est parce qu’une personne âgée est séropositive que sa prise en charge est différente. Elle l’est uniquement par le profil des personnes, souvent plus isolées et précaires. Mais le VIH en lui-même ne la complique pas».

*Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles.

 

Références :

D’après les propos des Dres Erika Kurzawa (CH de Martigues), Clotilde Allavena (CHU de Nantes) et Agnès Villemant (hôpital Beaujon, Clichy, 92) ; «Surveillance du VIH et des IST bactériennes en France en 202 », Santé publique France, 11 octobre 2024 ; et «Premiers résultats de l’enquête CSF-2023», Inserm-ANRS-MIE, 13 novembre 2024. 
 

1. Sambou S, et al. Santé publique, 1er janvier 2023.

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