Egora.fr : Sur quel principe repose la technique de détection des cellules tumorales circulantes que vous avez mise au point ? Patrizia Paterlini-Bréchot : Le procédé Iset (Isolation by SizE of Tumor cells), que nous avons développé, sélectionne les cellules tumorales circulantes en fonction de leur taille. Comme pour les cellules d’organes, celle-ci est plus large que la taille des cellules sanguines (entre 7 à 8 microns), se situant entre 15 et 18 microns, parfois jusque 30 microns, ou même 50 à 60 microns en cas de microembols tumoraux. On peut donc séparer les CTC par filtration du sang. Aujourd’hui, nous parvenons à isoler jusqu’à une seule cellule tumorale dans 10 ml de sang, contenant en moyenne 50 milliards de cellules sanguines. Ceci n’a pas été facile car le sang est un milieu hypercellulaire. Quel est l’intérêt clinique de ce repérage des CTC ? Quatre-vingt-trois publications internationales, réalisées en majorité par d’autres équipes que la nôtre, ont montré que l’on peut, avec la méthode Iset, isoler des CTC de très nombreuses tumeurs solides : cancer du sein, de l’estomac, du pancréas, du poumon, du col de l’utérus, de l’ovaire, mélanome, sarcome… Les CTC de leucémies (à l’exception de la leucémie lymphoïde chronique) peuvent même être isolées. La présence de CTC se voit dans beaucoup de cancers et signifie que la tumeur à leur origine a déjà diffusé dans la circulation sanguine. Notre objectif, est de pouvoir, grâce à elles, repérer des cancers invasifs encore peu évolués à un stade où la prise en charge a toutes chances d’être efficace. Au CHU de Nice, l’équipe du Pr Hofman a montré que l’identification des CTC par la méthode Iset chez des sujets à risque permet de repérer un cancer bronchique quelques années, de 1 à 4, avant sa détection en imagerie. Les patients ont été ainsi opérés à un stade très précoce. Une étude de l’équipe de Karin Ried en Australie a suggéré qu’on pourrait, chez les sujets à risque chez lesquels des CTC ont été décelées par Iset, renforcer le système immun pour les faire disparaître. Par ailleurs, la détection des CTC peut être utile pour améliorer le bilan d’extension tumoral au diagnostic, repérer à temps les récidives des cancers, et évaluer l’efficacité du traitement. Quand votre test pourrait-il être commercialisé ? Le socle de validation scientifique est très solide aujourd’hui. Il reste à réaliser les études de validation clinique, cancer par cancer, selon les guidelines réglementaires visant le remboursement. Le développement se fera comme cela se passe pour les médicaments, avec un essai de phase 2, monocentrique sur 100 à 200 patients, puis un essai de phase 3 multicentrique sur davantage de patients. Ces études sont très coûteuses, d’où la nécessité d’identifier des partenariats financiers. Nous avons créé, en 2011, l’entreprise Rarecells Diagnostics issue de l’université Paris-Descartes, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) et l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris, pour le développement et la commercialisation du test. L’entreprise recherche actuellement des partenaires financiers pour porter au public les tests Iset pour 3 tumeurs. La méthode répond à un réel besoin médical. Toutefois, nous sommes conscients que les avancées se feront pas à pas et qu’elles seront source de nouveaux questionnements. A qui proposer la recherche de CTC ? les études cliniques ciblant la population générale sont bien sûr plus coûteuses que celles sur populations à risque. Quelles guidelines adopter en cas de repérage précoce d’un cancer ? Comment gérer les différentes situations cliniques : dépistage, recherche de récidives, traitement d’un cancer en évolution ? Il faudra effectuer des études pour répondre, mais c’est une voie concrète pour améliorer la prise en charge des patients avec cancer dans le but d’améliorer leur survie. * Le Dr Paterlini-Bréchot déclare avoir une participation financière dans le capital de l’entreprise Rarecells, et avoir des liens durables et permanent avec cette entreprise (conseil scientifique, par contrat de concours scientifique entre Rarecells et l’université Paris Descartes selon la loi de l’Innovation).
Le test Iset, qui dispose d’un marquage CE, est déjà proposé (sans remboursement) au prix de 486 euros dans un laboratoire pilote français. Il consiste à prélever, traiter par dilution puis déposer le sang (10 mL) dans une cartouche contenant un filtre en polycarbonate, placée dans un appareil spécial. Celui-ci va traiter le sang par aspiration calibrée. Les cellules tumorales, plus grosses, sont ainsi retenues par le filtre, tandis que les petites cellules du sang le traversent par ses pores. Le filtre est ensuite colorié, immunomarqué, digitalisé et passé au crible par des opérateurs spécialisés. "Les images des cellules atypiques sont enregistrées et examinées par des cytopathologistes expérimentés qui étudient le cas clinique du patient et rédigent le compte-rendu", précise le Pr Paterlini-Bréchot. Il existe 7 à 8 autres tests de détection des CTC comme la méthode CellSearch, dont le principe repose sur une immunosélection des cellules exprimant EpCAM (epithelial cell adhesion molecule), un marqueur spécifique des cellules épithéliales. Dans un rapport publié en février 2019, l’Institut national du cancer (Inca) indique mener actuellement une dizaine de projets cliniques, (dont 5 au stade métastatique) dans des cancers du sein, du côlon, du poumon, de la prostate… pour évaluer les applications cliniques des CTC (valeur pronostique, pour orienter le traitement, décider dans les cancers localisés de la place d’un traitement adjuvant…) ou caractériser les CTC sur le plan moléculaire (recherche translationnelle et fondamentale). L’Inca considère que si "les applications cliniques potentielles des CTC sont larges et concernent toutes les étapes de l’évolution des cancers", "toutes les technologies présentent des limites dans la sensibilité ou la spécificité de détection". "Les travaux les plus avancés concernent", signale l’Inca, "les stades métastatiques, car le nombre de CTC est plus élevé chez ces patients", et "le taux de CTC est un marqueur pronostique validé dans plusieurs localisations tumorales telles que le cancer du sein, le cancer colorectal ou encore le cancer de la prostate". Il a aussi été établi que "l’évolution précoce du taux de CTC (avant et après le début du traitement) est un marqueur prédictif de réponse à la chimiothérapie". "Il serait important", estime l’INCA, "de mener des études dans des situations où il existe des options thérapeutiques alternatives (traitements possibles par immunothérapie ou thérapies ciblées par exemple)".
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