Rémunération

Docteurs juniors en médecine générale : qui touchera l'argent des consultations ?

Si les futurs docteurs juniors en médecine générale pourraient être amenés à facturer près de 12 000 euros de consultations par mois, leur rémunération sera plafonnée à 4500 euros net mensuels. Qui encaisse quoi ? Où va l'argent ? Autant de questions qui devraient être abordées ce mercredi 11 juin lors du comité de suivi de la réforme. 

10/06/2025 Par Aveline Marques
4ème année de MG Internat
Rémunération

"Imaginez un docteur junior qui fait 25 consultations par jour sur un temps plein. A la fin du mois, il a généré 12 000 euros. Cet argent, on veut savoir où il va et par où il transite", résume Bastien Bailleul, président de l'Isnar-IMG, en marge d'un atelier sur la quatrième année d'internat de médecine générale organisé dans le cadre du congrès de MG France, samedi 7 juin au Havre. La question, aussi capitale que complexe, sera d'ailleurs au menu du comité de suivi de la réforme, qui doit se tenir ce mercredi 11 juin au ministère.

Pour l'heure, l'équation a plusieurs inconnues. A commencer par celle posée par le statut hybride du docteur junior ambulatoire. Sur le papier, ce dernier est salarié du CHU, rémunéré sur la base d'un salaire fixe de 2 375 euros brut par mois. Mais le docteur junior sera amené à "encaisser des actes", dont le volume déterminera d'ailleurs le montant de sa "prime" à l'activité -  500 euros mensuels s'il atteint les 350 actes par mois. "Est-ce qu'on lui donne un numéro d'Assurance maladie dédié, avec une carte CPS dédiée ? Est-ce qu'il facture en son nom ? Au nom du maitre de stage ?", a questionné le Dr Raphaël Dachicourt, président du syndicat des jeunes généralistes installés et remplaçants Reagjir, au cours de cet atelier.

La procédure d'encaissement "n'est pas encore d'une clarté absolue", admet le Pr Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). "La demande des docteurs juniors, c'est de pratiquer le tiers payant systématiquement sur la partie AMO. Cette partie AMO va venir alimenter un fonds au sein de l'Assurance maladie, dans l'Ondam ambulatoire. Par contre, les docteurs juniors vont être payés par l'enveloppe Merri* pour leur salaire fixe, donc il va falloir qu'il y ait une sorte de transfert de cette part-là dans l'enveloppe Merri. Pour l'instant, la tuyauterie n'est pas complètement opérationnelle", poursuit-il.

On pourrait se demander si l'enjeu, ce n'est pas de rendre les choses le plus complexe possible pour montrer que derrière l'installation, c'est facile

Les choses se compliquent encore pour la part complémentaire (AMC). Il est là aussi question de permettre au docteur junior de l'encaisser. "Ensuite, il y aurait une estimation en fonction de son activité, du volume des actes : en cas de trop perçu, il y aurait un reversement... On imagine très bien les comptables s'arracher les cheveux là-dessus", ironise Raphaël Dachicourt. "J'ai l'impression que l'exercice qui se profile avec le docteur junior va être plus compliqué que mon exercice à moi…", remarque une généraliste dans la salle. "On pourrait se demander si l'enjeu, ce n'est pas de rendre les choses le plus complexe possible pour montrer que derrière l'installation, c'est facile", plaisante Olivier Saint-Lary.

Les représentants des internes, des généralistes et des enseignants sont unanimes : il aurait été plus simple de "partir de l'existant" en optant pour une rétrocession sur le modèle du remplacement. Privilégiée par les auteurs des deux rapports sur l'accompagnement et le suivi de cette réforme, cette solution aurait permis aux docteurs juniors de mettre les mains dans le cambouis de la gestion d'un cabinet libéral et de toucher la réalité d'une installation. "L'objectif de cette quatrième année, c'était la professionnalisation", rappelle Raphaël Dachicourt. "D'avoir une première année d'exercice, avec un cadre universitaire. Et on a complètement balayé ça, on garde un statut salarié et on n'a pas cette première expérience libérale, pour comprendre les rouages : comment marchent les cotisations Carmf, Urssaf… Tout ça, les jeunes internes qui ne l'ont pas expérimenté avec le remplacement sont complètement perdus", témoigne-t-il.

"Forcément, on se dit pourquoi arriver sur un tel modèle ? Est-ce qu'il y a une volonté d'économiser sur le dos de l'activité des docteurs juniors ?", lance le représentant syndical. Car si les docteurs juniors les plus actifs pourraient encaisser jusqu'à 12 000 euros de consultations, leur rémunération plafonnera à 4500 euros net – prime PDSA incluse. "Quand je vois les chiffres affichés sur l'écran, je me dis : il y a de l'argent qui a disparu dans la nature, il est passé où ?, interpelle un généraliste, présent ce samedi. On a l'impression qu'il y a une arnaque complète, de l'argent détourné ; il y a des gens qui se font du fric sur le dos des docteurs juniors !"

"C'est l'un des points dont on discute", répond prudemment Olivier Saint-Lary. "En réalité la réforme est autofinancée, il va rester de l'argent, reconnaît le président du CNGE. Au lieu qu'il se dissipe en frais de gestion ou en comblement du trou de la Sécu, il nous semble qu'il serait mieux utilisé s'il permettait de mettre à l'équilibre les cabinets qui accueillent les docteurs juniors." L'argument a, semble-t-il, fait mouche auprès du ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux Soins, Yannick Neuder, qui a finalement accordé samedi une rallonge pour l'indemnisation des maitres de stage universitaires (MSU) : la "prime" de 800 euros initialement dévolue aux MSU installés dans les zones d'intervention prioritaire (ZIP) sera étendue aux confrères dont les cabinets sont situés dans les zones d'action complémentaire (ZAC) voisines ainsi que dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). 

Ce point de blocage étant levé, une "deuxième phase de travail" va s'ouvrir pour mettre en place "ces mécanismes complexes entre la Cnam, les MSU et les étudiants", a confirmé le ministre. 

 

*Les Merri financent la participation des établissements de santé aux missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation. 

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Claire FAUCHERY

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1 débatteur en ligne1 en ligne
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Médecins (CNOM)
il y a 6 mois
Effectivement, une simple rétrocession sous la même forme qu'un collaborateur, c'était à la fois simple, efficace, compréhensible, professionnalisant, et surtout logique. Quitte à faire en 3 parts, 1 part pour lui, 1 part pour le MSU, et 1 part pour l'université (recherche en medG par exemple). Ça aurait limité la différence de revenus avec les autres internes, autofinancé le système, et poussé l'interne à travailler pour gagner plus. Bref un système vertueux. Mais là avec cette stupide usine à gaz, personne ne comprend rien, et il va falloir créer X postes administratifs pour (mal) gérer ce foutoir.
Photo de profil de Rodolphe  GIRARDET
1,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 6 mois
C’est bien la preuve que cette quatrième année d’internat n’a pas été ajoutée pour améliorer la formation des internes mais bien pour les utiliser 1/ Pas d’accès au secteur 2 2/ Budgets contraints pour les salaires et la rémunération du MSU 3/ Les maires qui ont oublié qu’il y aura 3700 remplaçants en moins cette année devront attendre la rentrée 2026 pour les voir arriver sur le marché du travail. Hors de question de les exploiter dans nos cabinets en tout cas.
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875 points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 6 mois
Il y une constante: ne pas mesurer l’efficience. Il y a des modalités infinies et des complexités sans limite pour ce faire. Bienvenue dans la médecine d’état post soviétique. Le pire n’est jamais sûr il devient probable. Et pendant ce temps on approche de la pénurie de trésorerie car les prêteurs sont de plus en plus méfiants! Rappelez-vous, tous ceux qui vous ont opposé cette affirmation d’une immense stupidité dans tous les repas où vous avez osé aborder le problème de la dette : « on ne la remboursera jamais », « il y aura toujours des gens pour nous prêter de l’argent ». CQFD
 
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