"Pourquoi je me suis résigné à faire mes adieux à la médecine générale"

25/06/2019 Par Adeline Farge
Témoignage
Installé depuis 26 ans à Plonéour-Lanvern, le Dr Serge Moulin est décidé à prendre le large dès la rentrée prochaine. Pourtant, à 54 ans, ce généraliste du Finistère avait encore une douzaine d'années d'exercice devant lui. Son départ prend sa source dans des divergences devenues insurmontables avec son associée, puis avec la mairie. La création d'une maison médicale sur deniers publics a précipité le divorce.

  "Le désaccord ne date pas d'hier. Après avoir exercé pendant treize ans au côté de mon ancien associé qui partait à la retraite, j'ai proposé en 2016 à une jeune généraliste originaire de la région parisienne venue visiter la commune, sur une invitation du maire, de me rejoindre pour remplacer ce départ. Très rapidement, nous nous sommes mis d'accord sur le montant du loyer puis sur le coût du rachat des parts du cabinet. Las, nos relations n'ont pas tardé à s'envenimer. Au bout de quelques semaines, ma collègue a commencé à remettre en question les montants que nous avions définis ensemble. Comme c'était une jeune praticienne qui s'installait, mon ancien associé et moi-même avons baissé le loyer à 500 euros, contre 800 euros prévu initialement. Concernant le montant des parts, mon associé a accepté de les lui vendre à 90 000 euros au lieu des 100 000 euros. Ces promotions n'ont pas suffi à calmer les tensions au sein du cabinet. Alors que ma collègue s'était engagée oralement au moment de son installation à racheter les parts du cabinet, au bout de quelques mois, quand il a fallu conclure le marché, cette dernière a refusé au motif que le cabinet était devenu trop vétuste. Pourtant, lors de sa première visite, elle n'avait émis aucune remarque particulière. Avec mon ancien associé, nous nous sommes dit qu'elle avait peut-être raison et nous avons entrepris des travaux de rénovation pour remettre le cabinet aux normes. Rien n'y a fait. Six mois après son installation, au moment où j'avais été arrêté brièvement en raison d'un infarctus, elle a demandé à me rencontrer pour m'annoncer qu'elle voulait quitter notre association pour fonder une maison médicale dans la commune. J'ai alors compris qu'elle était devenue mon associée par opportunisme, seulement dans l'idée de créer sa clientèle. La mairie vend un terrain pour un euro symbolique Malgré cette profonde mésentente, notre collaboration a joué les prolongations pendant trois ans. Ce n'est qu'au 1er septembre 2019 que le médecin et la remplaçante du cabinet vont... plier bagages pour s'installer dans des préfabriqués financés par la mairie. Ces locaux de fortune leur serviront de cabinet provisoire en attendant que la construction de la maison médicale soit achevée, au minimum dans un an. Pour faire avancer le dossier, la collectivité a également concédé à leur vendre pour un euro symbolique un terrain de 2800 mètres carrés. Ce sont les élus de l'opposition qui m'ont averti de la création de cette maison de santé financée avec l'argent de la commune. Lorsque j'ai pris connaissance du projet, je suis allé directement voir la maire pour la prévenir que celui-ci risquait de provoquer le licenciement de la secrétaire et la fermeture de mon cabinet. La maire m'a alors assuré qu'elle ne donnerait pas de l'argent à un médecin privé. Pourtant, lors du conseil municipal du 8 avril dernier, la transaction a été actée. On m'a donc menti. Je suis écœuré par les arrangements qui se sont faits derrière mon dos alors que je suis médecin dans la commune depuis 26 ans.

Je trouve cela anormal en tant que médecin libéral de réclamer de l'argent public

Selon mes informations, la préfecture a cassé la décision du conseil municipal car les Domaines n'ont pas été consultés avant cette pseudo-vente. Pour attirer des médecins, la mairie est donc prête à se mettre dans l'illégalité en leur promettant de subventionner leur maison médicale avec les deniers publics. En plus, de quel droit une mairie se permet de subventionner un médecin qui souhaite changer de lieu d'exercice ? Je trouve cela anormal en tant que médecin libéral de réclamer de l'argent public pour financer son activité et payer ses charges. On ne peut pas imaginer un boulanger qui créerait une boutique avec l'argent de la commune. Ces prises de position de la mairie ont précipité mon départ.

Sans compter que me retrouver seul dans mon cabinet après la rentrée peut engendrer de nombreuses difficultés. D'abord, je devrais assurer seul... le paiement des charges et du salaire de la secrétaire. Ces frais s'élèvent chaque mois à près de 3000 euros. Cela n'est pas possible. Ensuite, mon ex-associé, qui est toujours propriétaire du cabinet, touchait un loyer de la part de ma consœur. À partir du moment, où il ne le recevra plus, il voudra sûrement vendre notre local et je ne pourrais pas m'y opposer. Malgré la fermeture programmée du cabinet dans lequel j'ai investi, je n'ai pas envie de rejoindre la maison médicale. Je n'en vois pas l'intérêt. Là-bas, je ne serais pas tout seul à décider et je ne suis pas en accord avec les pratiques des nouvelles générations de médecins. Par souci d'économies, ces praticiens n'ont pas envie de s'embarrasser d'une secrétaire. Ils préfèrent gérer leur rendez-vous avec des outils en ligne qui coûtent certes moins chers mais qui offrent un service moindre à la population, comme par exemple avoir une ordonnance sans payer une consultation. 2000 patients sur la sellette Je me suis donc résigné à faire mes adieux à la médecine générale. Dès la rentrée prochaine, je vais endosser les fonctions de médecin des gens de mer, un service de santé qui est rattaché à la direction des Affaires maritimes de Guilvinec. Mon nouveau rôle sera de réaliser les visites médicales annuelles d'aptitude, d'assurer les visites de contrôle de conformité des navires, de transmettre les gestes de premiers secours aux marins… Reste qu'avec mon départ, mes 2000 patients risquent de se retrouver sans médecin traitant. Le bassin de vie de Plonéour-Lanvern est déjà touché par la pénurie de médecins généralistes. Quand je me suis installé, nous étions six médecins, mais avec les départs à la retraite qui n'ont pas été remplacé, aujourd'hui, nous ne sommes plus que trois médecins pour 8000 habitants. Et les jeunes collègues vont sûrement refuser de prendre en charge de nouveaux patients, qui sont pour beaucoup âgés et qui ont une mobilité réduite. Quand j'ai annoncé mon départ aux infirmières de la maison de retraite, elles étaient catastrophées. Elles seront désormais obligées de faire appel à des médecins extérieurs à la commune."   Note de la rédaction : dans un souci d'équité et de neutralité, nous avons sollicité le témoignage de l'ex-associée du Dr Moulin, sans réponse à ce jour.

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