Ces diabétiques qui ont fait l'Histoire

29/04/2017 Par Aveline Marques
Histoire

Quel est le point commun entre Louis XIV, Georges Clémenceau, le général de Gaulle et Liz Taylor ? Ils souffraient tous de diabète. Archéologue dans l'âme, le Dr Françoise Guillon-Metz, endocrinologue-diabétologue qui a exercé durant 30 ans au CHU de Caen, a remonté le temps à la recherche de cas cliniques plus ou moins connus, retraçant ainsi l'histoire de cette vieille pathologie. Une façon de montrer aux patients d'aujourd'hui, pour qui la maladie reste "honteuse", que certains diabétiques "ont bien réussi dans la vie". Morceaux choisis de son ouvrage, Les Grands diabétiques de l'histoire, paru aux Ed. Zinedi.   La reine Hatshepsout Georges Clemenceau Nasser  Trois questions au Dr Françoise Guillon-Metz     La reine Hatshepsout - Nouvel Empire, XVIIIe dynastie, vers 1495-vers 1445 av. J.-C. De l’union du pharaon Thoutmôsis Ier et de la grande épouse royale Ahmès naît celle que l’on appellera Hatshepsout. À sa naissance, les dieux transmettent santé, richesse, force, bonheur à la reine. Ce mythe est également raconté sur son temple funéraire de Deir el-Bahari (4-51). Mais à la mort du pharaon, Ahmès ne lui a donné aucun héritier masculin. C’est la raison pour laquelle un fils, né de l’union avec une épouse secondaire, monte sur le trône et prend le nom de Thoutmôsis II. Pour légitimer cette prise de pouvoir, ce dernier doit épouser sa demi-sœur Hatshepsout, fille du couple royal officiel. Malheureusement, il décède très jeune, probablement avant d’atteindre 30 ans. Durant ce règne très court, Hatshepsout ne lui donne pas d’héritier masculin, juste une fille prénommée Néférourê ce qui est déjà notable, compte tenu de la consanguinité des parents. C’est donc l’enfant conçu avec une épouse secondaire, Isis ou Eset, qui accède au trône : Thoutmôsis III. Il est donc par extension le neveu d’Hatshepsout. Cependant, après le décès de son père, le jeune Thoutmôsis III ne peut encore gouverner, c’est donc Hatshepsout qui, légitimement, assure la régence, en attendant que son neveu soit en âge d’assumer les fonctions royales (4-51). L’Égypte tout entière lui reconnaît ses qualités pour gouverner le pays qu’elle administre avec l’aide de son fidèle conseiller Sénènmout. Si, officiellement reconnu comme fils de Râ, Thoutmôsis III la fait écarter du trône, son autorité reste entre parenthèses. Sa tante détient tous les pouvoirs ; lui-même se contentant des cérémonies royales. C’est ainsi qu’après quelques années de régence environ cinq ans , grâce au très puissant culte de Râ, Hatshepsout se fait couronner pharaon, elle devient le cinquième souverain de la XVIIIe dynastie. Cette histoire est relatée dans les fragments du temple d’Aménophis III à Louxor. Il est dit que Hatshepsout est la fille d’Amon-Râ, mêlé à Thoutmôsis Ier et à la reine d’Égypte Ahmès. Amon-Râ aurait déclaré : « Elle s’appellera Hatshepsout et elle régnera sur l’Égypte entière, et je lui donnerai ma gloire, mon autorité, ma couronne, et ma divine protection.» Très vite, Hatchepsout se débarrasse de ses attributs de reine et d’épouse royale pour les remplacer par le nemes et la barbe postiche du pharaon. Les symboles forts de la royauté égyptienne accroissent sa légitimité auprès du peuple. C’est la raison pour laquelle elle se fait souvent représenter avec ses attributs d’homme. Son règne est placé sous le signe de la paix, elle préfère développer le commerce plutôt que la guerre. Les États voisins restent soumis, la prospérité s’installe. Hatshepsout se distingua de ses prédécesseurs par son intelligence, sa perspicacité, sa fougue, son dynamisme. Elle réussit à se maintenir au pouvoir pendant une quinzaine d’années, sans compter les cinq années de régence. Durant cette période, un de ses objectifs est probablement d’embellir l’Égypte tout entière. On lui reconnaît, en effet, de nombreux travaux de restauration de monuments bâtis par ses prédécesseurs, souvent détruits par les Hyksôs. Le temple de Karnak est agrandi, magnifié, notamment par l’ajout d’obélisques. Elle fait aussi construire l’île Éléphantine près d’Assouan, deux obélisques et un temple en l’honneur du dieu Khnoum. La plus magnifique des réalisations reste son temple funéraire de Deir el-Bahari, que les Égyptiens nomment « le Sublime des Sublimes » ou « le Magnifique des Magnifiques ». Le règne incontesté de la sublime « Dame du Nil » s’achève vingt-deux ans après son accession à la régence du royaume, Thoutmôsis III prend enfin la suite. On ne connaît pas exacte-ment la cause exacte de sa mort. Il est possible que son neveu, jaloux, ait décidé de l’assassiner pour prendre le pouvoir. Elle peut aussi être morte de sa belle mort. Le règne d’Hatshepsout est considéré comme l’un des plus marquants de la XVIIIe dynastie. Le 27 juin 2007, avant le printemps arabe, le très célèbre et sourcilleux Zahi Hawass, secrétaire général des antiquités égyptiennes au Caire, a annoncé : « La momie de la reine Hatshepsout a été enfin retrouvée. » L’histoire commence en 1903, lorsqu’on a découvert deux momies dans la tombe KW60 (vallée des Rois). L’une est clai-rement identifiée comme étant la nourrice de la grande reine Hatshepsout. Posée à côté de celle-ci, à même le sol, la momie d’une femme obèse gît, soulevant de nombreuses interrogations parmi la communauté égyptienne. Ce n’est qu’environ un siècle plus tard que l’énigme est résolue, à partir d’une dent contenue dans un vase canope portant le cartouche de la reine, l’identification étant rendue possible. D’après Zahi Hawass, il manque une dent à la seconde momie de la tombe KW60. Les analyses ADN sont réalisées pour retrouver le lien de parenté entre la femme obèse et Néfertari...

grande épouse royale du pharaon Aménophis (XVIIIe dynastie). Les résultats montrent le lien de parenté entre toutes ces momies : il s’agit bien de celle de la reine Hatshepsout. La preuve n’est bien sûr pas formelle, mais il y a très peu de risques que la déduction soit erronée, étant donné la date de construction de la tombe et le fait que la première momie soit celle de la nourrice de la « Sublime Dame du Nil ». Les analyses du squelette d’Hatshepsout montrent qu’elle était obèse, et vraisemblablement diabétique, avec des signes d’affection dentaire. Elle serait morte vers l’âge de 50 ans. Son neveu et successeur, Thoutmôsis III, à la mort de celle-ci, s’empresse d’effacer ses cartouches et, a priori, déplace sa dépouille pour faciliter son oubli de l’histoire…

La Sublime Dame a pu mourir de diabète gras, mourir aussi de maladie infectieuse (traces d’abcès dentaire). Une alimentation probablement riche, « celle des nobles », et une médecine inefficace n’auront pas empêché une certaine longévité de la reine, à une époque où les puissants devaient « choisir de mourir » de maladies inconnues, de fièvres diverses ou de mort violente. C’est la prévalence assez importante du diabète de type 2 dans ces populations qui me fait dire qu’il s’agit là d’une des plus anciennes observations connues de diabète de type 2. Pour cette époque, c’est un âge de mortalité assez avancé, mais beaucoup moins que la durée de vie de Ramsès II (70 ans). D’autres momies de divers musées devraient être regardées sous l’angle du diabète, ce qui permettrait d’étoffer le sujet.

    Georges Clemenceau - 1841-1929 Issu d’une famille médicale vendéenne, Clemenceau, lui-même médecin, reste un Vendéen (il s’est revendiqué vendéen avant d’être parisien, bien qu’ayant eu une carrière parisienne). On est frappé par la belle longévité de cet homme qui a tant agi et tant écrit. Et pourtant, on ne peut pas dire que sa santé fût solide. On sait qu’il doit soigner son estomac dès 1891 par des cures annuelles à Karlsbad : vingt-deux au total (4-41). Il ne parle guère plus de ses douleurs apparues lors de son premier ministère, mais diverses complications apparaissent dont il faut dire un mot. Pour un homme d’action responsable de millions de citoyens, il est évident que les problèmes physiques ont une importance historique. Imaginons que Clemenceau soit mort en 1912, le destin de la France n’aurait peut-être pas été le même : il a alors des symptômes prostatiques graves. Ne voulant pas rester diminué, il préfère risquer l’opération (prostatectomie). Suite à cette intervention, il dédicace une photo « à Gosset qui m’a sauvé la vie ». En février 1919, il reçoit trois balles de sept millimètres tirées par Émile Cottin en haut du boulevard Delessert ; l’une se loge contre la crosse de l’aorte et ne put jamais être extraite ; des radiographies nous la montrent clairement. Les chirurgiens Gosset et Tuffier le remettent sur pied en quinze jours. Il a toujours une vue excellente, surveillé en cela par son ami le professeur Coutela qui a opéré Claude Monet de la cataracte. En 1920, Clemenceau et Monet ont un accident de voiture près de Fontainebleau. On les emmène tous deux à l’hôpital et Clemenceau s’en tire avec douze points de suture (4-41). Le tigre est solide… Clemenceau pâtira longtemps de deux affections : la faiblesse de son larynx, il en souffre gravement en juin 1916 et en est gêné lorsque Raymond Poincaré fait appel à lui en novembre 1917. Il prend mille précautions pour pouvoir mener ses entretiens avec Wilson, Lloyd George et Orlando, et se fait suivre notamment par le Dr Wicart. D’autre part, il est diabétique déjà depuis bien avant la guerre. Au Dr Dartigues [Fondateur en 1912 de l’Union médicale latine] il dit, en 1927 : « On ne sait pas que j’ai fait la guerre avec quarante grammes de sucre dans les urines. » Demandant au Dr Laubry s’il sait ce qu’est le diabète, celui-ci lui avoue : « Je ne sais rien ! – Eh bien alors, vous êtes moins bête que les autres. » Il se soigne à l’insuline, découverte en 1922 par les Canadiens Banting et Best, il est l’un des premiers à en recevoir (par la valise diplomatique) (4-41). Dans sa blague impénitente, il répète : « Il n’y a qu’un pancréas que j’aimerais avaler. » Et là-dessus, il nommait tel de ses ennemis. Bien qu’il fasse sans cesse des plaisanteries sur ses médecins et notamment sur le Dr Florand qui a une jambe de bois , il se souvient de ses propres diplômes médicaux et s’intéresse aux préparations médicamenteuses qu’il prend ponctuellement. « Il était extrêmement sceptique mais il se soignait et absorbait beaucoup de médicaments, il avait une grande admiration pour le corps médical et les médecins, ses confrères. Il aimait les faire parler, il était extrêmement reconnaissant de ce que l’on faisait pour lui. » (Jubilé médical posthume de Clemenceau par le Dr Dartigues) Notons enfin une maladie de peau qui irrite ses mains...

et l’oblige à porter des gants en permanence, d’autant plus que le soleil développe l’inflammation. Il s’agit en réalité d’un eczéma. Au début de l’été 1927, Clemenceau souffre depuis plusieurs jours, lorsque son état s’aggrave subitement, il est alors soigné par les Drs Laubry et Florand. Le 11 juillet, selon une dépêche de son secrétaire, « aucune maladie bien caractérisée n’affecte M. Clemenceau. Certains organes, notamment le cœur et les poumons, fonctionnent toujours admirablement ; mais on constate un déclin sensible des facultés cérébrales de l’ancien président ». Malgré la maladie, l’intelligence reste toutefois aussi vive qu’autrefois. Dès le 13 juillet, le Tigre se porte mieux ; il va encore vivre deux ans et cinq mois et écrira un livre durant la dernière année de sa vie. Au cours de cette période, les épreuves se succèdent sans relâche, il perd plusieurs de ses frères et sœurs. En 1926 ses meilleurs amis Gustave Geffroy et Claude Monet décèdent. Tous ces deuils provoquent en lui une tristesse profonde, il est très désemparé, seule l’amitié de ses anciens collaborateurs et surtout celle de Marguerite Baldensperger parviennent à l’aider. Dans son entourage s’ajoutent la disparition du docteur Florand, en août 1927, ainsi que celle de sa fameuse cuisinière Clotilde, qu’il a toujours traitée en amie, en septembre 1929 (4-43). Dans ses Lettres à une amie, on peut lire un certain nombre de jugements du vieux Clemenceau sur sa santé déclinante : « Je suis en bon état, je fais un peu de gymnastique tous les jours et n’éprouve aucune fatigue, parfois la fatigue réglementaire, le corps lourd, les jambes molles, le cerveau de plomb. » Le 7 juillet 1927, il repart pour la Vendée, d’où il écrira : « Ici la chaleur est exorbitante. Vie lourde avec une surabondance de travail dans des papiers désordonnés, la tête peut aller encore, mais les jambes sont déplorables, le cœur tient bon, je peux aller encore un peu, caractère exquis comme à l’ordinaire. Mes chevilles sont gonflées, je ne sais plus où mettre les jambes, impossible de travailler, je suis crevé au point que je vais renoncer au travail pour toute la journée, c’est un mauvais signe et puis j’oublie les idées, les mots, je me demande si j’en finirai jamais… je suis de plus en plus énervé par le désordre de mes papiers qui me font perdre beaucoup de temps. » Tout son entourage le trouve extrêmement fatigué, vieilli, il a la mine mauvaise, les yeux jaunes, le masque terreux. Le domestique signale que son patron a eu en Vendée deux crises de délire au cours desquelles il prononce des phrases incohérentes. À partir du 21 novembre 1929, la situation empire, Clemenceau souffre d’une crise d’urémie, le cœur devient mauvais, la respiration de plus en plus pénible, les reins fonctionnent très mal. Il meurt trois jours plus tard. Tout porte à croire qu’il a beaucoup souffert.  

Diagnostic : Diabète de type 2 insulino-traité et insuffisance rénale terminale.

    Nasser (Gamal Abdel Nasser) - 1918-1970 On le dit inculte dans les milieux intellectuels à Alexandrie (4-25). D’extraction modeste, il opte pour l’uniforme afin d’échapper à la faim et comprend très vite que l’avancement se conquiert dans les couloirs de l’état-major (4-25). Autodidacte, il a eu un seul maître à penser : Kamil Pacha, politicien cairote, mort en 1908. Kamil réveille l’orgueil national et islamique contre les Anglais. En 1955, Nasser flirte depuis plus d’un an avec l’Union soviétique. Cette dernière a déjà équipé ses troupes en matériel moderne, aidé à la construction du barrage d’Assouan en participant au financement et avec la coopération de ses techniciens barragistes, espérant assurer sa pénétration politique en Afrique. Peu après son élection au pouvoir suprême en 1956, Nasser décrète la nationalisation du canal de Suez. (4-25) L’homme est grand 1,84 m, 96 kg dans ses dernières années. Il fait penser à la statue du scribe debout au musée du Caire, de lourd granit gravé, couleur du Nil pendant la crue, très haute Égypte. Son visage, alourdi par de formidables mâchoires qu’on dit celles d’un mangeur de viande lui qui n’en consomme guère, préférant les fèves, le riz et le fromage, comme un fellah , lui confère une vraie noblesse (4-24). Il travaille beaucoup, fume un paquet de Craven A par jour et ne néglige pas le whisky. C’est un grand fumeur et un solide mangeur (4-24). En juillet 1956, à l’époque où Nasser est seul à la barre et où il élimine ses concurrents et les Anglais, il est souffrant. Il ignore à l’époque la nature du désordre organique qui le domine et qu’il sent, par moments, monter. En 1967, lors de la guerre des Six Jours, les troupes de Moshe Dayan infligeront une défaite cuisante à l’Égypte. Nasser nie la défaite et la transforme en victoire personnelle comme en 1956 (4-25). Sa villa, sur la route qui mène à l’aéroport, change tous les ans, elle s’agrandit, d’abord confortable puis luxueuse, pour devenir un véritable palais. Jusqu’en 1958, il joue au tennis trois fois par semaine, sa principale détente. Il se fait construire un énorme bureau sur l’emplacement du court de tennis, car il dit qu’il ne peut plus ni courir, ni sauter. Le souffle est encore bon, ce sont ses jambes qui ne suivent plus. Les crampes paralysent les muscles de ses mollets et de ses cuisses, ce qui le fait souffrir au point d’entraver la simple marche. Il consulte le Dr Anouar El Mufti, qui ne restera pas longtemps son médecin après cette déclaration... :

« Nasser est un grand diabétique, ignoré depuis trop d’années, la maladie atteint un stade grave, artérite des membres inférieurs, d’autres complications suivront, assure le médecin, et menaceront peut-être les facultés du Raïs ce qui le rendrait inapte à diriger le pays. » (4-24) Le Dr Anouar El Mufti paye cher sa franchise. Sur ordre, le patron des services secrets le fait empoisonner. Nasser est affecté d’un diabète de type 2, dit gras, le plus courant. Il frappe les sédentaires, les pléthoriques, les gros mangeurs. À deux reprises, en 1968 et 1969, il envisage de se retirer. Pendant l’automne 1968, souffrant cruellement d’une artérite à la jambe droite, il fait part pour la première fois à son ami Heykal de ses intentions. Il vient de suivre trois semaines de cure dans une station de Géorgie et se trouve à Alexandrie, en convalescence. Les deux hommes conviennent qu’il faut tabler sur une éventuelle guérison, mais des complications coronaires interviennent, provoquant une première crise cardiaque en septembre 1969 (4-24). En janvier 1970, au lendemain d’un raid israélien, il part en grand secret pour Moscou (4-24). Fin juin 1970, le président Nasser quitte une fois de plus Le Caire pour Moscou. Il y fait l’un de ses plus longs séjours. On se perd comme toujours en conjectures sur la teneur des entretiens, et des soins médicaux qu’il a reçus deux fois, avec ses hôtes Brejnev et Kossyguine. Nasser souffre depuis dix ans de diabète. Il travaille douze à quatorze heures par jour. Le chef d’État égyptien envisage à nouveau de démissionner. À son confident qui lui conseille d’alléger encore son travail il déclare : « Impossible, chaque délégation qui vient en Égypte veut me rencontrer à l’occasion. Je dois, ne sais-tu pas, me montrer en public. En plus, je dois décider personnellement de toutes les questions concernant la bataille. » En fait, chez lui, le diabète est diagnostiqué lors de l’appari¬tion des premières complications. Une forme d’artérite des membres inférieurs, hypertension artérielle, angine de poitrine, athéromateuse cérébrale, infarctus du myocarde. Il n’y a pas de polynévrite, ni de paralysie et d’insuffisance rénale (4-24). Il semble que Nasser ait fait plusieurs comas hyper-glycémiques. À chaque fois ils ont été déclenchés par un écart banal dans sa diète alimentaire, ou par la fatigue, ou par un choc psychique. Chez le Raïs, la glycémie dans le sang monte alors jusqu’à 4 à 5 gr/l (4-24). Attentifs à la forme physique de leur allié majeur en Afrique du Nord, les Soviétiques re¬marquent vite que la démarche de Nasser a changé. Ils profitent de l’un de ses voyages à Moscou, en juillet 1968, lorsqu’il vient commander les avions de chasse capables de rivaliser avec les Phantoms américains de l’aviation israélienne, pour lui proposer un bilan de santé approfondi. Ce bilan confirme l’aggravation de l’artérite détectée par le Dr Anouar El Mufti. L’artérite explique l’accroissement des crampes, l’engourdisse¬ment et la raideur des jambes ; des ulcères variqueux imposent un traitement rapide. Une chirurgie vasculaire peut également libérer cette zone artérielle. Les Soviétiques préfèrent d’abord conseiller un traitement thermal à neuf kilomètres de Koutaïssi, en Géorgie, dont les eaux minérales sont réputées pour combattre les maladies inflammatoires. Nasser s’y installe en juillet 1968 et est confié pendant trois semaines au Dr Chazov, sans grand succès. Son état ne cesse de se dégrader. Nasser renonce alors à ses soixante-dix à quatre-vingt cigarettes quotidiennes. Il observe une diète glucidique convenable, mais il est trop tard : il paie vingt ans d’excès de whisky, de tabac et d’absence de soins rationnels. En septembre 1969, le Raïs s’alite. La situation, pourtant, n’est pas favorable. Officiellement, Nasser souffre d’une mauvaise grippe contractée en début de mois, peu avant l’ouverture de sa conférence avec les chefs d’État de l’Irak, de la Syrie, et de la Jordanie. Le communiqué médical précise qu’il se retire des affaires pour six semaines, en réalité, il vient de faire un infarctus. Le Dr Chazov dirige l’équipe soignante. Hormis les médecins, sept personnes de la classe politique seulement connaîtront la nature de son mal, même son épouse ne sera pas informée de son état. Le Dr Chazov avertit Nasser que ses jours sont en danger. Après cet infarctus, Nasser devient très fatigable, confus, il mélange les affaires du passé et les fantasmes récents, il perd parfois le fil de sa pensée, oublie les faits concrets. Il s’agit parallèlement d’une atteinte cérébrale. L’infarctus étant survenu en 1969, on peut situer le début de son diabète aux environs de 1960 (4-24). Souvent, de petites lésions cérébrales, avec ces petits infarctus, escortent cette symptomatologie. Le 28 septembre 1970, Nasser se sent si épuisé, qu’il n’aspire plus qu’à dormir. À 16 heures, un électrocardiogramme montre qu’il est dans une crise cardiaque, un nouvel infarctus. On applique les électrodes du défibrillateur pour le réanimer. Durant trois heures, les cardiologues s’acharnent, l’organisme ne réagit plus. Il a 52 ans. L’infarctus final, sans douleur apparente hormis une fatigue extrême, emporte le président malgré les soins prodigués : chocs électriques externes, oxygène, massages cardiaques.  

Diagnostic : Un diabète de type 2 négligé chez un mangeur et fumeur devenu au fil du temps sédentaire sans obésité majeure, avec stress et complications cardio-cérébrales fatales.

    Trois questions au Dr Françoise Guillon-Metz Egora: Quelles sont les grandes étapes de l'histoire du diabète ? Françoise Guillon-Metz : Le diabète est connu depuis l'Antiquité: il était déjà évoqué dans les manuscrits égyptiens.  Le nom vient du grec : dia, "au travers", et bêtês, "passer"; une référence à la polyurie et à la polydipsie du diabète de type 1. Le diabète de type 2 était moins clair pour eux. Seuls les médecins ayurvédiques faisaient la distinction. Galien et Hippocrate ont assez peu évoqué la maladie, qui devait être peu fréquente et dont on mourrait rapidement. Galien a décrit un cas, mais n'a pas fait le rapprochement. Pendant l'Antiquité et le Moyen Âge, le diagnostic était fait en mirant et goûtant les urines. Les médecins arabes, Avicennes notamment, ont mis en évidence les maladies infectieuses : les furoncles, la phtisie (la tuberculose), les gangrènes, etc. Mais comme dans beaucoup de maladies, ce n'est qu'au 19e siècle qu'on a commencé à s'intéresser vraiment au diabète.   Pourquoi avoir entrepris cette "archéologie du diabète"? D'abord, j'ai toujours beaucoup aimé l'histoire. Ma thèse de médecine portait d'ailleurs sur la scoliose en paléo-pathologie. Au cours de ma carrière, j'ai rencontré beaucoup de patients pour lesquels le diabète était une maladie honteuse, surtout pour les jeunes. Ils ont une espèce de mésestime d'eux-mêmes ; les contraintes d'hygiène de vie font qu'ils ne sentent pas comme les autres. Je voulais leur montrer qu'il y a des gens qui ont eu du diabète comme eux et n'ont pas mal réussi dans la vie! Enfin, quand j'étais à l'hôpital, je faisais beaucoup de formations pour les médecins généralistes ; je me rendais compte qu'au bout d'un certain temps, la physio-pathologie les lassait. Je glissais de temps en temps une observation historique et ça animait favorablement le débat.   Quelles ont été vos difficultés ? C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il y a des cas que je connaissais déjà, comme Louis XIV, Courteline, Lully ou Charles Quint, et d'autres que j'ai découvert par hasard, comme Marie Bonaparte. Dans sa biographie, j'ai lu qu'elle avait reçu de l'insuline, c'est donc qu'elle était diabétique. Balzac, il a fallu que je cherche car il y a très peu de bibliographie. J'ai découvert des cas via le site de l'Association américaine du diabète, qui liste tous les diabétiques connus : des personnages historiques, des sportifs, des acteurs de cinéma… J'ai vu le nom d'Hafez el-Assad et c'est en me rendant aux Etats-Unis que j'ai trouvé de la bibliographie. Comme pour Nasser et pour les Russes, on ne parlait pas de son diabète. L'homme d'Etat n'est jamais malade. Et plus la biblio est ancienne, plus c'est difficile. Les historiens n'ont pas d'œil médical, la plupart du temps.

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