Rugby santé. Crédit photo : Fabrice Dimier

Le Rugby Club Paris 15 a récemment ouvert sa section rugby santé. Crédit photo : Fabrice Dimier.

"Ce n'est pas que pour les gens en bonne santé" : quand le rugby soigne les malades chroniques sur ordonnance

Le Rugby Club Paris 15 a récemment ouvert sa section rugby santé. Il entend convaincre les médecins prescripteurs et les patients que cette version du rugby à cinq, adaptée et encadrée, est non seulement sécuritaire mais aussi très bénéfique.

10/11/2025 Par Pauline Machard
Reportage Patients
Rugby santé. Crédit photo : Fabrice Dimier

Le Rugby Club Paris 15 a récemment ouvert sa section rugby santé. Crédit photo : Fabrice Dimier.

Mardi 9 septembre, terrain de rugby du Parc omnisport Suzanne Lenglen, dans le 15e arrondissement de Paris. Il est 17 h, des joueurs prennent place. Ils participent au deuxième entraînement depuis la rentrée de la section rugby santé du Rugby Club Paris 15 (RCP15), lancée fin juin. Sur ordonnance, ce sport s’adresse aux personnes en affection de longue durée (ALD) ainsi qu’aux patients chroniques. Mais aussi à ceux ayant des facteurs de risque et aux sédentaires. "On n’aime pas faire dans l’exclusivité, on essaie d’être inclusifs", glisse malicieusement Antoinette Dufeigneux, éducatrice socio-sportive.

Sur la pelouse, Jean-Claude, 76 ans, un plaquage de cancer de la prostate à son actif. C'est dans le cadre d'un protocole de remise en forme que l'activité physique adaptée lui a été proposée. À l’occasion d'une séance, il tombe sur un flyer annonçant le lancement d'une section rugby santé au RCP15. Il obtient la prescription pour s'inscrire. Et invite son "fiston", Philippe, 44 ans, à faire de même. "J’ai aussi quelques soucis de santé", confie celui-ci avec pudeur. Il prend cela comme un défi pour remettre son corps en mouvement et "sociabiliser, rencontrer des gens". "Je suis une personne assez isolée…", avoue-t-il.

Philippe (à gauche), le fils, et Jean-Claude, le père, regardaient ensemble le rugby à la télévision. Désormais, leur complicité s'exprime (aussi) sur le terrain. Crédit photo : Fabrice Dimier. 

 

Une activité "non déraisonnée"

Les recrues du RCP15, vêtues de gris, ont du renfort. Il y a Joëlle, en maillot orange, de la section ASPTT Grand Paris-hôpital Saint-Louis(1), créée par Jean-Christophe Robert. Mais aussi des joueurs de la section Rugby santé, cancers et autres pathologies (RSCAP) du Rugby Club Val de Bièvre (RCVB) en maillots bleus floqués. "On les a eus il y a un an", glisse Catherine, responsable de RSCAP, qui existe depuis 2021. La dynamique sexagénaire, qui a eu "deux cancers du sein", fait partie du comité de patients à Gustave Roussy et est bénévole dans le groupe rugby santé à la Ligue Île-de-France. C’est dans ce cadre qu'elle entend parler de l'entraînement du soir. Avec ses camarades, ils décident d'y participer : "C'est bien de le faire avec des équipes nouvellement créées", assure-t-elle.

Pour accompagner ce petit monde sur le terrain : Antoinette Dufeigneux, 27 ans, et Nicolas Alberola, 23 ans. Les salariés du club ont répondu à la proposition du président du club de se former au rugby santé pour gagner en compétences et favoriser l'accessibilité du sport. Ils ont suivi une formation en ligne de la Fédération française de rugby, puis un séminaire de deux jours au Centre national de rugby de Marcoussis. À la clé : un brevet fédéral rugby à 5 – niveau 2 santé. Sans coachs formés, pas de section !

Il y a aussi un référent médical : le Dr Matthieu Roulleaux Dugage, passionné de médecine et de ballon ovale. Le médecin oncologue à Gustave Roussy a d'autant plus facilement accepté la mission qu'il a un lien fort avec le club : il a été formé à l'école de rugby, y a été arbitre, et son petit frère Thomas est capitaine des seniors. Il a un rôle de "réassurance", pour faire comprendre "qu'on n'est pas sur une activité physique déraisonnée", détaille-t-il. Le professionnel de santé vérifie l'absence de contre-indications à la pratique et "aide les éducateurs sportifs à mieux comprendre les forces et limites de chaque pratiquant".

Pas de recherche de performance 

Le rugby santé est un rugby à 5 "adapté". Le terme fait tiquer Jean-Christophe Robert, un des premiers éducateurs sport santé à Paris : "On ne fait que s'adapter à notre public !", quel qu'il soit, ça vaut aussi pour les pros. Là, détaillent Antoinette et Nicolas, les joueurs parcourent moins de distance (le terrain est moins grand, moins large) ; la marche rapide est privilégiée à la course ; le ballon, de taille 4, est plus petit et plus léger ; il n’y a pas de plaquages mais du toucher à deux mains sur la partie antérieure... Et on n’est pas dans la performance. Ce rugby "sans prise de tête" est une respiration pour Nicolas, jusque-là totalement immergé dans la compétition, comme joueur et entraîneur.

Cette version santé ne frustre "pas du tout" Jean-Claude. Elle lui permet de "retrouver le plaisir de jouer", malgré son âge "très avancé", rit-il. Dominique, dit "Dom", 80 ans, lui, qui "aime bien le contact", concède avoir eu "un peu de mal à [s’]adapter" quand il a intégré RSCAP. Mais finalement… "Je suis en 3e année !" Pour lui, le rugby santé a un avantage : il "oblige à jouer collectif", à prêter attention à l’autre. Il pense à ses "copines du cancer du sein" : "On ne peut pas leur lancer le ballon à toute volée." Lui qui a eu un cancer de la langue et de la gorge considère désormais sa pathologie comme "légère".

Le rugby fait peur, les patients se disent que 'ce n'est pas pour eux'

Reste que "le rugby fait peur", regrette Antoinette Dufeigneux. Aux patients, qui se disent que "ce n'est pas pour eux". Aux médecins, pour qui prescrire du rugby paraît contre-intuitif, rapporte Matthieu Roulleaux Dugage. L'oncologue martèle l'argument de "la sécurité" – et insiste sur les bienfaits – pour convaincre ses confrères. Côté Ligue de rugby, Séverine Druart, membre du comité directeur et du bureau exécutif sur le pôle citoyenneté en Île-de-France, fait valoir que "des vidéos avec notre médecin" sont en préparation, pour s'adresser aux prescripteurs.

De larges bénéfices

Les coachs détaillent l'entraînement. Il a lieu tous les mardis de 17 h à 18 h 30. Ça démarre par un échauffement ludique, avec mobilisation des chevilles, genoux, hanches, poignets, épaules et manipulation de balle. Puis un travail de passes, en statique, en mouvement, avec des surnombres (2 contre 1, 3 contre 2). Enfin, il y a un match, entre les roses et les bleus. C’est du 5 contre 5. Et les éducateurs s'impliquent s'il manque des joueurs. Antoinette, elle, fait la ramasseuse de balles, pour leur éviter de se baisser.

Tout du long, les éducateurs livrent des conseils. Là, sur la communication (gauche/droite, à plat/en profondeur), la fixation, la passe bras tendus, la feinte - la "spéciale" de Joëlle -, l'importance de mêler prise d'infos et vitesse, etc. Ils font du renforcement positif. Veillent à ce qu’ils ne forcent pas ("N'y allez que quand vous voulez", "la vitesse, vous gérez"), à ce qu’ils récupèrent, s’hydratent. Sont vigilants à toute symptomatologie inhabituelle. Après une heure de pratique, les joueurs ont l'air ravi. Leurs joues sont empourprées, leurs corps déliés. Ils squattent le terrain un peu plus longtemps, pour réfléchir à refaire des entraînements communs. 

Exercice de passes en statique. Crédit : Fabrice Dimier.

Il est trop tôt au RCP15 pour mesurer les bénéfices de cette activité physique adaptée. Mais, de manière générale, ils sont larges et documentés, met en avant Matthieu Roulleaux Dugage(2). Elle accroît quantité et qualité de vie (baisse de la récidive, amélioration du pronostic). Aide à vivre les traitements. Renforce les capacités musculaires, cardiorespiratoires. Favorise l'estime de soi, la combativité. Brise l'isolement. Pour Philippe, "c'est la première séance avec autant de monde". "Il me faut du temps avant d'apprivoiser les gens", confie-t-il, en triturant ses doigts. On le rassure que ça ira de mieux en mieux. Il sourit, opine : "Ouais !"

L’équipe du jour au complet, entourée de ses éducateurs et de Renan Le Bot, dirigeant bénévole du club. Crédit photo : Fabrice Dimier. 

"Un bon complément" 

Renan Le Bot observe le groupe depuis le bord du terrain. Il a troqué sa casquette de directeur commercial chez Cartes Bancaires pour celle de dirigeant bénévole du club. Et ce qu'il voit le réjouit : des joueurs qui s'amusent, des éducateurs ravis de mettre à profit leur passion pour aider et qui considèrent que l'activité physique adaptée est un atout pour leur employabilité. Un club qui, par ricochet, gagne en attractivité. Cela vaut le temps passé à monter la section, fait-il comprendre. Et ce, en parallèle d'autres actions. Car le rugby santé s'inscrit dans un projet général porté par la direction, arrivée en juin 2022.

Un projet qui repose sur deux piliers. La partie sportive : "On fait du rugby de 7 à 77 ans, hommes ou femmes, toutes catégories." Compétition ou loisirs. La partie promotion, auprès de quatre publics : l'initiation au rugby et aux valeurs républicaines de 2 000 élèves de CM1-CM2 dans 18 écoles à proximité et dans les quartiers prioritaires ; création d'un "pôle féminin sans discontinuité", avec l'ajout du chaînon manquant : les cadettes ; lancement, sous l'impulsion de la Ville de Paris, d'une section rugby à 5 pour les plus de 55 ans ; et le rugby santé. "La prestation est gratuite, et on y tient", souligne Renan Le Bot. Pour ne pas que "l'argent soit un frein à la pratique".

Le rugby santé leur semblait être "un bon complément", pour un rugby qui se veut inclusif, et aller au-delà des stéréotypes. Tout comme "le rugby n’est pas que pour les garçons", dit le dirigeant, reprenant les mots d'une joueuse de l’école de rugby, "ce n’est pas que pour les gens en bonne santé".

Ces "quatre moteurs de la fusée" participent de l'image d'un club engagé et qui s'implique dans "notre communauté, notre arrondissement, nos alentours", valorise Antoinette Dufeigneux. Cumulé avec la partie sportive, cela fait du RCP15 "le premier club de France en rugby amateur en nombre de licenciés", derrière cinq clubs pros, pose Renan Le Bot : "On était 951 licenciés en juillet."

Faire vivre la section 

C'est loin de Paris, à Toulouse, terre de rugby, que la version santé est née, avec Stéphanie Motton, chirurgienne gynécologue spécialisée en oncologie... et fondatrice de l'association Les RUBieS (Rugby Union Bien-Être Santé). À Paris, les sections sont encore peu nombreuses, seulement deux : celle de l’ASPTT-hôpital Saint-Louis et du RCP15. Mais à l'échelle de l’Île-de-France, entre autres, ça progresse : "D’ici la fin de l’année prochaine, on sera une trentaine de sections, si ça continue à ce rythme", comptabilise Séverine Druart. Aujourd’hui, plus d'une vingtaine (sur les 160 clubs) existent, et une dizaine sont "en formation".

À la Ligue, le rugby santé est un axe de développement. Elle aide clubs et licenciés sur divers points : elle prend en charge la part FFR de la licence ; organise une journée de sensibilisation annuelle, pour "mobiliser les professions médicales et de soins de support", pose Séverine Druart, pour faire se rencontrer les sections ; un atelier photo pour permettre la réconciliation avec un corps meurtri, travailler l’estime de soi. Il se peut aussi qu’elle mette en place un outil de réseautage entre sections, pour qu'elles organisent plus souvent des entraînements communs. Car ce n'est pas le tout de créer une section, il faut aussi la faire vivre.

D'ici la fin de l’année prochaine, on sera une trentaine de sections en Île-de-France

Le 9 septembre, à ses débuts, le RCP15 avait déjà trois pratiquants : Jean-Claude, Philippe et Martine (absente ce soir-là). Renan Le Bot se disait "assez content", car il faut le temps de se faire connaître et "ceux qui sont venus sont revenus". Mais il y a un enjeu de recrutement. Le club compte sur ses partenaires : l'AP-HP, via Matthieu Roulleaux Dugage, les maisons sport-santé des 14e et 15e arrondissements. Mais aussi sur la communication auprès des médecins. L'idée étant d’avoir un noyau dur de 30 à 40 personnes. De quoi, pose Antoinette, diffuser les bénéfices de cette pratique, avoir plus de monde au goûter de troisième mi-temps. Mais aussi de quoi constituer un vivier de nouveaux licenciés. Peut-être que certains deviendront bénévoles, ou dirigeants.

Photos de Fabrice Dimier 

(1) Fédération sportive anciennement liée aux postes, télégraphes et téléphones français. 
(2) Le médecin évoque l’étude Challenge, publiée dans The New England Journal of Medicine, qui a suivi pendant près de huit ans 889 patients atteints d’un cancer du côlon, tous traités par chirurgie et chimiothérapie. Le groupe, qui a reçu un programme structuré d’activité physique avec coaching personnalisé, a obtenu 80 % de chance de survie contre 74 % dans le groupe témoin. Le risque de récidive ou de nouveau cancer est, lui, réduit de 28 %. 

Renseignements et inscriptions : 01 82 40 77 19 ou RCP15rugbysante@gmail.com ou secretariat@rcp15.fr

Crédit photo : Fabrice Dimier
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