"Implant files" ou comment une journaliste a pu faire passer un filet à mandarines pour une mèche vaginale

26/11/2018 Par A.M.
Santé publique
250 journalistes, 59 médias (dont Le Monde et Cash Investigation), 36 pays, 4 ans d'enquêtes. Publiés dimanche, les "Implants files" dénoncent l'opacité qui entoure les implants médicaux, du dispositif de contrôle initial au suivi des incidents, de plus en plus nombreux.

Juin 2014. Jet Schouten, journaliste néerlandaise, achète un lot de mandarines. Elle récupère le filet, qu'elle prend en photo dans sa main. Le cliché viendra nourrir le dossier technique qu'elle compte adresser à des organismes notifiés en vue d'obtenir un marquage "Conformité européenne" (CE)… pour une mèche vaginale. Le dossier est volontairement alarmant : "Nous avons écrit qu'une femme sur trois serait marquée à vie par notre dispositif et que nous n'avions pratiquement aucune donnée pour garantir la sécurité", relate Jet Schouten dans Le Monde. Et pourtant, trois organismes donnent leur aval : le certificat CE sera facilement décroché. C'est le point de départ d'une vaste enquête journalistique internationale sur les failles des implants médicaux (prothèses, implants mammaires, stents, pacemakers, pompes à insuline…) menée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ). Durant quatre ans, 250 journalistes de 59 médias (dont Le Monde et Cash Investigation) vont "batailler ferme contre l'opacité des administrations de 36 pays". Le fruit de leur enquête, nommée "Implant files", pointe les failles du système réglementaire, révélées par le scandale sanitaire des prothèses PIP ou, plus récemment, des implants contraceptifs Essure.

Car pour pouvoir être commercialisé sur le marché européen, contrairement à un médicament, un implant médical n'a même pas besoin de faire la preuve de son bénéfice, ni de fournir des résultats d'essais cliniques sur l'être humain. Il doit simplement prouver qu'il fonctionne comme prévu et qu'il est sûr. L'expérience de Jet Schouten montre que ces deux critères ne donnent pas toujours lieu à des vérifications. Et le consortium d'investigation de pointer un conflit d'intérêts majeur dans le secteur : ce sont les fabricants qui choisissent et paient les organismes notifiés, sociétés à but lucratif à qui les autorités délèguent le contrôle, pour qu'ils valident leur produit. "Les contrôlés paient leurs contrôleurs", résume Le Monde. Quelles conséquences ? Impossible de le savoir avec certitude, tant la traçabilité de l'implantation de ces dispositifs et des incidents dont ils sont responsables est lacunaire, voire inexistante. Seuls les Etats-Unis recueillent de manière détaillée les incidents relatifs à ces dispositifs médicaux. La base américaine, partie émergée de l'iceberg, recense 82 000 morts, 1,7 million de blessés et 3.7 millions de défaillances entre 2008 et 2017. Les pompes à insuline équipées d'un capteur de glycémie arrivent en tête des signalements et les systèmes de dialyse péritonéale automatisée sont responsables du plus grand nombre de décès (2624). En France, la base "MRVeille", tenue par l'ANSM, fait état d’un nombre d’incidents qui a doublé en dix ans, avec plus de 18 000 cas en 2017 et environ 158 000 incidents en dix ans. Mais il est  "impossible de dénombrer et d’identifier avec précision les incidents, c’est-à-dire de connaître la marque et le modèle des implants posés", donc de retrouver les patients en cas de problème, résume Le Monde, citant le cas emblématique des prothèses PIP. "Dans la quasi-totalité des cas ne figurent ni l’âge du patient ni son sexe. 36 % des champs 'dysfonctionnements' et 81 % des 'conséquences cliniques' sont vides." Depuis 2006, les chirurgiens doivent inscrire dans le dossier médical toutes les données relatives à la traçabilité des implants : nom, numéro de lot et série. La consigne est peu respectée, tout comme l'obligation de déclarer les événements indésirables. La déclaration d'"incident grave" est obligatoire pour les fabricants, mais cette obligation n'étant énoncée que dans des "termes généraux", tous les fabricants ne retiennent pas les mêmes critères. Une base de données européenne, Eudamed, doit être mise en ligne en 2020, mais les Etats membres sont en désaccord sur le degré d'informations à donner.  Interrogée sur Franceinfo, Agnès Buzyn a reconnu que les dispositifs médicaux constituaient depuis longtemps une source d'"inquiétude" pour les ministres de la Santé. "Tous les ministres de la Santé savent que la réglementation est insuffisamment robuste", a-t-elle déclaré, assurant que la France portait depuis plusieurs années une demande d'"exigence supplémentaire autour de la régulation des dispositifs médicaux". Autre enjeu sur lequel la ministre est mobilisée : parvenir à une déclaration systématique des événements indésirables. "En réalité, les médecins souvent sous-déclarent, parce que c'est long, reconnaît-elle. Soit ils considèrent que c'est un évènement indésirable habituel et que cela fait partie des risques, donc, ils ne le déclarent pas, soit l'évènement indésirable est tellement inattendu qu'ils considèrent que c'est sans lien avec le dispositif." [avec Lemonde.fr et franceinfo.fr]

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