Ségur de la santé : ce que vous en attendez
"La crise sanitaire est un révélateur et un accélérateur, il vous appartiendra d'en détailler les enseignements." C’est par ces mots que le Premier ministre a ouvert, lundi après-midi, le "Ségur de la santé ". Durant un mois, syndicalistes, soignants, représentants des établissements hospitaliers, médico-sociaux et de la médecine de la ville sont appelés à se concerter, sous la houlette de l’ancienne secrétaire générale de la CFDT Nicole Notat, afin d’aboutir à un plan de refondation du système de santé d'ici mi-juillet. Revalorisation “significative” des salaires, coup d’arrêt à la fermeture des lits hospitaliers, assouplissement des 35 heures... Le Premier ministre a promis des "changements radicaux", "rapides", s’appuyant sur des "moyens nouveaux". Les attentes des soignants n’ont jamais été aussi fortes.
En grève durant de longs mois avant la crise du coronavirus, les hospitaliers avaient mis leurs revendications en sourdine. Le temps est venu de ressortir les banderoles.
En finir avec le “sous-financement”
Avant tout, ils exigent davantage de moyens budgétaires. "Deux années de légère hausse des tarifs n’ont pas compensé plus de huit ans de baisse ininterrompue des budgets", souligne Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Au moins deux milliards d’euros d’investissement par an pour l’Hôpital et une remise à plat de l’Ondam : après dix ans de “sous-financement organisé”, c’est ce que réclame dans le JDD son homologue de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux. Les deux représentants hospitaliers appellent d’une même voix à un "choc d’attractivité ", notamment pour les médecins : 30% des postes de praticiens sont vacants, rappelle le patron de l’hôpital public.
Faire converger les rémunérations public-privé
Un objectif partagé par l’intersyndicale des praticiens hospitaliers, qui souhaite "faire converger les rémunérations entre public et privé". Elle demande en outre à ce que le temps non clinique soit "sanctuarisé" sous formes de valences rémunérées (enseignement, recherche, investissement institutionnel) "à hauteur de 20% au minimum du temps de travail pour tous les praticiens ". Les praticiens souhaitent que la pénibilité de l’exercice, notamment la permanence des soins, soit reconnue dans le calcul de l’âge de départ à la retraite et que la garde de 24 heures compte pour... cinq demi-journées. Les praticiens militent par ailleurs pour redonner du pouvoir aux médecins dans la gouvernance de l’hôpital, notamment en donnant à la CME et à la commission médicale du GHT "des compétences nouvelles en matière de gestion des ressources humaines".
Le président de la FHF souhaite lui aussi réformer la gouvernance "en passant d’un système hypercentralisé à un système qui fait confiance". Pour Lamine Gharbi, il faut "instaurer une nouvelle organisation du système de santé basée sur les territoires, tirant les leçons des coopérations mises en œuvre au plus fort de la crise".
Montée en compétences des infirmières
Echaudée par une succession de plans médico-centrés, la profession infirmière attend elle aussi beaucoup de ce "Ségur de la santé". "Après avoir été en première ligne tout au long de la crise du Covid-19, les 700.000 infirmiers (première profession de santé de France par le nombre) ne doivent pas être de nouveau oubliés à l’heure de la refondation historique de notre système de santé", estime l’Ordre national des infirmiers. Infirmières, aides-soignantes et agents de service hospitalier méritent une revalorisation salariale "à la hauteur de leur utilité sociale", abonde le président de la FHF.
"Au-delà de la nécessaire revalorisation salariale, il faut une revalorisation globale de la profession", insiste l’Ordre des infirmiers. L’Ordre demande une augmentation des effectifs dans les établissements, accompagnée par l’instauration de ratio soignants/soignés, et plaide pour un élargissement du champ de compétences des soignantes. "Nous savons réaliser des diagnostics cliniques, orienter vers d’autres professionnels de santé, coordonner un parcours de soins, adapter des prescriptions, veiller à l’observance des traitements, faire de la prévention, de l’éducation thérapeutique… sans se départir d’une approche profondément humaine dans nos relations avec les patients. Notre véritable contribution au système de santé n’est pas suffisamment valorisée", juge Patrick Chamboredon, président de l’Ordre.
"Le Ségur de la santé qui s’ouvre ce lundi 25 mai ne doit pas engager une réforme de notre système de santé au détriment des professionnels de santé de ville. La France souffre en effet, et depuis de trop longues années, des insuffisances d’un système de soins trop centré sur les CHU, et d’un investissement insuffisant sur les soins primaires", alerte d’emblée MG France. Quant au SML demande des "éclaircissements" à Olivier Véran sur un plan qu'il craint "très hospitalo-centré".
Non à l’hospitalo-centrisme
La médecine de ville est effectivement unie pour réclamer une refondation de la relation ville – hôpital. "L' Hôpital n’a pas à prendre en charge les maladies chroniques sauf demande ponctuelle des acteurs de l’ambulatoire", tranche la Fédération des CPTS (FCPTS). Une réforme de l'hôpital est "indispensable", selon la CSMF, mais "il est tout aussi indispensable que la médecine de ville soit le pilier de notre système de santé", tempère le syndicat, qui souhaite renforcer l'attractivité de la médecine libérale “en rapprochant le rôle et les rémunérations des médecins libéraux français des autres pays européens”. “Il faut une médecine libérale de proximité qui ait les moyens d’accueillir correctement les patients avec du personnel et des locaux qui permettent l’accueil des internes pour qu’ils découvrent une médecine libérale passionnante à exercer”, ajoute Jean-Paul Hamon, de la FMF.
Le syndicat de médecins généralistes MG France souhaite accélérer l’organisation des soins de ville autour des CPTS. "Il faut accentuer l’investissement dans le travail en équipes coordonnées entre les acteurs de soins primaires, les acteurs de soins secondaires et le secteur médico-social, sur chaque territoire, sous forme de CPTS", renchérit la FCPTS. La fédération propose même de créer un "mandat de santé publique territorial". Ainsi chaque CPTS qui le souhaiterait pourrait...
avoir mandat et capacité à organiser la réponse à un problème de santé publique (épidémie, inégalités sociales de santé, etc.).
Régulation libérale
La question de la mise en place d’une régulation libérale des demandes de soins non programmés doit également être abordée selon les médecins libéraux, qui souhaite s'appuyer sur le 116-117, aux côtés du 15 pour les urgences vitales. “Il faut que l’Etat accepte tous les projets bloqués de régulation de la prise en charge des soins non programmés par les libéraux avec un 116/117 qui oriente les patients vers un médecin libéral du secteur dans un délai adapté. Tous ces projets de régulation sont actuellement bloqués car notre président a décidé qu’il fallait un numéro unique”, s’agace le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF.
Revalorisation de la visite
Alors que les syndicats réclament l'ouverture de négociations conventionnelles, MG France demande dès maintenant une revalorisation immédiate de la visite du médecin traitant pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées. Le syndicat de généralistes réclame aussi le remboursement intégral par l’Assurance maladie de la téléconsultation (maintien de la mesure dérogatoire mise en place durant la crise) et, plus généralement, par la généralisation du remboursement à 100% des actes réalisés par le médecin généraliste.
Le syndicat de médecins libéraux considère qu’"une réforme profonde du système de santé est nécessaire, mais elle ne pourra produire du sens que si elle est assortie d’une refonte du financement de celui-ci". "Le mode de financement actuel assis sur les cotisations salariales a montré ses limites. Le système de financement actuel et l’Ondam ont montré leurs limites", tranche-t-il. Pour la FCPTS, il faut "réduire d’un tiers les frais de gestions pour les ramener à 3,5% de la dépense courante de santé soit 5 Md€ d’économie". La Fédération souhaite également réaliser des économies "dans l’excès d’administration des hôpitaux".
"Aujourd’hui l’enjeu est de réformer notre système de santé pour que plus rien ne soit comme avant. Rendre la place qu’ils doivent avoir aux soignants, tout particulièrement aux médecins dans l’ensemble des circuits de décisions, mettre à bas des obstacles administratifs...
de la dérive bureaucratique de notre système, abattre les cloisonnements et continuer ce que de nombreux médecins ont construit sur le terrain : travailler et construire ensemble, voilà les enjeux de ce Ségur de la santé", conclut la CSMF. "Le Ségur de la santé ne réussira que s’il repose sur les deux composantes majeures du système de santé français dans son originalité : l’hôpital et la médecine libérale", prédit le syndicat.
Alors que plusieurs engagements ont été pris successivement par Agnès Buzyn puis Olivier Véran à propos du respect du temps de travail des internes, rien n’a avancé depuis les promesses du ministre de la Santé, en février. C’est donc sur ce point que l’interSyndicale nationale des internes (Isni) et l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) vont se concentrer en priorité.
Régulation du temps de travail
“Ça fait des années, plus de 20 ans, qu’on attend des mesures concrètes pour l’application du temps de travail. Le manque de moyens humains et financiers retentit directement sur les internes”, rappelle Marianne Cinot, présidente de l’Isnar-IMG. Le syndicat demande donc le renforcement de l’application de la réglementation du temps de travail des internes et la mise en place de sanctions financières systématiquement appliquées aux entités d’accueil des internes qui ne respectent pas la règlementation. L’Isni insiste également sur l’amélioration de la formation : “On demande une surveillance horaire du temps de travail des internes. On pense qu’il ne peut pas y avoir de surveillance du temps de travail des internes s’il n’y a pas de surveillance horaire journalière, explique Justin Breysse, président du syndicat. Ça a d'ailleurs été validé par la Cour européenne de justice.”
Revalorisation des internes
L’Isni demande 300 euros brut d’augmentation pour tous les internes et le doublement de la rémunération des gardes. “Etant donné qu’on n’a pas accès aux heures supplémentaires, c’est une manière pour nous de valoriser le temps de travail supplémentaire qui est réalisé par certains internes, qui travaillent parfois jusqu’à 70 heures par semaine”, souligne Justin Breysse.
L’Isnar-IMG, dans ses contributions, compte également demander le passage à six internes minimum, contre cinq actuellement, pour ouvrir une ligne de garde. “La réforme du troisième cycle prévoit un développement des stages ambulatoires, en lien avec notre exercice futur. De ce fait, nous serons de moins en moins présents...
en stage hospitalier, notamment dans les hôpitaux périphériques”, analyse le syndicat.
Respect des droits des étudiants en médecine
L’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), participant au Ségur, formule de son côté 20 propositions. Elle demande notamment un alignement du salaire des étudiants hospitaliers de quatrième année a minima sur celui des étudiants stagiaires de l’enseignement supérieur (390 euros net mensuel), ainsi que le “respect des droits” des étudiants hospitaliers : une chambre de garde individuelle aux normes, la sanctuarisation du temps de formation universitaire. Elle formule également plusieurs vœux pour la prévention des risques psycho-sociaux (recrutements, prise en compte de la pénibilité au travail).
Le "Ségur de la santé" sera le sixième plan du Gouvernement pour ce secteur depuis l'élection d'Emmanuel Macron, dont le programme présidentiel n'en prévoyait pas autant, mais qui a dû s'adapter à plusieurs crises successives.
Ehpad
La première alerte du quinquennat est venue des maisons de retraite au printemps 2018 avec deux journées de grève organisées pour obtenir davantage d'effectifs. Un mouvement inédit qui a poussé l'ex-ministre Agnès Buzyn à présenter une batterie de mesures : crédits supplémentaires, créations de places, plan d'investissement...
"Ma Santé 2022"
Censée renforcer le système de santé "pour les 50 années à venir", cette réforme dévoilée en septembre 2018 reprenait certains engagements de campagne, notamment la suppression du "numerus clausus". Un plan chiffré à 3,4 milliards d'euros, qui faisait la part belle aux soins de ville: assistants médicaux, CPTS, praticiens salariés dans les déserts médicaux... Tout en engageant une restructuration de la carte hospitalière.
Urgences
Saturés, négligés, en proie à la violence, les services d'urgence ont basculé dans une grève sans précédent en mars 2019. Face à ce malaise profond, Agnès Buzyn a d'abord proposé une prime en juin, qui n'a pas suffi à apaiser la tension, puis un plan de "refondation" de 750 millions d'euros sur trois ans. Une somme destinée à désengorger les urgences, avec des "filières d'admission directe" pour les personnes âgées, des "gestionnaires de lits" dans les hôpitaux et un nouveau "service d'accès aux soins" regroupant Samu et médecins de garde, qui devait voir le jour "à l'été 2020".
Hôpital
Galvanisés par le combat des urgences, les autres agents hospitaliers ont à leur tour réclamé des hausses de salaires et d'effectifs. Après une journée de manifestation en novembre, le Premier ministre annonce un "plan d'urgence" incluant de nouvelles primes et des investissements, financés par une rallonge budgétaire de 1,5 milliard d'euros étalée entre 2020 et 2022. Un "programme massif de reprises de dettes de 10 milliards d'euros sur trois ans" est aussi prévu pour permettre aux hôpitaux de retrouver des marges de manoeuvre.
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