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Les pharmaciens bientôt autorisés à prendre en charge des pathologies simples : "Quel est l'avenir du généraliste ?"

Les sénateurs ont voté, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi Mouiller, un article permettant aux pharmaciens de prendre en charge des patients dans certaines situations cliniques dites "simples". Egora a sondé ses lecteurs pour avoir leur avis sur cette extension de compétences. 

19/05/2025 Par Louise Claereboudt
Pharmaciens
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Issue du "pacte de lutte contre les déserts médicaux" qu'a présenté le Premier ministre le 25 avril dernier, la mesure vient d'être adoptée, le 13 mai dernier, dans la proposition de loi Mouiller par les sénateurs. Le texte élargit notamment les compétences des pharmaciens, en les autorisant à évaluer et à prendre en charge des patients dans certaines situations cliniques dites "simples", et à les orienter dans le parcours de soins.

Il s'agit en réalité d'une généralisation de l'expérimentation Osys (Orientation dans le SYstème de Soins). Deux des six situations concernées par cette expérimentation ont déjà été généralisées : les pharmaciens d'officine sont en effet déjà autorisés à délivrer des antibiotiques pour traiter angines et cystites sans ordonnance, après réalisation d'un test rapide d'orientation diagnostique (Trod). Le Gouvernement souhaite aller plus loin par le biais de la PPL Mouiller.

"Un arrêté du ministre chargé de la Santé, pris après avis de la Haute Autorité de santé", doit venir fixer "la liste des situations cliniques concernées et les modalités de leur prise en charge par le pharmacien en lien avec le médecin traitant", dans l'éventualité, bien sûr, où la PPL Mouiller serait définitivement adoptée. Plusieurs pathologies "simples" ont été évoquées, telles que les infections cutanées, rhinites allergiques, ou encore les sinusites.

Egora a souhaité connaître l'avis de ses lecteurs, et leur a demandé s'il fallait, selon eux, autoriser les pharmaciens à prendre en charge davantage de pathologies "simples". 370 personnes ont répondu à ce sondage que nous avons lancé. Et le résultat est sans appel. Pour 80% des Egoranautes, la réponse est non. "Ça soulagerait aussi le système de permettre aux bouchers de traiter les problèmes musculo-squeletiques...ben quoi ?", ironise Arielle G., médecin généraliste.

"Chacun a sa place, chacun sa mission… Sinon les patients seront pris en otages et les pharmaciens risquent gros…", présage Philippe F. Une position largement partagée dans les commentaires.

 

De nombreux lecteurs, pour la plupart médecins, craignent une mise en danger des patients. "Ne mélangeons pas les métiers s'il vous plaît... il y a trop de risques de complications ou de passer à côté de pathologies connexes", appelle François P. "C'est dans les pathologies simples que se cache le diable. C'est à l'occasion d’une consultation pour pathologie 'simple' que l'on peut, si l'on pratique un interrogatoire et un examen sérieux, découvrir une pathologie moins 'simple' cachée. Cela demande une bonne connaissance de la sémiologie et un peu de 'bouteille'", estime Patrick D., généraliste, ajoutant que "ce n'est pas le point fort du programme de formation d'un pharmacien".

"Seuls les médecins sont formés au diagnostic différentiel ! Il n'y a pas de 'pathologies simples' qui ne puissent pas masquer une pathologie sévère", alerte également Sophie B., spécialiste en chirurgie thoracique et cardio-vasculaire.

Axel M., généraliste, indique par ailleurs que "la prise en charge des angines par les pharmaciens [officiellement autorisée depuis juin 2024, NDLR] laisse déjà bien à désirer... J'ai eu deux fois affaire à des 'angines' diagnostiquées par des pharmaciens proches de mon cabinet, qui finissent sous Amox suite à StreptA test +, mais qui en fait sont des pharyngites avec portage... Donc tant qu'ils n'ont pas une meilleure formation à la clinique, ça me parait bien compliqué de leur laisser la charge de ces diagnostics."

"J'ai déjà [vu] des patientes avec cystite traitées par le pharmacien avec un traitement qui ne fonctionne pas. C'est à nous à récupérer ces patientes avec une difficulté à les traiter de nouveau", témoigne également Jean C. "J'ai vu suffisamment d'erreurs commises par les pharmaciens, dans leurs initiatives de prescription, même pour des pathologies simples, pour penser qu'il faut qu'ils restent dans leur domaine de compétence, et 'les vaches seront bien gardées'", considère Alain H., généraliste.

Je ne veux pas être médecin, je ne m'en sens pas capable ! 

Pharmacien, Marc-Olivier L. s'oppose également à cette extension des compétences. "Non, non et non ! Je suis pharmacien, pas médecin ! Et je n'ai pas l'intention de rempiler 10 ans pour le devenir malgré moi ! Un médecin a fait au moins 10 ans d'études, c'est pas par hasard ! C'est un métier difficile et risqué […] Je ne veux pas être médecin, je ne m'en sens pas capable ! Et vous ne me ferez pas faire tout ce que l'on m'a toujours interdit de faire, pendant mes études et ma carrière, pour pallier la politique de santé publique, (enfin, politique d'économie de santé publique devrait-on dire !). Je ne serai pas pharmacien en pratique avancée ! Que nos ordres et ministères s'en satisfassent !"

Métier "dépecé"

Certains lecteurs dénoncent par ailleurs le "dépeçage" du métier de médecin généraliste, au profit d'autres professions de santé, vers qui des actes initialement réservés aux médecins sont confiés. "Entre la délégation de tâches aux infirmiers en pratique avancée et celle aux pharmaciens, je me demande quel est l'avenir du médecin généraliste", s'inquiète encore Patrick D.

"La dévalorisation de la médecine générale se perpétue depuis des décennies en favorisant la médecine spécialisée qui dispose des actes techniques pour lui assurer sa sécurité existentielle et financière. Il aurait fallu former beaucoup plus de généralistes pour répondre à la demande de soins primaires et leur offrir un mode de rémunération basé sur la qualité et non sur la quantité. Si cela avait été le cas, le 'métier' de médecin généraliste ne serait pas dépecé comme cela en prend le chemin", déplore-t-il.

"Si on continue à déshabiller la médecine de ville : que restera-t-il ?, s'interroge Henri B. Continuons comme ça, et la loi sur l'installation géographique régulée des médecins ne servira à rien."

Quelques lecteurs, favorables à la mesure, ont toutefois tenu à faire valoir un  point de vue différent. "Les pharmaciens peuvent tout à fait agir sur des pathologies classiques. Ils connaissent mieux les médicaments que de nombreux médecins. Cela limiterait les risques d'auto-médication due à la pénurie de médecins", espère Martine L., spécialiste en allergologie et immunologie clinique. "Puisque le médecin est en vacances ou débordé, il faut bien que quelqu'un fasse son boulot et avec le désert pharmaceutique créé (en partie, je suis prudent !) par les médecins qui ne veulent s'installer qu'en ville, les malades ne sont pas sortis de l'auberge !", s'agace Jean-Pierre J., pharmacien. 

1 débatteur en ligne1 en ligne
Photo de profil de David Durand
1,2 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 mois
On a de plus en plus l'impression d'assister à un mauvais jeu télévisé : "qui veut prendre la place du médecin ?" avec toutes les professions paramédicales devant leur pupitre, le ministre de la Santé
Photo de profil de Dom B
683 points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 mois
Avant de signer le fumeux contrat medecin traitant qui n'engage que moi, j'informe que je ne serais pas un médecin " sous traitant "... Ou encore qu'empathie et compétence ne s'achètent pas plus en
Photo de profil de Jerry Tulassan
495 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 1 mois
Dans l’idée du transfert de tâches (et de talents) je souhaiterai que nos politiciens réfléchissent à permettre aux médecins la dispense des traitements qu’ils prescrivent. Nombreux sont les (im)pat
 
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