
"Jusqu'à 200 patients par jour au cabinet" : vis ma vie de médecin généraliste en Allemagne
À 35 ans, Fabian Dupont exerce en tant que généraliste dans un cabinet libéral à Aix-la-Chapelle, en Allemagne, avec trois autres confrères. Une activité qu'il combine avec un mi-temps à la faculté de la Sarre. Rémunération, galères administratives, collaboration avec les infirmières… Il raconte son quotidien de généraliste outre-Rhin pour Egora.

"Il y a pas mal de médecins dans ma famille, donc c'est un domaine qui m'a toujours intéressé. Mais à l'école secondaire (lycée) en Allemagne, j'aimais aussi beaucoup les langues et, au-delà, j'étais attiré par la différence entre les systèmes. J'ai décidé d'associer les deux. Je me suis inscrit en médecine en 2009. J'ai eu l'opportunité de m'inscrire à Aix-la-Chapelle, Berlin et à Munich, mais j'ai préféré aller à Namur, en Belgique. Avec mon nom de famille, c'était un peu obligatoire que je sache parler français. Et il était trop tard pour postuler en France.
En Belgique, je pense que ce n'est pas aussi dur qu'en France, même s'il y avait aussi un système de concours. À l'époque, c'était sept ans d'études pour le cursus de base, maintenant c'est six ans. On n'avait pas l'opportunité de choisir notre spécialité à la fin, la sélection se faisant, en partie, en fonction des résultats académiques. Je préférais être plus indépendant et je voulais faire davantage d'échanges internationaux, ce qui existe peu en France et en Belgique. J'ai toujours aimé le côté international de la médecine.
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Oui
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J'ai donc poursuivi mes études de médecine à Munich. Avec quelques bourses, j'ai pu faire une bonne partie de mon cursus à l'étranger, pour des stages voire des semestres complets : je suis allé en Espagne, en Suisse, en Afrique, au Rwanda, en Ouganda, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Colombie, etc. J'ai pu constater que la substance théorique est la même partout. En revanche, la manière de pratiquer avec ses connaissances est tout à fait différente d'un pays à l'autre.
J'ai ensuite fait un doctorat en neurologie et médecine tropicale. Mais je me suis finalement rendu compte que la médecine générale avait un côté proche de l'enseignement, de l'éducation, que je trouvais plus intéressant que la partie investigation médicale, épidémiologique. J'ai donc changé de voie.
En Allemagne, la spécialisation en médecine générale prend cinq ans, comme toutes les autres spécialités. Une partie se déroule au cabinet, et une autre à l'hôpital. Le parcours classique, c'est de faire de la médecine interne à l'hôpital et, quand vous n'en pouvez plus, vous quittez l'hôpital pour devenir généraliste en cabinet. La médecine générale est souvent un second choix. Moi je suis directement allé en cabinet, à Aix-la-Chapelle, en 2018.
Cela m'a permis de suivre un master d'enseignement (master of health professions education), à Maastricht, aux Pays-Bas, en parallèle. Durant ce master, j'ai mis au point un programme pour mieux introduire la médecine générale dans les études universitaires, afin d'améliorer l'attractivité de la spécialité et de faire naître des vocations. Avec le Covid, beaucoup de facultés ont dû changer leur cursus. Celui que j'avais créé était très flexible, et pouvait à la fois être suivi en présentiel ou en ligne. En 2020, on m'a donné un poste à l'université de la Sarre pour mettre en place ce programme.
"Que le patient vienne une fois ou six fois pendant le trimestre, c'est le même tarif"
J'ai terminé ma spécialisation en 2023. Aujourd'hui je travaille toujours dans le même cabinet, qui était celui de mon père, à hauteur de 25%. Je travaille aussi aux urgences à l'hôpital de Darmstadt, un des six plus grands centres hospitaliers d'Allemagne, près de Francfort, quelques jours par mois. Et je suis à peu près à mi-temps à l'université, où mon équipe a bien grandi.
Au cabinet, je suis salarié et j'en suis très content. Si vous êtes propriétaire de la structure, vous avez peu de temps pour faire autre chose. Vous êtes responsable de votre équipe, du fonctionnement du cabinet… Vous devez être à 150%. Cela génère beaucoup de stress. Les jeunes médecins préfèrent faire plusieurs choses, ou être à mi-temps, être davantage flexible et autonome. C'est un changement générationnel. Nous sommes quatre médecins à y exercer, et au total 12 professionnels de santé, soit 3 soignants par médecin. À l'échelle nationale, je dirais que c'est un cabinet petit/moyen.
La plupart des cabinets en Allemagne sont des cabinets conventionnés, qui ont des contrats avec l'assurance publique. Il existe peu de cabinets privés, ils sont surtout dans les grandes villes. En revanche, les cabinets conventionnés ont aussi le droit d'accepter des patients privés, qui sont remboursés par leur mutuelle. Ce sont surtout des fonctionnaires, des salariés d'entreprises ou des travailleurs qui ont un salaire élevé*, et qui habitent donc souvent en ville. Vous leur envoyez directement une facture.
Notre cabinet est conventionné, mais on accueille aussi des patients privés. Si vous ne prenez pas en charge de patients privés, vous êtes complètement dépendant de l'assurance publique. Pour les patients assurés publics, vous touchez une rémunération rétroactive – un forfait –, avec des mois et des mois de retard (de 18 à 24 mois). Pour les patients privés, nous sommes payés à l'acte. Il y a un montant pour chaque acte : en Allemagne, on aime la bureaucratie ! Pour une vaccination, par exemple, l'acte en lui-même revient à 10,72 euros.
Le forfait pour les assurés publics varie entre 35 et 60 euros en fonction de la région où on exerce, de si le patient a ou non une maladie chronique, et de la taille du cabinet. Ce forfait est trimestriel : que le patient vienne une fois ou six fois pendant le trimestre, c'est le même tarif pour le médecin. Il y a quelques exceptions pour des patients ou des actes spécifiques, comme pour les patients diabétiques : les pouvoirs publics veulent que ces derniers consultent plus d'une fois par trimestre, alors on peut activer une deuxième partie du forfait. Cela s'applique pour tous les patients chroniques
Tout cela est assez complexe. Nous sommes obligés de fermer le cabinet deux jours par trimestre et nous nous retrouvons avec l'équipe au complet pour prévoir le budget. Il faut rouvrir tous les dossiers des patients vus les trois derniers mois pour vérifier les chiffres, les cotations, etc.
"Surconsommation" de soins
Entre 20 000 et 25 000 patients sont inscrits au cabinet, mais en Allemagne, un patient n'est pas obligé d'être inscrit auprès d'un seul médecin, on a donc beaucoup de doubles inscriptions. Un patient peut aller voir un généraliste une seule fois et aller en voir un autre sans que le premier ne soit au courant. Il n'est pas obligé d'aller voir un généraliste pour voir un spécialiste. Cette organisation est en train d'être rediscutée en Allemagne pour éviter que les gens aillent voir plusieurs médecins pour un même motif. Il arrive qu'une personne ayant une cystite vienne me voir pour un deuxième avis… Il y a une surconsommation engendrée par ce système.
La fonction de médecin traitant existe aussi, mais c'est quelque chose de complètement volontaire. C'est problématique. Il y a beaucoup de cardiologues, ou d'autres spécialises, qui font office de médecins traitants pour les patients privés. Les patients privés vont passer chez leur cardiologue pour tout un tas de motifs ('j'ai mal à la gorge, à la tête…'). Pour les cardiologues, prendre en charge ces patients pour un problème basique est très lucratif : ça va plus vite et ça rapporte bien plus d'argent qu'un assuré public avec un problème de cœur. Mais cela complique la prise de rendez-vous pour tous les autres patients.
Au cabinet, il peut arriver qu'on reçoive jusqu'à 150 à 200 patients par jour et par médecin. Mais ça ne veut pas dire qu'on passe 20 minutes avec chacun de ces patients. Ce n'est pas possible. On fait beaucoup de délégations d'actes médicaux. Pour la vaccination par exemple, le médecin vérifie la démarche, mais ce n'est pas lui qui réalise l'injection. C'est la même chose pour les prises de sang, les ECG. Chez les patients chroniques, les contrôles de tension, de plaies pour les diabétiques sont faits par les infirmières. Les paramédicaux de l'équipe peuvent aussi réaliser des visites à domicile à notre place.
En revanche, tous les patients pour lesquels nous déléguons la prise en charge comptent, dans notre logiciel, comme nos 'contacts'. On est donc responsables de la démarche. Finalement, on voit, nous médecins, entre 20 à 30 patients par jour. Nos consultations ressemblent beaucoup à celles qui se font par les médecins français. La seule différence, c'est qu'on a beaucoup plus de diagnostic. On fait toute la partie laboratoire au cabinet. Une personne vient chercher les échantillons plusieurs fois par jour. On a les résultats des prises de sang le jour-même, normalement 2-3 heures plus tard.
Quand vous êtes généraliste conventionné en Allemagne, vous êtes obligé de participer à un système d'urgence. Si vous voyez un patient et que vous l'orientez vers les urgences, vous activez le forfait. Si vous faites l'examen vous-même, ce qui prend beaucoup plus de temps, vous n'allez pas être rémunéré plus. C'est problématique. C'est pourquoi depuis quelques années on a des actes qui sont rémunérés en plus du forfait. Certains médecins disaient : 'Je ne vais plus voir de diabétiques parce qu'ils viennent tout le temps, donc ça me coûte, je préfère des jeunes patients qui ne viennent qu'une fois par trimestre pour une ordonnance.'
De 80 000 à 300 000 euros par an
Le salaire moyen en Allemagne pour un généraliste est de 84 000 euros par an. Pour les jeunes, ça commence à 50 000 euros, et ça peut monter jusqu'à 120 000. Si vous exercez en ville et que vous avez une part importante de patients privés, ça peut grimper jusqu'à 200 000-300 000 euros. Un médecin salarié d'un cabinet, comme moi, gagne entre 8 000 et 10 000 euros par mois avant impôts, s'il travaille à 100%. Paradoxalement, si vous êtes salarié et que vous exercez à la campagne, vous gagnez un peu plus parce que plus personne ne veut y aller…
En Allemagne, les médecins conventionnés ont le droit de s'installer uniquement dans les zones où il y a peu de praticiens ou là où un confrère va partir à la retraite. Il y a des zones vertes, oranges et rouges (l'équivalent des déserts médicaux en France). A Aix-la-Chapelle, nous sommes pour le moment en zone verte mais à risque de devenir une zone orange. Il y a pas mal de médecins qui ont fermé leur cabinet sans avoir trouvé de repreneur. J'ai pu m'y installer car cette politique s'applique aux propriétaires.
Je dirais que l'herbe est aussi verte qu'en France. Il y a des médecins qui ne sont pas satisfaits par leur travail en Allemagne, mais certains, notamment les jeunes, trouvent une manière de combiner plusieurs activités (des urgences, du journalisme scientifique, de l'enseignement…) qui leur plaisent et leur permettent de garantir leur indépendance. Personnellement je suis très privilégié parce que j'ai 3 à 4 activités dans le domaine médical. Est-ce que c'est mieux pour la santé publique ? Bien sûr que non, car vous faites perdre du temps médical, mais pour les médecins, c'est la meilleure chose.
*Ce plafond est fixé à 73 800 € bruts par an, soit 6 150 € bruts par mois en 2025.
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