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Vaccins et immunosuppresseurs : un difficile entrejeu

Cruciale chez des patients à surrisque infectieux, la vaccination peut s’avérer un casse-tête lorsque les immunosuppresseurs s’en mêlent. Lors d’un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde, différer la mise sous méthotrexate permet d’améliorer la réponse vaccinale, sans impact sur l’évolution de la maladie, d'après une étude française présentée au congrès de l'Eular 2024.

31/07/2024 Par Romain Loury
Rhumatologie Eular 2024
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Du fait de leur traitement immunosuppresseur, les personnes atteintes de maladies inflammatoires auto-immunes, dont la polyarthrite rhumatoïde (PR), présentent un surrisque infectieux. Or ces traitements, en particulier le méthotrexate et certaines biothérapies, peuvent aussi affaiblir la réponse vaccinale. Dès lors, face à un patient nouvellement diagnostiqué, comment articuler immunosuppresseurs et vaccination ?

En 2022, l’Eular rappelait la nécessité d’initier le traitement dès le diagnostic de PR (1). Mais dans ses recommandations vaccinales publiées en 2019, la société savante estimait préférable d’effectuer les vaccinations avant l’initiation du traitement, en particulier pour le rituximab (2). Au risque d’un retard à l’allumage, qui pourrait avoir des conséquences sur l’évolution ultérieure de la maladie. « Il y a l’idée que le retard de prise en charge d’une PR ne se rattrape jamais, et qu’une maladie qu’on ne traite pas immédiatement pourrait être plus difficile à contrôler par la suite », explique le Pr Jacques Morel, chef du service de rhumatologie du CHU de Montpellier.

Avantage au traitement différé

Afin de trancher ce hiatus, le rhumatologue montpelliérain et ses collègues ont mené une étude multicentrique, dénommée VACIMRA, afin d’évaluer chez 249 polyarthritiques nouvellement diagnostiqués une mise sous méthotrexate immédiate, ou différée d’un mois, après vaccination antipneumococcique. Pour assurer un contrôle minimal de la maladie, les patients pouvaient être traités par corticothérapie, mais à une dose non immunosuppressive.

Présentés au congrès de l’Eular 2024, les résultats sont clairement en faveur de la stratégie différée. Un mois après la vaccination, 88% des patients de ce groupe répondaient au vaccin, contre 75,2% de ceux traités immédiatement, selon le dosage des anticorps spécifiques à cinq sérotypes. Ce décalage de la mise sous méthotrexate était sans impact sur l’évolution de la maladie.

Selon Jacques Morel, le fait de débuter le traitement en même temps que la vaccination n’équivaut pas pour autant à « une réponse nulle ». « Mais quand on diffère le traitement, on gagne 10 à 15% de répondeurs. Ce n’est pas négligeable : pour huit vaccins réalisés, cela fait un répondeur de plus ». Par ailleurs, la démarche antipneumococcique se trouve nettement facilitée par l’arrivée du vaccin conjugué 20-valent (PCV20), qui ne nécessite plus de ‘booster’ à deux mois.

Grippe, Covid-19… et bien d’autres

Parmi les vaccins recommandés aux patients sous immunosuppresseurs, figurent ceux contre la grippe, le Covid-19 et les pneumocoques. Pour les deux premiers, la marche à suivre dépend de la situation du patient, estime Jacques Morel : s’il est en rémission, « on peut se permettre d’arrêter temporairement le méthotrexate pour réaliser la vaccination ». Quant à ceux dont la maladie est moins contrôlée, le rhumatologue préconise de poursuivre le traitement, au prix d’une moindre efficacité vaccinale - amortie par le fait qu’il s’agit de vaccins annuels.

Par ailleurs, Jacques Morel appelle à ne pas négliger les vaccins recommandés en population générale. En particulier le DTP-Coq, « parfois oublié par des médecins généralistes souvent débordés » - et ce alors que la coqueluche connaît actuellement un inquiétant regain. Au lieu d’un rappel tous les 20 ans, il doit être effectué tous les 10 ans dans cette population.

Egalement important, le rougeole-oreillons-rubéole (ROR), malgré la vigilance de mise face aux vaccins vivants atténués. L’un d’entre eux, celui contre la fièvre jaune, est même « généralement à éviter » pour l’Eular. Selon Jacques Morel, « cela dépend du contexte du patient : s’il a de la famille dans un pays touché par cette maladie, s’il s’agit d’un grand voyageur, on peut envisager le vaccin avant l’initiation du traitement de fond. Après, cela nécessitera des arrêts de quatre mois : trois mois avant la vaccination, deux à quatre semaines avant de reprendre. Ce qui s’accompagne souvent d’une rechute de la maladie ».

Quant au vaccin recombinant contre le zona, depuis peu remboursé à 100% aux plus de 65 ans et aux plus de 18 ans immunodéprimés, Jacques Morel se montre prudent quant à la nécessité de vacciner l’ensemble des patients immunodéprimés. « Il faut prendre en considération le risque de zona en fonction de la pathologie et des traitements : la PR et le lupus systématique sont plus à risque que les spondylarthrites. Les inhibiteurs de JAK sont aussi liés à une surincidence de zona, de même que l’anifrolumab dans le lupus, ainsi que les corticoïdes ».

  1. Smolen JS et al, Annals of the Rheumatic Diseases, 10 novembre 2022
  2. Furer V et al, Annals of the Rheumatic Diseases, 14 août 2019

 

Les autres articles de ce dossier :

-Douleur, fatigue : des symptômes difficiles à cerner
- Arthrose : les DMOADs se font toujours attendre
- Ostéoporose : les arrêts de traitement, facteur de risque fracturaire
- Lupus systémique : vers de nouveaux horizons thérapeutiques

Références :

Congrès annuel de l’European Alliance of Associations for Rheumatology (Eular, 12-15 juin 2024, Vienne, Autriche). D’après la présentation du Pr Jacques Morel (CHU de Montpellier) lors de la session « Clinical Aspect of Rheumatoid Arthritis ».

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