"Je vois tous les jours au cabinet des gens qui sont cassés à 55 ans" : généraliste, il reverse ses honoraires à la caisse de grève

Le mardi, c’est son jour de repos. Mais qui dit repos ne veut pas dire inactivité aux yeux du Dr Julien Burnay. A 38 ans, le généraliste installé à Abbeville (Somme) consacre une bonne partie de son temps libre à son engagement politique. Issu d’un milieu favorisé – son père étant chirurgien vasculaire – et ayant grandi dans une "idéologie plutôt de droite, du travail, du mérite", le praticien a effectué une "transition idéologique" en 2008 au moment de la crise des subprimes. "Je me suis renseigné sur le sujet et j’ai complètement basculé du côté gauche, voire très à gauche, de l’échiquier." Alors évidemment, lorsque le Gouvernement a pondu son projet de réforme des retraites, avec, comme mesure phare, l’allongement du l’âge légal de départ à 64 ans, le médecin, qui n’a jamais été encarté dans un parti mais a pris part à la campagne de François Ruffin (député La France insoumise de la Somme) en 2017 et 2022, s’est mobilisé activement.
Depuis début mars en particulier, l’Abbevillois enchaîne les actions : porte-à-porte, blocages, et, bien sûr, journées de mobilisation nationales… Parfois aux côtés de sa compagne, elle aussi généraliste et engagée. Ce mardi 21 mars, au lendemain de l’adoption de la réforme à la suite du rejet par le Parlement des motions de censure, le médecin de famille tractait dans la rue. "Sur un plan économique et sociétal, ça n’a aucun sens d’aller vers un allongement de la durée du temps de travail", estime-t-il, notant "le taux de chômage très élevé". "On nous dit que le ratio actifs-retraités est moins favorable mais on oublie de dire qu’on a fait des gains de productivité énormes depuis une cinquantaine d’années. On a des machines qui font le travail de 50 hommes, les progrès techniques doivent nous servir à améliorer nos conditions d’existence."

Le trentenaire se mobilise aussi pour ses patients, qui viennent pour beaucoup d’un milieu défavorisé. "Je vois tous les jours des gens qui sont cassés à 55 ans. Ils souffrent d’une hernie discale, de problèmes ostéoarticulaires, sont en invalidité. C’est impossible de leur dire qu’ils vont trimer jusqu’à 64 ans", indique Julien Burnay qui craint par ailleurs que l’on reporte les coûts sur l’assurance chômage et l’assurance maladie. "Les gens vont juste s’arrêter de bosser sans avoir des carrières complètes. Ils vont avoir des moindres retraites et devront souscrire à des assurances privées pour avoir une retraite décente", s’indigne-t-il, le ton grave. Ne voulant pas "pénaliser" ses patients et contraint de "garantir" la continuité des soins, le généraliste n’a pas souhaité fermer son cabinet, à l’exception de 2 ou 3 jours correspondant à des rassemblements d’ampleur.
400 euros par jour
Pourtant, estime le Dr Burnay, pour établir un rapport de force avec l’exécutif, la seule solution, c’est la grève et le blocage de l’économie. "On n’est plus en démocratie, affirme-t-il. On a un Président, élu avec 18% du corps électoral pour faire barrage à l’extrême droite, qui s’assoit sur le Parlement et sur les plus grosses mobilisations sociales depuis les 30 dernières années. Macron ne va pas reculer. La seule chose qui peut le faire reculer, c’est si ceux qui dirigent vraiment ce pays et l’ont mis là où il est – les oligarques – lui disent qu’ils perdent trop d’argent. Ce qu’ils ont fait durant les gilets jaunes", considère celui qui a participé au mouvement de protestation apparu fin 2018. Pour taper là où ça fait mal, le généraliste affirme sans détour : il faut paralyser les services essentiels. "Ceux qui ont vraiment un impact sont ceux qui sont un peu en bas de la chaîne, qui travaillent dans les transports, dans les raffineries, la distribution, la logistique…"
Or ces travailleurs des secteurs clés sont aussi bien souvent ceux qui, "financièrement, n’ont pas les moyens de faire grève pendant des semaines et des semaines". "En tant que médecin généraliste, moi, si je fais grève, ça n’emmerde pas le Gouvernement outre mesure, sauf si les gens commencent à mourir dans la rue mais je ne crois pas qu’on en arrive là…" Pour apporter sa pierre à l’édifice, il a donc pris la décision début mars de participer au financement des caisses de grève "pour aider ceux qui n’ont pas forcément les moyens de la faire". Une action qu’il poursuivra "tant que la mobilisation continue". Le généraliste a dans un premier temps reversé ses honoraires à la caisse nationale de grève puis à la caisse locale. Chaque jour, c’est en moyenne "400 euros" qu’il donne (il continue de payer ses cotisations, et reverse donc 50% du prix de la consultation).
Une démarche que le praticien, qui exerce dans un cabinet de groupe avec 7 autres confrères et 4 infirmières, a souhaité expliquer à sa patientèle en affichant un message clair dans sa salle d’attente...
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