Prescription, consultation, prévention… les infirmières veulent s'affranchir des médecins
Profession "adorée" des Français mais "oubliée" des pouvoirs publics, les infirmières donnent de la voix pour faire reconnaître leurs compétences dans un système trop "médico-centré". Dans un livre blanc issu d'une grande consultation, l'Ordre national des infirmiers formule 26 propositions pour que les IDE ne soient plus seulement des "auxiliaires" médicales, mais des professionnelles de santé à part entière. "Porter haut et fort la voix d'une profession en détresse". C'est le but de ce livre blanc, dévoilé jeudi 13 novembre par l'Ordre infirmier (ONI). Il fait suite à une vaste consultation menée de février à septembre, à laquelle plus de 20 000 soignantes ont participé. Première profession de France, les 700 000 infirmières (82% de salariées, 18% de libérales) souffrent "d'un manque cruel de reconnaissance", souligne l'ONI. Subissant une succession de réformes au caractère "médico-centré", les infirmières sont "enfermées dans un carcan administratif et réglementaire" qui les exposent aux glissements de tâches. "En première ligne face aux déficiences de l'organisation du système de santé", soumises à "une pression économique constante", elles "parent au plus pressé, au détriment parfois de leur santé personnelle" (63% ressentent "très souvent" un sentiment d'épuisement professionnel) et des valeurs du soin. Profession plébiscitée par les Français (95% des Français leur font confiance, d'après un sondage Odoxa de novembre 2018), elles sont paradoxalement sous-estimées et sous-payées : leur salaire moyen est inférieur de 5% à la moyenne nationale et les situe en bas du classement des pays de l'OCDE.
Alors que les pratiques avancées ne concerneront tout au plus que 5000 soignantes, l'ONI formule 26 propositions pour reconnaître l'étendue des compétences de toutes les infirmières, faisant ainsi d'elles une véritable profession de santé, et non plus de simples "auxiliaires médicales". Créer des "consultations infirmières" A l'hôpital comme en libéral, les infirmières ont un atout majeur : leur proximité avec le patient. "En libéral, la consultation, elle est quotidienne. Nous sommes les seuls professionnels de santé à domicile, a insisté une infirmière lors du forum organisé aux Antilles par l'ONI en avril dernier...
"Lorsque nous contactons les médecins, nous leur faisons le compte-rendu total avec l'ensemble de nos observations. Nous donnons aux médecins toutes les réponses. Ils reconnaissent notre expertise et sont même en demande. Ils reposent beaucoup sur nous." Pour l'Ordre, l'explosion des maladies chroniques et la nécessité de développer une politique de prévention rendent nécessaires la création de consultations infirmières : consultation de suivi des patients chroniques pour "faciliter l'adhésion" au traitement et renforcer "le rôle d'alerte du médecin", consultation d'évaluation et de coordination pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées, consultation de sortie d'hospitalisation ou de chirurgie ambulatoire en cas de retour à domicile complexe, consultation "de première ligne" pour les "affections bénignes"… Développer la prescription infirmière Pansements, dispositifs médicaux… Le droit de prescription infirmière est actuellement très limité. S'agissant des patients diabétiques, "on peut prescrire tout ce qui est consommable mais pas le lecteur de glycémie", relève l'une d'entre elles. Au quotidien, de nombreuses infirmières sont contraintes de se placer dans l'illégalité, par exemple en dispensant un antalgique avant d'avoir la prescription correspondante. "Nous ne pouvons pas déranger les médecins toutes les cinq minutes", justifie une autre infirmière. Alors que 7 Français sur 10 y sont favorables (sondage Ipsos de juillet 2019), l'ONI plaide pour une extension de la prescription infirmière : matériel nécessaire à l'autonomie des patients (lits médicalisés, prévention anti-escarres, aide à la déambulation…), soins des plaies aiguës (prescription de produits, dispositifs médicaux, durée et fréquence des actes), actes de biologie pour les patients chroniques, antalgiques, compléments nutritionnels… L'Ordre réclame par ailleurs la possibilité de renouveler et d'adapter les traitements des patients chroniques, afin que les médecins puissent se concentrer sur les "cas complexes". Ce qu'elles sont, de facto, déjà amenées à faire sur le terrain. De nouvelles compétences Il s'agit pour l'Ordre de faire évoluer le rôle propre de l'infirmière (par opposition au rôle prescrit), pour reconnaître leurs compétences tout en faisant gagner du temps au médecin. Les soignantes seraient ainsi...
aptes à prélever et collecter les sécrétions et excrétions en prévision des analyses biologiques, réaliser des actes d'évaluation clinique type ECG, prise de sang, etc., poser et retirer des voies veineuses périphériques ou encore des sondes urinaires, le tout sans prescription médicale. Actrices de la prévention "Défi majeur" de la politique sanitaire, la prévention pourrait s'appuyer sur les infirmières, présentes "à tous les stades de la vie" des patients, souligne l'Ordre. Et de revendiquer la création d'une consultation de prévention (suivi tabagique, éducation en santé…), la possibilité de prescrire des conseils hygiéno-diététiques ou de rééducation simple, de vacciner les adultes sans prescription (pour l'instant seul le vaccin contre la grippe est permis), ou encore l'institution d'un "entretien-bilan" de prévention de la perte d'autonomie pour les plus de 65 ans. Une véritable profession de santé Aboutissement de cette montée en compétences, l'Ordre infirmier réclame une modification du code de la santé publique "pour ne plus considérer l'infirmier comme 'auxiliaire médical' mais comme professionnel de santé à part entière". L'instance demande enfin l'établissement de seuils minimaux d'infirmières par nombre de patients dans chaque activité de soins et souhaite la création de départements de sciences infirmières au sein des universités. La réponse de la ministre Destinataire de ce livre blanc, Agnès Buzyn a reconnu que la profession, "adorée des Français", est un "atout pour améliorer la qualité des soins" et sera amenée à "jouer un rôle majeur dans l'éducation thérapeutique des patients", que les médecins n'ont "pas le temps de faire". Face à Patrick Chamboredon, président de l'ONI, elle a rappelé les mesures déjà prises en faveur des infirmières (création de l'IPA, délégation de tâches aux urgences, primo-vaccination contre la grippe…) et les a exhortées à la patience. Dans leur quête d'indépendance, les infirmières pourront en tout cas compter sur le soutien actif du Pr Guy Vallancien, grand défenseur d'un transfert "massif" d'actes aux infirmières.
Réouvrir des lits et augmenter le nombre de médecins sont les plus belles conneries qu’ il faut empêcher. Passer L’ambulatoire à 85% des hospitalisations et transferer massivement les actes vers les infirmiers et autres professionnels @agnesbuzyn @EPhilippePM @EmmanuelMacron
— Guy Vallancien (@gvallancien) November 14, 2019
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