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Médecins de secteur 2, ils doivent des dizaines de milliers d'euros à l'Urssaf : "Certains doivent empruntent pour payer"

Victimes d'une "erreur" de sectorisation, plus de 2 500 médecins libéraux de secteur 2 se voient réclamer les cotisations "non appliquées à tort" par l'Urssaf sur les trois dernières années. Une procédure parfois mal vécue par les praticiens concernés. Témoignages. 

10/12/2025 Par Aveline Marques
Rémunération
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"Vous avez été immatriculée à l'Urssaf en tant que médecin de secteur 1, alors que vous exercez en secteur 2. Nous vous prions de nous excuser pour cette erreur." C'est ce qu'indique le courrier reçu le 7 mars dernier par la Dre Elodie Goyheneix, cardiologue en Gironde. Prenant acte de la "mise à jour" de son dossier, l'organisme de recouvrement lui réclame la somme de 24 172 euros, correspondant à la régularisation des cotisations "non appliquées à tort" au titre des années 2022, 2023 et 2024. Un montant qui sera ramené par la suite – inexplicablement- à 21 911 euros, pour 2023 et 2024.

Pour la spécialiste de 43 ans, installée depuis novembre 2018, c'est la douche froide. Non seulement ses cotisations Urssaf mensuelles passent de 1 500 à 2 500 euros par mois, mais durant trois ans elle devra payer un supplément de 500 euros, correspondant à la régularisation. "Je devais prendre une secrétaire, j'ai acheté plus grand pour salarier quelqu'un : eh bien je ne peux pas", confie-t-elle à Egora.

Le cas d'Elodie Goyheneix est loin d'être isolé : comme elle, 2 851 autres médecins en secteur 2 -dont 550 généralistes- ont été immatriculés en secteur 1, tandis que 46 praticiens réputés à tort en secteur 2 vont se voir rembourser le surplus de cotisations indûment versées, d'après les chiffres communiqués par l'Urssaf. La moitié des médecins concernés ont une "date de rattrapage démarrant en 2023 ou 2024", précise l'organisme.

Cette "erreur" aurait été détectée à la suite de "croisements de données" réalisés entre les fichiers de l’Assurance maladie et ceux de l’Urssaf. Ses "origines" sont diverses, avance l'organisme : "Absence de déclaration du secteur d’activité, non prise en compte du changement de secteur communiqué par la CPAM, erreur lors de la déclaration de début d’activité."

"C'est leur faute à eux, mais ils ont le droit de corriger les erreurs avec effet rétroactif sur trois ans", commente le Dr Richard Talbot, trésorier de la FMF. "Ce qu'a demandé le syndicat, c'est que l'Urssaf se conduise avec humanité en proposant un échéancier… et qu'ils répondent quand les médecins les contactent." La propre épouse du généraliste, installée en secteur 1, a d'ailleurs elle-même "subi" cette erreur… il y a une vingtaine d'années. "Il paraît que je n'ai jamais hurlé aussi fort dans un téléphone, sourit Richard Talbot. J'ai passé trois heures au téléphone pour leur faire entendre raison. Ils n'ont jamais remboursé. Ma femme n'a pas payé de cotisations durant deux ans, jusqu'à ce que le surplus soit récupéré." Une histoire qui n'est pas sans rappeler celle de la Dre Pauline Chabrand, généraliste secteur 1 en Martinique, engagée depuis plusieurs années dans un combat judiciaire avec l'Urssaf, qu'Egora avait relatée en 2021.

Endocrinologue-diabétologue à Angers, la Dre Mathilde Blanquet a également fait les frais de cette erreur. En 2015, un an et demi après son installation, son comptable l'alerte : "Il m'a dit : 'Il doit y avoir un problème avec l'Urssaf, car ils ne demandent pas la même chose qu'à vos associés'", se remémore-t-elle. "Etant enceinte au moment de l'installation, j'avais choisi le PAMC plutôt que le RSI*. Je suis toujours dit que ça venait de là : je ne rentrais pas parfaitement dans les cases, suppose Mathilde Blanquet. A l'époque, des spécialistes secteur 2 qui acceptaient de payer plus de cotisations maladie, il ne devait pas en y avoir beaucoup.

L'Angevine tente de joindre l'Urssaf "à plusieurs reprises, par téléphone et par mail" pour rectifier le tir : "Silence radio", raconte-t-elle. A la fin de l'année, son comptable lui conseille d'envoyer un chèque à l'organisme, qui n'aura d'autre choix que de l'encaisser. "Parce c'est embêtant d'avoir une dette, explique-t-elle. Et ça m'évitait de payer des impôts sur de l'argent que je n'aurais pas dû avoir." L'Urssaf encaisse… mais quelques semaines plus tard, elle rembourse la somme. Prudente, la praticienne provisionne les cotisations non réclamées et prend son mal en patience. Sur les conseils d'une connaissance travaillant à l'Urssaf, elle se décide à attirer leur attention en sous-entendant que la situation pourrait la conduire à "faire une bêtise". "Je n'y aurais jamais pensé… mais ça a marché", s'étonne encore la spécialiste : "Le lendemain, ils ont appelé mon comptable pour rectifier l'erreur de sectorisation".

Ils m'ont réclamé des agios

L'histoire de Mathilde Blanquet ne s'arrête pas là. "Evidemment, ils m'ont réclamé des sommes énormes, que j'avais mises de côté", poursuit l'endocrinologue, évoquant une dette de plus de 9 000 euros. "Mais ils me réclamaient aussi des agios !" Refusant de payer une majoration de retard alors qu'elle a signalé elle-même l'erreur à plusieurs reprises, la praticienne saisit la commission de recours amiable de l'Urssaf. Reconnaissant sa "situation particulière", cette dernière accepte de lui faire une "ristourne" en divisant la pénalité par deux. Mathilde Blanquet décide de porter l'affaire en justice. En septembre 2017, à la veille de l'audience, la médecin est contactée par la juriste de l'Urssaf qui l'informe qu'elle va demander son report au mois d'octobre, le temps de statuer… en sa faveur. Le mois suivant, la procédure est -enfin- abandonnée.

Avec le recul, Mathilde Blanquet considère qu'elle a eu la "chance" de pouvoir compter sur la vigilance de son comptable. "J'ai vu passer des situations un peu plus dramatiques de médecins dont les comptables ne se sont rendu compte de rien, et donc, qui n'avaient pas mis de côté et n'ont pas les moyens de payer, rapporte-t-elle. Quand je vois la difficulté que j'ai eu pour corriger les choses alors que j'étais de bonne foi, je vous laisse imaginer quand c'est l'Urssaf qui s'en rend compte au bout de plusieurs années et que vous avez dépensé l'argent."

"Le comptable aurait dû alerter les médecins"

Pour Richard Talbot, il est difficile d'admettre qu'une telle erreur ait pu passer inaperçue aussi longtemps. "Pour 100 000 euros de bénéfices, un médecin de secteur 1 va payer 100 euros de cotisations maladie** ; un secteur 2, 6 500. Il y a une telle différence qu'on ne peut pas ne pas la voir, en tout cas le comptable aurait dû alerter les médecins", juge-t-il. Tout en précisant : "Le comptable n'est pas juridiquement responsable de ce qu'il déclare, c'est le médecin qui n'a pas vérifié qui l'est : il y a eu plusieurs jurisprudences en ce sens." Pour le syndicaliste, les praticiens de secteur 2 concernés peuvent s'estimer heureux que le délai de prescription limite le rattrapage à trois ans.

Elodie Goyheneix soutient, elle, avoir été "induite en erreur". "Au moment de mon installation, j'avais la tête sous l'eau", se défend-t-elle. "J'étais enceinte, c'était une création d'activité, puis il y a eu le Covid", témoigne-t-elle. Au bout de deux ans, la cardiologue s'est bel et bien rendu compte qu'elle ne payait "pas beaucoup de charges", explique-t-elle. Comparant son relevé Urssaf avec celui d'un confrère généraliste en secteur 1 au chiffre d'affaires équivalent, elle constate qu'elle paie les "mêmes cotisations" que ce dernier, ce qu'elle met sur le compte de sa pratique tarifaire. Signataire de l'Optam, Elodie Goyheneix dit n'avoir facturé "aucun dépassement d'honoraires" par crainte de ne pas respecter un contrat et des engagements qui ne lui ont jamais été "clairement" expliqués. "J'ai fait des recherches sur internet et j'ai vu sur le site de l'Urssaf qu'une aide financière de l'Assurance maladie peut être octroyée pour prendre en charge une partie des cotisations sociales" pour les signataires de l'Optam, relate-t-elle. 

"C'est le mécanisme qui a été mis en place au moment du contrat d'accès aux soins [ancêtre de l'Optam, NDLR]"***, confirme Richard Talbot. Mais la convention de 2016 y a mis un terme, explique le syndicaliste : la participation de l'Assurance maladie aux cotisations sociales a été remplacée par une rémunération spécifique, la "prime Optam", versée a posteriori, avec un coefficient de dégressivité en cas de décalage avec les objectifs annuels. Pour un cardiologue, elle s'élève potentiellement à 7% des honoraires facturés au tarif opposable, indique le syndicaliste. En l'occurrence, Elodie Goyheneix confirme avoir perçu une prime d'environ 9 000 euros.

Reste que sur Ameli, l'Assurance maladie précise encore aujourd'hui que les secteur 2 affiliés au régime des praticiens ou auxiliaires médicaux conventionnés (PamC) – comme c'est le cas d'Elodie Goyheneix et de Mathilde Blanquet- peuvent "bénéficier d'une forme de participation à [leurs] cotisations sociales [s'ils adhèrent] à l'Optam", a pu constater Egora. "C'est peut-être une mauvaise formulation pour dire qu'il y a une prime ?", suggère Richard Talbot, qui rappelle que seuls les textes conventionnels font foi.

 

Pour le médiateur de l'Urssaf, saisi en mars, la cardiologue a "cumulé" les avantages du secteur 1 et du secteur 2 en bénéficiant à la fois de la participation de la CPAM à ses cotisations maladie et CAF, et de la prime Optam. La spécialiste estime, au contraire, qu'elle paie -plus cher- une liberté tarifaire dont elle n'a pas profité puisqu'elle n'a pas facturé de dépassements.

Certains médecins sont endettés à hauteur de 40 000 euros

Révoltée, Elodie Goyheneix a lancé un appel à témoignages sur les réseaux sociaux pour trouver des confrères dans la même situation et former un collectif. Si certains médecins endettés auprès de l'Urssaf à hauteur de "40 000, 60 000 euros" auraient décidé d'emprunter "pour se débarrasser de la somme" et de se retourner contre leur comptable, la cardiologue girondine a choisi la contre-attaque. Après le rejet, en septembre, de sa demande d'annulation auprès de la commission de recours amiable de l'Urssaf, elle a pris une avocate pour porter l'affaire en justice. 

La requête, qu'Egora a pu consulter, a été déposée le 1er décembre. L'avocate de la médecin demande l'effacement de son ardoise, jugeant notamment que la dernière mise en demeure de l'Urssaf (du 22 mai 2025) "doit être frappée de nullité" car "aucune période de référence n'est indiquée et aucun détail de calcul ne permet d'expliquer la valeur réclamée de 21 911 euros". Elle relève également les erreurs de calcul de l'organisme de recouvrement. "Logiquement, le montant de l'indu allégué par l'Urssaf […] devrait être strictement égal à la valeur des exonérations de cotisations sociales" dont Elodie Goyheneix a bénéficié, soit 8 435 euros pour 2022 et 2023, calcule l'avocate, spécialisée dans ce genre d'affaires "compliquées". Or, l'Urssaf lui réclame trois fois cette somme pour 2023 et 2024, alors que la cardiologue n'aurait pas bénéficié de la participation de l'Assurance maladie l'an dernier.

Préjudice moral

Surtout, l'avocate pointe les responsabilités de la CPAM et de l'Urssaf. "Il ne s'agit pas d'une unique erreur matérielle, charge-t-elle, mais d'une erreur reconduite successivement pendant plusieurs exercices professionnels avec des effets particulièrement lourds pour l'assurée. Il est incompréhensible que ni l'Urssaf, ni la CPAM n'ait réagi au cours de toutes les années de cette erreur, alors même qu'il existe nécessairement des relevés comptables" entre les deux organismes, attaque-t-elle.

L'avocate va jusqu'à réclamer 22 000 euros de dommages et intérêts aux deux administrations "en réparation des préjudices causés par la violation continue pendant plusieurs années de leurs obligations d'information et de conseils", et du "préjudice moral" lié à la régularisation demandée : stress, anxiété, "perte d'exploitation liée au temps passé à écrire aux caisses, médiateur, syndicats, etc. pour dénouer la situation et tenter de comprendre l'imbroglio du dispositif"…

"Je ne suis pas sûre que j'aurais gain de cause mais ça m'a soulagée d'aller au bout de la procédure", confie Elodie Goyheneix. "Les gens ont besoin d'être considérés et écoutés." 

 

*PAMC : régime des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés. RSI : Régime social des indépendants.

**Pour les cotisations d'allocations familiales, la différence est moindre, de l'ordre d'un facteur 2

***Avenant 8 à la convention de 2011, signé fin 2012.

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Claire FAUCHERY

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