"L'huissier arrivera à ma porte" : le combat désespéré d'une généraliste contre l'Urssaf

18/10/2023 Par A.M.
Témoignage

En novembre 2021, Egora évoquait le combat judiciaire de la Dre Pauline Plazy-Chabrand, généraliste installée à Fort-de-France (Martinique), pour que l'Urssaf régularise ses cotisations. Après l'avoir inscrite par erreur en secteur 2 au lieu du secteur 1, l'administration lui avait réclamé jusqu'à 76 000 euros. Deux ans plus tard, malgré deux jugements en sa faveur, la généraliste déplore un "matraquage administratif" fait de mises en demeure et d'injonctions aveugles à payer. En désespoir de cause, alors qu'elle songe à déplaquer et à quitter le pays, la praticienne a écrit une lettre à Emmanuel Macron.   "C'est une bouteille à la mer. Mais je suis tellement désabusée que je ne suis même pas sûre que quelqu'un la trouvera", confie Pauline Plazy-Chabrand. Généraliste installée en secteur 1 à Fort-de-France, la jeune praticienne a cumulé ces derniers mois six lettres de mises en demeure de l'Urssaf. Depuis quatre ans, en effet, elle ne paie plus ses cotisations. "Je leur dois dans les 60000 euros", reconnaît-t-elle, sans aucune certitude… faute d'avoir un relevé fiable et à jour de ses dettes. "Comment payer quand on ne sait pas ni quoi, ni combien payer ?", lance-t-elle. Tout a commencé en octobre 2019 lorsque cette mère de 3 enfants reçoit un appel de cotisations à régulariser. Elle qui a toujours tout payer en temps et en heure tombe des nues devant le montant réclamé : plus de 19 500 euros. Pour éviter des majorations, elle s'acquitte de cette somme, moyennant un prêt, avec la ferme intention de contester par la suite. Elle apprend peu après qu'elle a été par erreur enregistrée en secteur 2 lors de son installation, en 2013. Mais, alors que la faute est reconnue, la machine administrative s'emballe et depuis, Pauline Plazy-Chabrand n'a de cesse de réclamer un calcul de ses cotisations, prenant en compte les sommes réellement dues et déjà versées depuis 2013.

En juin 2021, la justice tranche en sa faveur et ordonne à l'Urssaf de mettre de l'ordre dans les comptes. Sans effet. Un deuxième jugement, en décembre 2022, enjoint l'administration à appliquer le premier jugement, sous peine d'astreinte… "Ils n'ont pas payé cette astreinte. Depuis ce jugement, je n'ai aucune nouvelle"*, déplore la généraliste. L'Urssaf serait dans l'incapacité de remonter jusqu'en 2013… "Mon avocat leur a laissé la possibilité de trouver un arrangement amiable. On épure les comptes puis on part à 0. Mais personne ne me contacte." L'Urssaf continue de lui réclamer ses cotisations, inlassablement. Alors qu'elle a déjà engagé "plus de 13 000 euros" de frais d'avocat, la praticienne hésite à se lancer dans une nouvelle procédure, coûteuse et chronophage, pour "démarche abusive". Une action qui viserait avant tout à la protéger face aux menaces de poursuites qui la hantent jour et nuit. "Honnêtement, ça va que j'ai un équilibre familial et que mes enfants sont en bonne santé, confie-t-elle. Et je pense que quand on est médecin, on se raccroche à ça." Déjà salariée en Ehpad à mi-temps, Pauline Plazy-Chabrand songe désormais à déplaquer pour s'expatrier au Québec et en finir avec cette "maltraitance administrative" qui bouleverse sa vie et celles de ses proches depuis quatre ans. En désespoir de cause, elle a écrit une lettre à Emmanuel Macron, qu'Egora publie en intégralité.    

"Monsieur le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être si vous avez le temps…"

C’est dépitée et à bout de souffle que je me résigne à écrire aux plus hautes instances de notre pays : au ministère et même au Président de la République. Je n’en reviens pas. Je trouve même ma démarche ridicule… En toute honnêteté, je pense que vous avez autre chose à faire que de lire une lettre rédigée sur papier libre par une petite généraliste d’un DOM situé à plus de 7000 km de vous… Mais je tente ma chance. Je vais peut-être faire tache au milieu des revendications de 68 millions de compatriotes mais je me dis qu’il n’y pas de raison, vous devez savoir comment marche l’administration de votre pays car cela est vraiment fascinant.

Dans la vie, on m’a appris qu’en travaillant bien à l’école, on peut accéder aux études, on peut avoir une bonne situation. On m’a appris aussi à être intègre et à respecter la justice. Cela s’appelle les valeurs, Monsieur le Président.

"J'ai pris 10 ans ferme"

Je n’ai pas peur du travail et j’ai toujours voulu faire médecin : servir à quelqu’un, à quelque chose et s’investir dans ce qu’il y a de plus beau : l’humain. C’est mon rêve de gosse. En partant de mon petit village de montagne pour la ville, j’ai sacrifié ma jeunesse, j’ai passé des concours difficiles, des jours et des nuits blanches, et accessoirement j’ai aussi avalé plusieurs mètres cubes de bouquins. Je suis allé aussi loin que l’on peut aller dans les études supérieures : j’ai pris 10 ans ferme.

Fière, je suis devenue médecin généraliste, médecin de famille comme j’aime à le dire. Pour faire ce métier, pas d’orgueil à dire qu’il faut de l’abnégation, de la disponibilité, du courage. C’est la vérité. Il faut être présent pour accompagner au mieux les gens et ne pas avoir peur des responsabilités. On doit prendre tous les jours des décisions qui engagent la santé des personnes que l’on suit : nos patients. Ce ne sont pas des inconnus, Monsieur le Président, ce sont des gens dont on connait l’histoire, dont on connait les parents et les enfants. On sait leurs difficultés et on a épongé avec eux quelques tourments. En médecine, il y a parfois des pathologies aiguës : c’est toujours mieux de détecter un AVC ou une embolie à temps, il faut être réactif. Il y a aussi des pathologies chroniques : diabète et ses complications, maladie neurologique et ses handicaps, cancer … On descend alors dans les méandres de la maladie avec nos patients, en leur tenant la main. Et ils ont besoin de nous.

"On paye tout et on a droit à rien"

On ne compte pas les heures. On conjugue le cabinet, les visites, les gardes avec notre vie de famille. On côtoie au quotidien la misère humaine, la violence, le handicap et la mort. Ce n’est pas "normal", on ne s’y habitue jamais. C’est sans doute le plus beau des métiers mais c’est surtout un métier difficile. On ne peut pas être "léger" quand on rentre le soir à la maison. Un médecin ça ne raccroche jamais vraiment.

En ville, on est médecin, M. le Président, mais on devient aussi chef d’entreprise. On monte un cabinet, on a un loyer, des charges, une femme de ménage et un secrétariat si on peut… On a des taxes et pas qu’un peu. On paye tout et on a droit à rien, ou si peu… Même à 40° de fièvre, on y va, même au terme de notre grossesse, on y est … On n’a pas le choix, les charges tombent chaque mois.

Je me suis installée, sûre de mes choix et de mon rôle, en 2013 au terme de mon internat, en Martinique. Cabinet de groupe, conventionnée secteur 1. Alors que je cotise de manière rigoureuse auprès de l’Urssaf, j’accuse réception en novembre 2019 de régularisations hors normes : plus de 19 500 euros puis 8500 euros, tout cela en un mois. Sous la menace de majorations si je ne payais pas et sur les conseils d’un des gestionnaires de l'Urssaf, il m’a fallu "payer pour contester". Enceinte de mon troisième enfant, j’ai dû souscrire avec mon époux à un prêt pour faire face.

Concernant mon dossier et ces sommes appelées à tort, l’erreur est rapidement trouvée : l'Urssaf m’a immatriculée en secteur 2 plutôt que secteur 1 lors de mon installation, alors que les bons documents avaient été transmis au pôle conventionnel de la sécurité sociale. L’erreur vient de leur service et est reconnue. La caisse de sécurité sociale m’explique qu’il n’est pas possible de "modifier" mon compte Urssaf mais que l’on va m’en créer un nouveau.

"L'Urssaf m'a réclamé jusqu'à 76 000 euros"

Un nouveau compte est alors créé avec le bon secteur. Cependant, il prend pour point de départ la date "fictive" de 2017 alors que mon installation date de 2013... Contrairement à ce qui m’avait été promis, aucune mise à jour de mon compte Urssaf n’est intervenue. Pire, mes cotisations des années antérieures n’ont pas été reportées ou seulement partiellement sur ce nouveau compte. Ainsi l’Urssaf m’a réclamé jusqu’à 76 000 euros sans aucune raison avec la création de ce nouveau compte mal renseigné. Le problème semblait insoluble… Epuisée, j’ai dû prendre contact avec un avocat.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Fort-de-France a condamné l'Urssaf en juin 2021, après six renvois de l’audience à leur demande, mais aucune mise à jour de mon dossier n’a eu lieu. Ainsi, il m’a fallu saisir le juge de l’exécution des peines pour espérer que l’Urssaf fasse enfin son travail. Au terme (toujours) de multiples renvois de l’audience à la demande de l’Urssaf (8 au total), le juge de l’exécution a tranché en ma faveur le 9 décembre 2022, ordonnant à l’Urssaf d’exécuter la décision de justice et le condamnant à nouveau. Une astreinte a été fixée. La décision du juge de l’exécution a été signifiée à l’Urssaf par huissier de justice le 2 mai 2023 puisqu'aucune action depuis le jugement de décembre 2022 n'a été entreprise par leur service.

En plus de ces procédures judiciaires, le Défenseur des droits a été saisi devant cette situation ubuesque et maltraitante à mon égard Ces différentes actions depuis 2020 restent sans effet. En date du 25 mai 2023 et suite à un point exhaustif de mon avocat par courriel, il indique d’ailleurs "qu’une nouvelle intervention du Défenseur des droits va être préparée, sous l’angle de la violation du droit au recours garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ce droit implique en effet l’effectivité du recours et, par voie de conséquence, l’exécution des décisions rendues par les juridictions françaises."

"Je suis punie pour une faute que je n'ai pas commise"

En parallèle de ces démarches, je reçois des "mises en demeure" et des menaces de "dernier avis avant poursuites" par l’Urssaf pour que je paye mes "cotisations". Correspondances qui se sont intensifiées depuis début 2023. Cependant, aucune mise à jour de mes dettes ou de mon dossier sur mon compte Urssaf n’a eu lieu depuis 4 ans. Dans ce contexte, comment et quoi payer ? Je réponds systématiquement à ces injonctions par des courriers explicatifs, avec accusé de réception, en fournissant les deux jugements prononcés. Malheureusement, je pense que l’huissier arrivera à ma porte puisque je comptabilise à l’heure actuelle plus de six lettres de menaces de procédure à mon encontre en l’espace de quelques mois… Cette situation est déstabilisante et très anxiogène pour moi.

Une mise en demeure détaillée des années 2017 à 2022 m’a été transmise en septembre 2023. Elle s’est avérée complètement erronée après vérification de mon cabinet comptable. Mon organisme de gestion agrée m’a informée récemment de la non déductibilité de mes cotisations Madelin au plan comptable, sous le motif que je ne suis pas à jour de mes cotisations obligatoires. Ainsi, en plus du matraquage administratif avec une pression permanente exercée depuis près de quatre ans, des frais d’avocat répétés avec des procédures sans fin pour simplement obtenir que justice soit faite, voilà maintenant que je suis "punie" pour une faute que je n’ai pas commise au niveau de ma comptabilité… C’est invraisemblable.

Monsieur le Président, je vous écris car je n’arrive plus à faire face. Je suis mariée et maman de 3 jeunes enfants. Personne ne peut imaginer le désarroi dans lequel nous avons basculé depuis le début de cette affaire. Cette procédure m’a couté non seulement de l’argent mais surtout du temps, de l’énergie et par-dessus tout mon équilibre familial et ma santé. J’ai perdu le sommeil, j’ai développé des symptômes d’anxiété. Jusqu’à quand cette mascarade va-t-elle durer ? Les gens de l’URSSAF n’ont donc pas d’impératifs pour faire simplement leur travail ? N’ont-ils aucune décence pour se soustraire de la sorte à la justice de leur pays ? N’ont-ils pas honte de mener ce harcèlement administratif complètement écœurant à l’égard d’honnêtes gens, sans jamais étudier les réponses qui leur sont pourtant faites ? Sont-ils au-dessus des lois ?

J’ai toujours voulu faire médecin de famille, c’était mon rêve de gosse, ma vocation. Aujourd’hui, je ne pense pas pouvoir poursuivre, en tout cas pas dans ce pays. Je ne veux pas sacrifier davantage et cette administration m’a déjà volé beaucoup trop.

"Je n'aurais jamais pensé vouloir quitter mon pays"

Mon avocat entame à l’heure actuelle un nouveau recours auprès du Juge de l’exécution pour "essayer" de liquider l’astreinte fixée au jugement de décembre 2022 et "tenter" de faire enfin respecter les décisions de justice prononcées. Mais y a-t-il seulement une sortie à ce tunnel ?La maltraitance administrative dont l’Urssaf fait preuve à mon égard depuis quatre ans est affligeante. Je souhaite que mon dossier soit mis à jour afin de régulariser la situation et reprendre le paiement de mes cotisations. Je ne suis aucunement dans le refus de payer. Je souhaite uniquement pouvoir poursuivre sereinement mon activité professionnelle en payant les cotisations effectivement dues. A ce jour, l’Urssaf ne fait pas son travail et ne me permet pas d’avancer.

Monsieur le Président, il n’est pas tolérable que les décisions de Justice dans un pays comme la France ne soient pas appliquées. Cette administration m’a plongée dans une détresse dont je ne suis pas encore sortie. Combien de familles se retrouvent dans notre cas à cause de l’incompétence des services de l’Urssaf et de son impunité ?

Je n’aurai jamais pensé remettre en cause mon métier. Je n’aurais jamais pensé vouloir quitter mon pays. Je suis écœurée et déçue de faire ce constat aujourd’hui. A la manière du Déserteur qui m’a permis de débuter cette lettre, je pourrai conclure avec lui : "Si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes, que je n’aurai pas d’arme et qu’ils pourront tirer…" Mais ça, l’Urssaf le sait déjà et s’y emploie depuis quatre ans... Espérons que mon armure ait encore un peu de résistance.

Respectueusement

Dr Plazy Chabrand Pauline

       

La réponse de l'Urssaf
"Le jugement date du 30 juin 2021, a bien été exécuté et le trop-perçu (9099 €) ré imputé à hauteur de 7769 € sur les cotisations dues par Mme PLAZY-CHABRAN. Un solde en sa faveur d’un montant de 1330 € a été reversé entre les mains du centre de gestion PAM de la Réunion désormais en charge du recouvrement des cotisations des professionnels de santé de Martinique. Seules restent dues, à ce jour,  les sommes afférentes à l’astreinte, à l’article 700 et dommages et intérêts, en instance de paiement auprès de l’étude PELAGE, mandatée par Mme PLAZY-CHABRAN."
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26 commentaires
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Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 6 mois
C’est un bras de fer, il faut tenir, qui plus est si la justice a tranché en sa faveur. Il faut aller jusqu’au bout, il faut leur faire payer indemnités, préjudice et tout ce qui va bien. Ils ne co...Lire plus
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Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 6 mois
Je suis autant atterrée que compatissante. Il serait temps de modifier le rôle de l'ordre des médecins afin qu'il soit capable d'aider ses cotisants (de moins en moins volontaires) face à ces tracas...Lire plus
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Psychiatrie
il y a 6 mois
Je compatis et comprends, ayant moi même subi ce genre de problème pendant plus de 2 ans suite à une erreur de l'Urssaf qui m'avait radiée du 77 pour m'inscrire en 75 sans tenir compte de ce que j'ava...Lire plus

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