cri du coeur d'une jeune médecin généraliste

"Médecin, mère et sacrifiée : je ne dois rien à l’État"

Au lendemain du vote par les députés de la proposition de loi Garot qui instaure une régulation de l'installation des médecins, la généraliste Amélie Brouchet-Furon a pris la plume sur Linkedin. Traduisant le ressenti de nombreux jeunes praticiens, son cri du cœur a suscité une avalanche de réactions. Avec son accord, Egora publie son témoignage.

Témoignage
cri du coeur d'une jeune médecin généraliste

"Médecin, mère, et sacrifiée : je ne dois rien à l’État. 

Je suis médecin généraliste remplaçante, devenue mère de deux enfants pendant mon internat. J’ai eu « la chance » de faire mon internat en 3 ans. Car oui, subir une année d’études de plus, loin de tout, c’est un sacrifice pour ma famille. Les gardes de nuit alors que j’allaitais encore, les week-ends envolés, le stress d’un double statut étudiant-travailleur, les devoirs à rendre malgré les urgences de soins...

Ma thèse portait sur la parentalité des internes en Outre-mer. Résultat : les internes parents ont besoin de stabilité géographique, financière, temporelle et affective. Pas d’accès prioritaire à une crèche, des lieux de stage qui changent tous les 6 mois, pas toujours de proches sur place, et souvent un conjoint non médecin qui doit tout absorber. Qui vient récupérer les enfants quand l’interne est coincé au bloc pour une urgence vitale ? Aujourd’hui encore, le statut d’interne parent est un champ de bataille, et le code du travail n’est pas respecté. Et malgré cela, on continue à nous pressuriser.

Les jeunes médecins diplômés, 30 ans à la sortie des études, devraient encore être envoyés de force dans les déserts médicaux ? Juste au moment où ils peuvent enfin construire leur vie ? Loin des amis, de la famille, sans relais, sans écoles ? À quel moment une nation civilisée jette-t-elle ainsi sa jeunesse en pâture ?

Dans Le Monde, deux professeurs « émérites » – Didier et Jean-François Payen – osent dire que nous, jeunes médecins, sommes «redevables » à l’État. Parce que nos études « ne coûteraient que 1 000 euros par an » jusqu’à l’internat. Mais VOUS ? Vous n’êtes pas redevables ?

Je ne dois rien à l’État. C’est lui qui me doit :
• Mes gardes d’externat non payées
• Mes fausses couches passées sous silence
• Mon équilibre mental détruit par l’épuisement
• Les sacrifices de mes enfants privés de stabilité

Mes chers professeurs, je vous attends en désert médical.

Et pendant ce temps, on saborde la permanence des soins. Là où je remplace, elle était assurée les week-ends, jours fériés, samedis après-midi. Avec la nouvelle convention de 2024, voilà ce qu’on nous propose :
Jour férié : 45 € → 35 €
Nuit : 65 € → 35 €
Samedi aprem et dimanche : 45 € → 35 €

+5 € pour une consultation non régulée. Une aumône. Une insulte. Qui accepterait de travailler un dimanche pour ça ? Résultat : les permanences ferment. Et on s’étonne du manque de médecins ? Du sous-paiement, j’ai déjà donné. 

Et nos députés ? Payés 7 493 €/mois, seuls 108 sur 577 se déplacent pour une loi majeure. 99 pour. 9 contre. 469 absents. Indigne. C’est la France. Pendant que vous vous félicitez de "sauver la santé", nous, on sauve des vies. Des infarctus. Des AVC. Des détresses respiratoires. Tous les jours.

Ce n’est plus une démocratie. Un théâtre où les absents gouvernent. Et croyez-moi : il y aura des morts. Nous n'acceptons pas cette condition."

Comptez vous fermer vos cabinets entre le 5 et le 15 janvier?

Claire FAUCHERY

Claire FAUCHERY

Oui

Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus

Photo de profil de Georges FICHET
6,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 7 mois
Je remarque que les commentaires les plus critiques de cet article émanent d'hommes qui certainement sont des vieux schnocks comme moi, qui, à 74 ans, continue de travailler surtout pour compléter une retraite de la CARMF qui n'est pas bien grosse car j'ai eu le tort de faire de la médecine et non des consultations (comprenne qui pourra !). Je vais dire une seule chose, c'est qu'à notre "époque", si nous n'étions pas des geignards, dans une promo d'environ 120 étudiants ayant passé le cap de la première année fin 1970, 3 se sont suicidés en cours d'études. La souffrance existait mais restait inconsciente parmi les étudiants en médecine. Ça arrangeait tout le monde. Au moins, à présent, elle s'exprime au travers de ces témoignages et c'est tant mieux. Ça finira peut-être par faire changer les choses.
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504 points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 7 mois
Je me demande où est la vocation, l'empathie et l'envie d'aider nos contemporains dans tout cela ? Quand on s'engage dans ce quasi sacerdoce inutile de se victimiser, on l'a choisi. Après plus de cinquante années de profession dont 38 ans d'active, je ne reconnais plus cette geignardise permanente.. Haban selon la devise de Gaston Phoebus (en avant). De nombreux moyens sont à disposition, quand on avait presque que ses 5 sens pour méthode diagnostique, on était forcément plus proche des patients, pas retranchés derrière un écran d'ordinateur. C'est insupportable de ne plus avoir de contact direct avec un "médecin". C'est insupportable de vous entendre plaindre et geindre à tout bout de champ. C'est insupportable de voir que faute de présence, la profession se fait grignoter par les autres beaucoup plus près. Bref vous faites votre propre malheur et surtout celui de la santé de vos concitoyens.
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1,7 k points
Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 7 mois
Être médecin n’est pas un châtiment. C’est un privilège. Celui d’exercer un métier utile, respecté, stable, rémunéré, qui sauve des vies et donne du sens. La tribune publiée sous couvert de témoignage personnel confond épreuves et martyre, choix et esclavage. Oui, l’internat est exigeant. Oui, concilier parentalité et médecine est difficile. Mais combien de femmes, de mères, de travailleurs — en usine, en caisse, au foyer, à la mine même dans certains pays — n’ont ni reconnaissance, ni perspectives, ni protections ? Là où je vis et travaille, beaucoup tueraient pour avoir le privilège d’être médecin, avec tout ce que cela implique de sens et de confort matériel. Revendiquer un statut de « sacrifiée », tout en niant la moindre dette envers l’État et la collectivité qui ont financé notre formation, relève d’une imposture victimaire et individualiste, bien éloignée de l’idéal de service public. C’est indécent. La médecine n’est pas une prison. C’est un serment. Quelle tristesse de voir ce que cette personne en a fait.
 
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