Le jour où j'ai plaqué la médecine générale pour la sophrologie

28/04/2018 Par Kalindea
Billet de blog

Tout arrêter pour changer de vie. De nombreux médecins y ont songé, lassés de leurs conditions d'exercice, de leurs relations à la Sécurité sociale, aux patients ou de leur rythme effréné. Dans ce billet de blog, cette généraliste raconte comment elle a osé sauter le pas. Depuis quelques mois, elle exerce en tant que sophrologue. Si elle est fière d'avoir surmonté ses craintes, tout n'est pas encore rose pour autant.

  Ce billet a initialement été publié sur le blog de Kalindea   "Je vais continuer à vous conter les étapes de ma reconversion de médecin généraliste vers le métier de sophrologue (ça, c’est pour les moteurs de recherche, c’est fait!) J’ai déjà abordé les freins au changement qui se sont manifestés pour moi (et qui se sont avérés être des limites que JE m’imposais à moi-même, je le rappelle : ce qui semblait insurmontable avant la décision me semble presque dérisoire aujourd’hui… Une fois l’obstacle franchi, il semble immédiatement moins effrayant !) La peur du manque d’argent en était un, et non des moindres, d’autant plus que j’étais la seule source de revenus de notre famille (nombreuse) : l’Homme a démissionné de son poste salarié lorsque j’attendais notre 3e enfant et a été père au foyer pendant 10 ans pour s’occuper du quotidien de nos 3 puis 4 enfants. J’étais alors remplaçante. Lorsque je lui ai annoncé ma décision, il m’a dit grosso modo : « OK, super, fonce, depuis le temps que tu en parles, si tu sens que tu es prête, vas y. » Devant ma surprise face à son absence totale de craintes pour le futur, il ajouta : « Tant que tu continues à ramener assez d’argent pour nous faire vivre, il n’y a pas de problème… » S’en est suivi une mise au point sur le fait que je ne gagnerai jamais autant en tant que sophrologue qu’en tant que médecin… Qu’il fallait se préparer à des changements radicaux dans notre mode de vie. Mais que bien sûr, je ne ferai rien qui risque de nous mettre dans la merde. Nous avons abordé les choses acceptables pour nous (ne pas partir en vacances, privilégier les achats d’occasion, limiter les sorties au maximum, ne plus faire de formations pendant un moment, etc…) et les limites que nous ne voulions pas franchir (vendre la maison, priver les enfants de leurs activités, manger de la merde, etc…) Et nous nous sommes rassurés en nous disant qu’avec mon métier, j’avais de multiples possibilités de compléter mon revenu : gardes, remplacements, salariat, etc… J’avoue que j’avais espéré un soutien différent de sa part, mais je décidais de me focaliser sur sa confiance en moi, et sur la totale liberté dont je pouvais bénéficier pour prendre le chemin que j’avais choisi. J’ai commencé à annoncer ma décision à ma famille au cours des fêtes de fin d’année. J’ai reçu en retour de belles marques de confiance également, la compréhension, et le soutien, moral et financier. (Je pouvais compter sur mes parents en cas de coup dur, ou pour un investissement de départ. Je n’avais pas l’intention d’en profiter, mais savoir qu’on ne se lance pas sans filet est rassurant) Un mois après environ, sans que nous en ayons reparlé, l’Homme m’a annoncé qu’il s’était inscrit à Pôle Emploi pour trouver une formation et se remettre sur le marché du travail. Je lui suis tellement reconnaissante pour cet engagement dans mon projet… Trois mois plus tard (au rythme très… particulier de Pôle Emploi) il intégrait une formation à temps plein, rémunérée, sur 3 mois. Le stage de fin de formation a débouché sur un contrat saisonnier en intérim de 2 mois, qui s’est prolongé finalement pendant 6 mois, et va sans doute déboucher sur un CDI dans les prochains mois. C’est au SMIC, mais c’est la stabilité, la valorisation sociale et professionnelle pour lui, et la réintégration dans une sorte de « normalité » pour notre famille et notre couple. Ça a demandé une certaine capacité d’adaptation rapide (« Je commence lundi. » / OK, qu’est-ce qu’on fait des enfants ??!!) et des ajustements constants, mais cet argent qu’il gagne, je n’ai pas à le trouver toute seule. C’est un poids en moins. Ce partage des responsabilités financières est un vrai soulagement pour moi, même s’il’reste inégal. Alors oui, les enfants découvrent la cantine, le périscolaire, aller à l’école avec un Doliprane quand ils ont un peu de fièvre, mais c’est aussi une expérience pour eux, comprendre qu’il n’y a pas « une normalité et rien d’autre » mais que nos vies sont ce que nous décidons d’en faire, avec les avantages et les inconvénients qui vont avec… De mon côté, j’ai postulé pour devenir médecin vacataire en PMI en parallèle à la sophro. C’est clairement un choix guidé par mon plaisir à suivre des nourrissons (j’avais une activité très axée pédiatrie, et j’aimais beaucoup ça; ça m’embêtait de perdre complètement cette facette de mon activité) et pas par calcul financier. (Spoiler: ça ne paye pas bien !) Je fais donc des consultations de pédiatrie préventive deux demi-journées par semaine, en plus de mes séances de sophrologie. C’est une activité salariée. Lorsque j’ai dévissé ma plaque, je n’avais aucune idée de la demande que je rencontrerai en sophrologie. J’avais pris le parti de me laisser une totale disponibilité pour cette activité. Je n’ai donc pas cherché de remplacements. J’ai cependant eu plusieurs mauvaises surprises. D’une part, le licenciement de mes employées m’a coûté beaucoup plus cher que prévu. Essentiellement du fait d’une négligence de ma part. Ce qui a été une illustration du principe qu’on ne s’improvise pas employeur/comptable/chef d’entreprise. D’autre part, mon téléphone n’a pas DU TOUT sonné pendant 3 semaines. Pas UN SEUL nouveau patient à l’horizon. J’étais fort occupée par la rénovation de mon local, qui a (évidemment) pris beaucoup de retard par rapport à mes prévisions, du coup je n’avais pas trop le temps de penser, mais l’argent que j’avais mis de côté pour la transition à fondu comme neige au soleil, et j’ai eu quelques sueurs froides concernant notre situation financière. J’ai donc commencé à chercher frénétiquement des gardes de WE et des remplacements. J’avais imaginé pouvoir éviter cela, mais avec un peu de recul, c’était vraiment naïf de ma part. Ce n’est pas grave, j’assume ma naïveté ! Tant que je sais rebondir et voir la vérité en face à temps ! J’ai donc trouvé un cabinet où j’ai programmé une semaine de remplas à chaque vacances scolaires (le cabinet de sophro sera fermé ces semaines là) et où j’ai fait des mercredis matins en rempla régulier. J’ai sollicité les confrères des secteurs alentour de me donner leurs gardes de WE. Et j’ai entrepris de redresser la barre sur mon compte en banque. J’ai pris le parti de remplacer suffisamment loin de mon ancien cabinet pour ne pas retomber sur mes anciens patients. Dans ma ville je veux être juste sophrologue. Ça arrive que j’en rencontre l’un ou l’autre en garde, mais ça ça va, je peux l’assumer. De fil en aiguille j’ai arrêté les mercredis matins, et je me suis concentrée sur les WE, notamment les samedis matins, dont de nombreux confrères sont ravis de se décharger ponctuellement ou régulièrement. La semaine, je fais donc de la sophro et de la PMI, et le WE je fais de la médecine générale… Je n’ai pas encore quitté le système, on ne peut pas dire que je sois vraiment « reconvertie », mais j’ai passé des étapes, et non des moindres. Je ne suis plus employeur. Je ne suis plus rémunérée sur des objectifs soi-disant « de santé publique » plus que discutables. Je ne suis plus responsable de la gestion et de la mise à jour d’un système informatique que je trouve complexe. Je n’ai plus la responsabilité au long cours de la santé des patients qui m’avaient choisie comme médecin traitant. Je ne suis plus harcelée administrativement. J’ai beaucoup moins l’impression d’être le dindon de la farce (méprisée par la caisse, certains spécialistes d’organe, et certains patients) Je n’ai plus la pression de cette demande incessante et toujours croissante qui me faisait me dire « pour le moment je tiens le coup, mais combien de temps, ce n’est pas vivable sur la durée » En contrepartie, je reste un service de consommation. Je n’ai plus la confiance des patients qui sont amenés à me consulter et qui me subissent. Je n’ai pas beaucoup de WE libres. Mais je ne le vis plus du tout de la même manière qu’à l’époque où je n’étais « que » remplaçante. Mon expérience fait que je vis beaucoup mieux cette activité. Je n’ai plus peur de me planter, de passer à côté de quelque chose (enfin si, toujours un peu, forcément, on l’a tous, cette peur… Mais elle est à un niveau tout à fait tolérable) Et je sais que « ma vie est ailleurs », que ce n’est qu’un mal nécessaire, que j’ai un autre cadre pour m’épanouir. Et honnêtement ce n’est même pas désagréable ! Je découvre d’autres façons de travailler, d’autres gens… Et ça me fait réaliser que mon organisation, mon association, ma façon de travailler, n’étaient pas si idéales que je pensais. Oui, j’avais mis en place des choses pour mieux vivre (notamment aller chercher mes enfants à l’école le midi et manger avec eux presque tous les jours, et me libérer le mercredi pour eux également) Mais plein de choses étaient vraiment bancales et je ne m’en rendais pas vraiment compte… Pour finir, puisque le sujet de ce billet est l’argent, j’ai étudié mes comptes pour le dernier trimestre. J’ai gagné en 3 mois (en brut) 1500€ avec la sophro, et 10600€ avec la médecine. Dire définitivement bye bye à la médecine n’est donc pas du tout à l’ordre du jour ! Mais ce n’est pas un problème… Je suis mon chemin, et j’arrive à payer mes factures, c’est tout ce qui compte. Et puis les choses évoluent… Moi qui n’avais aucune intention de faire des séances de groupe, j’ai été contactée par une infirmière qui.. travaille près d’un cabinet où je remplace, pour présenter la sophro lors de séances d’éducation thérapeutique, une fois par mois. Une belle intégration de mes deux professions… Et cela donne également une cohérence à mes choix : les remplacements représentent aussi une opportunité de me faire connaître et de rencontrer des « prescripteurs » potentiels… Sur le plan administratif, j’ai un numéro SIREN unique, avec 2 codes différents pour mes 2 activités (médecin remplaçante à mon adresse perso, et sophrologue à l’adresse de mon cabinet, en activité secondaire) Et j’ai un identifiant spécial pour la PDSA (permanence des soins ambulatoires) qui me permet de prendre des gardes en mon nom propre (sans avoir à remplacer quelqu’un) et donc d’encaisser directement des honoraires, dans ce cadre uniquement, ainsi que l’indemnité d’astreinte. Je suis donc indépendante pour les gardes, ce qui est confortable. Voilà dans les grandes lignes pour la question de l’argent. Qui reste le nerf de la guerre, on ne se voile pas la face, mais ne doit pas être une excuse pour ne rien entreprendre ;-)  

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