Santé mentale

"Il y a beaucoup de culpabilité chez les femmes médecins" : généraliste à la retraite, elle aide ses consœurs à ne "pas se laisser déborder"

Il y a deux ans, la Dre Dominique Mas, fraîchement retraitée de son activité de généraliste, a décidé de se lancer dans une nouvelle aventure entrepreneuriale. Guidée par l'envie de "contribuer autrement", elle a lancé un service payant de coaching à destination des femmes médecins libérales, pour les aider à "retrouver leur cœur de métier" et une sérénité dans leur exercice.  

01/12/2025 Par Louise Claereboudt
Santé mentale

Médecin généraliste, la Dre Dominique Mas l'a été pendant 34 ans. Après une brève expérience aux urgences, elle embrasse l'exercice libéral en 1989, enthousiasmée par l'aspect entrepreneurial du métier. "J'ai commencé toute seule en achetant les locaux d'un restaurant au pied des pistes à Val d'Isère, et j'y ai installé mon cabinet", explique-t-elle. Au bout "10 ou 15 ans", elle souhaite s'associer et monte un cabinet de groupe avec quatre confrères, toujours au pied des pistes, "pour soigner les blessés". "C'était un mini service d'urgences. La structure encaissait les recettes et nous touchions des indemnités de gérance. J'aimais bien ce système aussi." Contrainte de quitter la station de ski "pour raisons personnelles", Dominique Mas exerce ensuite trois ans en tant que remplaçante à SOS Médecins Grenoble : "Un autre type de structure, une autre façon de travailler." Sollicitée par deux confrères débordés du centre-ville, elle reprend finalement une activité "classique" en cabinet en 2009, et repart de zéro. 

Lorsque Dominique Mas envisage de prendre sa retraite, il est hors de question pour cette entrepreneuse dans l'âme de "tout arrêter". "Je ne me voyais pas ne plus entendre parler de médecine, mais j'avais envie de contribuer autrement qu'auprès des patients, se rappelle la praticienne. J'avais envie d'avoir une activité de transmission, d'accompagnement, auprès des médecins ayant moins d'expérience ou faisant face à des difficultés." En parallèle de son activité, la généraliste se forme donc au coaching ; et c'est le "déclic". "J'avais découvert le développement personnel un peu plus tôt, et ça m'avait énormément servi avec ma patientèle."

Dominique Mas ferme son cabinet en 2023 pour proposer ses services. Sa cible ? Les femmes généralistes. "Je suis moi-même une femme, c'était plus facile, reconnaît-elle. Et au travers des réseaux sociaux, je voyais que les femmes pouvaient discuter davantage entre elles, plus se remettre en question."

Dire non…

Durant un an, elle accompagne "de façon individuelle" une petite dizaine de consœurs, fonctionnant principalement au "bouche-à-oreille" et grâce aux réseaux sociaux. "J'ai rencontré des femmes médecins qui n'arrivaient plus à pousser la porte de leur cabinet, qui sentaient que ça n'allait pas, et qui, maintenant, sont tout à fait à l'aise avec le fait de mettre un cadre à leurs patients pour pouvoir se sentir mieux. Pour beaucoup, la difficulté, c'était de savoir dire non. Les médecins sont souvent coincés entre leurs patients, la CPAM… S'ils ne décident pas de se respecter et de décider eux-mêmes comment ils vont fonctionner dans leur cabinet, ils se laissent complètement déborder. Ce que j'apprends aux femmes médecins que j'accompagne, c'est que ce sont elles les cheffes d'entreprise." Si elle ne nie pas que les hommes médecins peuvent aussi rencontrer des difficultés dans leur exercice, pour Dominique Mas, "les femmes sont peut-être plus en souffrance, parce qu'elles mettent plus d'émotionnel".

Confortée dans son idée qu'elle peut mettre son expérience à profit, Dominique Mas décide en 2024 de créer un "vrai programme d'accompagnement sur six mois", payant*, afin de permettre aux femmes médecins de "reprendre le contrôle de leur vie, tout en développant leur cabinet comme une entreprise prospère", avance-t-elle sur son site, Domiladoc. Son programme est basé sur une méthode en ligne, à suivre en autonomie, se déclinant en trois modules : "Mon équilibre, mes patients, et mon entreprise." "Il y a 30 vidéos de cinq minutes avec à chaque fois des exercices à faire pour réfléchir à ce vers quoi on veut aller. Cette méthode me permet d'avoir un socle pour proposer ensuite un accompagnement." Celui-ci se compose d'un coaching individuel d'une heure par mois avec Dominique Mas, et d'un coaching collectif, également d'une heure par mois, avec les autres médecins ayant intégré la formation. 

"Le métier de médecin a changé. On ne donne plus sa vie pour son métier comme c'était le cas avant", observe la généraliste retraitée. "Je veux montrer aux femmes médecins qu'il est possible de fournir du temps de qualité à son cabinet en faisant des choix de priorité, en déléguant un certain nombre de tâches. Ma valeur ajoutée, c'est que je prends la situation actuelle, je vois ce que l'on peut améliorer tout de suite pour que le médecin soit plus serein, plus efficient, et gagne mieux sa vie. C'est possible sans avoir besoin d'ajouter des heures et des heures au cabinet", affirme la sexagénaire, qui a constaté qu'il existe "un vrai sujet lié aux revenus". L'idée, c'est aussi "d'aider les femmes médecins à revenir à leur cœur de métier : la médecine. Quand elles ont fait leurs études, je ne pense pas qu'elles s'imaginaient passer autant de temps à faire de l'administratif, à gérer du secrétariat… des choses qui prennent de plus en plus de place."

Changez avant qu'il ne soit trop tard

Dominique Mas conseille d'abord aux femmes médecins qu'elle accompagne de se demander ce que serait leur "exercice idéal". "Je les incite à prendre une feuille en mettant deux colonnes 'ce que je veux, ce que je ne veux plus', sans se mettre de barrières. Ça permet de réfléchir, et de se demander 'est-ce que ce que je fais aujourd'hui va dans ce sens ou pas'. Tout ce qui ne va pas dans ce sens, on le reprend, on voit comment faire autrement." Deuxième recommandation : inscrire dans son agenda toutes les tâches de la journée, professionnelles ou personnelles. "Le médecin a son agenda de consultations, mais rien d'autre. Le reste, on ne sait pas où le caser. Ça peut être du sport, un moment en famille. Il faut dégager un créneau pour tout. Autrement, c'est comme ça qu'on se retrouve en burnout", met en garde la retraitée.

"Il y a beaucoup de culpabilité chez les médecins qui ont l'impression qu'elles ne peuvent pas tout faire, constate en effet Dominique Mas. Coupables vis-à-vis des patients qu'elles n'ont pas réussi à caser, coupables vis-à-vis de la famille parce qu'elles rentrent tard le soir, coupables par rapport à une sensation de ne pas tout savoir." Si les personnes qui font appel à ses services ne sont "pas complètement cramées", "mon message c'est de dire, 'changez avant qu'il ne soit trop tard'", insiste-t-elle. "Au cours de ma carrière, j'ai parfois eu la sensation d'entrer dans un tunnel en partant au cabinet, et de n'en sortir qu'à partir de 19-20 heures, comme si j'avais été en apnée toute la journée. C'est plutôt mauvais signe. On sort malheureusement de ce tunnel chez soi, et la famille en paie les pots cassés parce qu'on peut être désagréable. J'ai trois enfants. Si l'un d'eux avait un problème médical lorsque je rentrais du cabinet, ça pouvait me paraître insurmontable."

Pour la généraliste, qui a conservé une petite activité de régulation à côté, le climat ambiant n'aide pas les médecins libéraux dans leur recherche de sérénité. "Il y a une évolution alarmante depuis quelques années. Le médecin n'a plus le statut qu'il avait", observe Dominique Mas. "J'accompagne une femme médecin de 58 ans qui voit des patients arriver au cabinet en exigeant ce qu'elle doit faire. Après 30 ans d'exercice, c'est maintenant qu'elle est au plus mal. Je lui réapprends à dire non", illustre l'entrepreneuse pour qui "le mal du médecin, c'est le manque de reconnaissance". "Mais rien ne va changer autour d'eux, alors il faut que ce soit eux qui changent…

Sur son site, Dominique Mas indique ainsi qu'elle aide les médecins à décider d'un changement d'orientation, d'association, de forme juridique. "Je ne conseille pas de tendre vers quoi que ce soit, mais de prendre la décision qui va bien. Je suis persuadée que tout est possible et qu'il faut que ça convienne à chacun des médecins, explique la coach. Le déconventionnement peut en faire partie, mais je n'y incite pas. Si une médecin pense qu'elle sera plus tranquille en salariat, pourquoi pas ! D'ailleurs, ma première motivation, c'était de me dire 'il faut empêcher les médecins de déplaquer'." "Je connais une médecin qui a tout arrêté et fabrique désormais des bijoux, ce n'est pas souhaitable. On est tellement en manque de médecins qu'il faut qu'ils restent en place !", juge-t-elle. 

*Dominique Mas n'a pas souhaité communiquer le tarif de son service, préférant que les femmes médecins intéressées la contactent directement, via Domiladoc.  

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Claire FAUCHERY

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Photo de profil de Jacques BRIAND
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 2 jours
Félicitations à notre consœur !!! Les relations entre médecins et patients ont considérablement changé, avec notamment, certains patients agressifs, d'autres qui n'ont pas de limites (qui viennent avec 6 ou 8 motifs de consultation et qui voudraient qu'on leur consacre 40 minutes, ou plus, à chaque fois), d'autres qui viennent avec leur "liste de courses", d'autres qui veulent nous "commander" , d'autres qui veulent des ordonnances (et des certificats) pour tous les membres de leur famille pour le prix d'une seule consultation, certains qui à la fin de leur consultation vous annoncent qu'ils vous ont amené leurs 2 enfants parce qu'ils sont malades eux aussi, ceux qui n'ont jamais leur carte vitale et jamais d'argent sur eux, etc, etc, etc. La plupart des médecins sont très bons pour faire des diagnostics et prescrire des traitements adaptés et ils ont de l'empathie pour leurs patients, par contre ils n'ont pas appris à faire face à tous les problèmes exposés ci-dessus, ils ont donc de très fortes chances de connaître un syndrome d'épuisement ou un burn out au cours de leur carrière. De la même façon que nous avons appris la médecine nous pouvons apprendre comment réagir face aux situations exposées ci-dessus, mais aussi comment mieux s'organiser. Effectivement, il est regrettable de voir des médecins dévisser leur plaque, alors qu'ils auraient eu besoin d'un peu de coaching avec un vrai médecin qui a exercé longtemps et qui a donc une solide expérience.
Photo de profil de PETIT BOBO
2,6 k points
Débatteur Passionné
Autre spécialité médicale
il y a 2 jours
Femme, elle aide les femmes. Le contact, la relation est sûrement plus facile. Conseiller quand on a de l'expérience; en tant que médecin, mère. Très bien. Les hommes (ou femmes) peuvent aussi avoir besoin de conseils, en particulier lors de leur installation. J'ai quelquefois été surpris des "mauvais" choix de lieu d'installation. L'Ordre local, censé connaître la ville, les quartiers, pourrait apporter son "expertise" (comme on dit pompeusement...). J'ai eu ces conseils. Je les ai recherchés. Et trouvés. Mes années de remplacements m'avaient appris que les beaux quartiers n'étaient pas faciles pour un généraliste allopathe lambda. Tout le quartier avait un mari, un frère, un père médecin ou pharmacien ! S'installer dans un quartier avec quelques immeubles et des maisons de retraités, c'est bien. Tel quartier est "difficile" (comme on dit pudiquement). J'avais prospecté à Marseille... Dans les quartiers Nord. C'est sûr qu'il y avait une patientèle pour un généraliste dévoué ! Ayant remplacé à Grenoble, quartier de l'Arlequin...non merci ! L'Ordre m'en a dissuadé ! Il y a ceux qui prennent un local au 4ème étage sans ascenseur. Faut éviter ! Reprendre un local quitté par un (vieux) médecin sans successeur , c'est bien. Les patients sont comme les chats, ils y reviennent. S'installer près d'une pharmacie, un labo, c'est bien pour la pharmacie, le labo et donc ce sera bon pour le potentiel prescripteur. Mais pas trop près ! A Cannes, je me suis vu proposer un local en sous-sol ! loyer symbolique, par une Officine. Autres moeurs. En Algérie, j'avais un copain médecin qui disposait d'un local dans l'arrière boutique d'une pharmacie. C'était courant , on ne voyait pas oû était le mal ! J'ai retrouvé ce copain dans une ville du Sud. Il m'a fait visiter les quartiers. Un jour, c'était à la veille d'élections locales, on passe devant un mur "PETITBOBO EST UN CON" (Petitbobo était un candidat). Mon guide, plein d'humour me dit "C'est bon là ! tu es déja connu !" De fait je me suis installé dans le quartier. Le Petitbobo-candidat a été réélu et pendant des années on m'a demandé si j'étais son fils... Autres temps, moi, mon expérience date des années 60-70...
Photo de profil de Br P.
275 points
Incontournable
il y a 2 jours
En tant que retraitée c'est dommage que ce ne soit pas du bénévolat
 
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