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"Cadeaux" des labos : 118 000 médecins bénéficiaires en 2024, quelles sont les règles?

Chargé du contrôle des avantages procurés par les entreprises du médicament ou du dispositif médical aux praticiens, le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) vient de publier son rapport pour la période 2023-2024. Honoraires, repas, inscriptions à des congrès... L'an dernier, plus de 118 000 médecins et une centaine d'étudiants en ont été bénéficiaires. L'instance plaide pour une augmentation des seuils à partir desquels une convention est soumise à autorisation et pour lever l'interdiction de prise en charge des frais d'hospitalité des docteurs juniors.

17/07/2025 Par Louise Claereboudt
Déontologie
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Pour mieux prévenir les conflits d’intérêts, un nouveau dispositif réglementaire garantissant le contrôle et la transparence des divers "avantages" octroyés par les industriels de la santé aux professionnels de santé et aux étudiants a été mis en place en octobre 2020. Si les lois "anti-cadeaux" ont interdit aux soignants de recevoir des avantages, de quelque nature que ce soit, de la part d'entreprises du médicament ou du dispositif médical, sous peine de sanctions, certaines dérogations ont été admises.

Ces dérogations permettent de rémunérer les activités de recherche, d'évaluation scientifique, de conseil ou de prestations de services ; de prendre en charge les frais d'hospitalité (repas, hôtel, transport, inscription…) pour des manifestations à caractère exclusivement professionnel ou scientifique ; ou encore pour le financement d'actions de formation professionnelle ou de développement professionnel continu (DPC), liste l'Ordre des médecins sur son site

L'octroi de ces avantages est conditionné à la conclusion d'une convention entre le bénéficiaire et l'industriel, qui doit être soumise à l'Ordre des médecins pour approbation. Un décret daté du 15 juin 2020 a en effet confié au Conseil national de l'Ordre (Cnom) la mission de s'assurer de la conformité de la convention avec les obligations déontologiques des praticiens.

En 2022, la commission "relations médecins-industrie" de l'Ordre avait ainsi publié son tout premier rapport d'évaluation, portant sur la période 2020-2022. Après quatre années de mise en application du dispositif "encadrement des avantages", l'instance vient de publier son second état des lieux portant, cette fois, sur la période 2023-2024.

En 2024, 118 207 médecins ont été déclarés comme bénéficiaires d'un ou plusieurs avantages octroyés par une industrie de santé. Ils étaient un peu plus nombreux en 2023, 123 227. Côté étudiants, le nombre de bénéficiaires est nettement plus faible - 83 en 2023 et 106 en 2024, la prise en charge des frais d'hospitalité étant interdite pour ces derniers.  

Dans son rapport d'activité annuel, l'Ordre témoigne d'une hausse très importante de l'activité de sa commission relations médecins-industrie. Entre 2021 et 2024, les dossiers soumis à une simple recommandation de l'Ordre – qui concernent les conventions valorisées à moins de 2000 euros – ont connu une hausse de 36%. Les dossiers soumis à une autorisation de l'Ordre – pour les conventions valorisées à plus de 2000 euros, et qui ne peuvent être mises en œuvre sans son feu vert – ont, quant à eux, bondi de 85%.

Précisément, le rapport note que plus de 87 000 dossiers ont été soumis par des industriels l'an dernier ; soit 4 000 de plus qu'en 2023, et 15 000 de plus qu'en 2022. 113 541 conventions valorisées à moins de 2000 euros ont été soumises sous le régime des déclarations (simple recommandation de l'Ordre) ; 25 553 conventions, valorisées à plus de 2000 euros, ont été soumises pour autorisation : 20 005 ont été autorisées par décision expresse et 1726 ont été refusées*.

Le rapport précise les principaux motifs de refus : délai de soumission non respecté, hospitalité (logement, repas, transport) trop élevée, honoraires trop élevés, temps libre excessif par rapport à la durée du programme scientifique, absence de l'autorisation de la hiérarchie du médecin, discordance entre le contenu de l'autorisation de la hiérarchie et celui de la convention, absence d'intérêt scientifique à la participation du médecin à un événement à l'étranger…

Face à l'afflux de demandes, l'Ordre a décidé de mettre en place une intelligence artificielle afin de "faciliter le traitement d'un nombre plus important de dossiers à recommandation" et "pouvoir analyser plus spécifiquement des dossiers à autorisation". 

Les avantages octroyés par l'industrie ne peuvent excéder un montant raisonnable pour être à la fois conformes à la déontologie et la notion d'accessoire

L'arrêté du 7 août 2020 a fixé des seuils au-delà desquels l'Ordre des médecins est habilité à donner ou non son autorisation. Pour les honoraires des médecins, ce seuil s'élève à 200 euros par euros, 800 euros la demi-journée. 2000 euros au total pour une convention. Quant aux frais d'hospitalité, le seuil retenu est de 150 euros par nuit, 50 euros par repas et 15 euros par collation. Frais de transport inclus, ces frais ne doivent pas dépasser 2000 euros. Le seuil pour les frais d'inscription, par exemple pour un congrès ou une formation/DPC, s'élève à 1000 euros TTC. 

Au-delà de ces montants, la convention est soumise à autorisation de l'Ordre. Celui-ci insiste : "les avantages octroyés par l'industrie ne peuvent excéder un montant raisonnable pour être à la fois conformes à la déontologie et la notion d'accessoire".

Le Cnom a ainsi mis en place des "lignes directrices" pour rendre des décisions sur les conventions excédant ces montants. Pour cela, il a tenu compte de trois éléments : l'inflation, la cohérence avec les pratiques étrangères et les professionnels de santé à l'étranger et, enfin, le rayonnement de la recherche française. Dernièrement, le Cnom a revu ses lignes directrices s'agissant des frais d'hospitalité et des montants des honoraires. Le taux horaire des honoraires est fixé à 250 euros net maximum.

L'instance souligne toutefois que "l'examen d'une convention est effectué au cas par cas". Ainsi, "une nuitée à 600 euros maximum aux Etats-Unis peut être acceptée pour un médecin orateur dans un congrès international organisée par une société savante". Et de citer d'autres critères pouvant amener à la modulation du taux horaire : un médecin participant à l’expérimentation d’un médicament, la réalisation d'une formation à une technique innovante, ou encore le nombre d'heures figurant au contrat.

Au cours du premier semestre 2024, le Cnom a constaté que le taux horaire n'avait "pas augmenté malgré la révision des lignes directrices". En revanche, le montant de l'hébergement a augmenté dans le cadre des manifestations se déroulant à l’étranger. Au cours du second semestre 2024, l'Ordre a néanmoins observé une "modification à la hausse" des honoraires pour quelques dossiers.

L'interdiction de l'hospitalité est "préjudiciable" aux docteurs juniors

Comme dans le premier rapport, publié en 2022, l'Ordre se dit une nouvelle fois favorable à une augmentation des seuils (honoraires et hospitalité) à partir desquels une convention est soumise à autorisation. "Cette approche pragmatique est en adéquation avec l'évolution actuelle du coût de la vie et favoriserait une diminution du nombre de dossiers soumis par les industriels sous le régime des autorisations qui permettrait au service de se consacrer davantage à l’analyse des dossiers complexes", justifie le Cnom. 

Ce dernier s'interroge, par ailleurs, sur la possibilité pour les docteurs juniors et praticiens associés de pouvoir bénéficier de prise en charge des frais d'hospitalité. "Il s'avère que les étudiants doivent bénéficier de formation adéquate, par exemple sur des dispositifs médicaux, afin de compléter leur formation initiale", écrit l'instance. Or, "ces formations sur des dispositifs médicaux sont dispensées par des industriels dans leurs centres de formation". "A cette occasion et au regard de la législation en vigueur, l'hospitalité est interdite aux étudiants ce qui est préjudiciable dans leur exercice professionnel et dans leur évolution", estime l'Ordre, indiquant être "en attente d'un retour" du ministère sur cette question. 

Des médecins interdits d'exercice 

Dans le cadre de l'examen des conventions établies entre un médecin et un industriel, le manquement éventuel à la déontologie par le médecin "ne peut faire l'objet que d'observations de la part du Cnom", rappelle l'instance. "Bien que le dispositif ne le prévoit pas", le praticien est "informé par courrier que la rédaction de certains articles de la convention signée avec l’industriel ne répond pas à ses obligations déontologiques". L'application de la convention "sans modification" constitue alors un manquement au code de déontologie médicale, et entraîne, de fait, des poursuites disciplinaires.

Depuis la mise en place du dispositif "encadrement des avantages", six médecins ont fait l’objet de poursuites disciplinaires pour manquement au code de déontologie médicale, informe le Cnom. Quatre affaires sont en cours devant la chambre disciplinaire nationale. L'Ordre s'est également pourvu en cassation dans l'affaire d'un professeur poursuivi pour déconsidération de la profession et manquement à la probité "en raison notamment du montant très élevé des rémunérations perçues". Par décision du 28 novembre 2024, le Conseil d'Etat a rejeté son pourvoi. 

En outre, le Cnom s'est constitué partie civile dans le cadre d'une affaire pénale impliquant plusieurs médecins pneumologues, prescripteurs de prestations d'assistance médicale respiratoire ou d'insuline. "Ces derniers ont perçu entre 2010 et 2014 des avantages illicites de la part [d'une] entreprise commercialisant des services ou produits pris en charge par les régimes obligatoires de Sécurité sociale", écrit l'Ordre : prise en charge de séjours "tous frais payés incluant conjoint et enfants ; hôtel et transport pris en charge pour des voyages "sans aucun lien avec un objectif professionnel ou scientifique"… Ces praticiens ont été condamnés à une amende et plusieurs années d'interdiction d’exercice avec sursis. Des poursuites disciplinaires à leur encontre vont aussi être engagées, annonce le Cnom.

Globalement, si le dispositif d'encadrement des avantages "contribue à garantir l'indépendance professionnelle des médecins", "la simplification de la législation en vigueur permettrait une meilleure compréhension de ce dispositif et renforcerait la confiance du public vis-à-vis des professionnels de santé", conclut le rapport. 

 

*2988 dossiers étaient incomplets. 

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Claire FAUCHERY

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Débatteur Passionné
il y a 5 mois
Ne pas oublier: les associations scientifiques et les associations de patients qui sont un moyen détourné possible de corruption. Les associations scientifiques permettent dans certains cas de "blanchir" l"argent des labo en servant d'intermédiaire. D'un côté un financement avec modération c'est utile socialement, d'un autre suivant le niveau de versement c'est une corruption.
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Débatteur Passionné
Pharmaciens (CNOP)
il y a 5 mois
Le contrôle par le CNOM prend énormément de temps vu le nombre de dossiers à examiner. Une solution serait de laisser toute liberté en imposant une taxe sur les sommes versées, taxe qui serait restituée à l INSERM ou au CNRS. Qu en pensent les chercheurs lecteurs d Agora ?
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1,6 k points
Débatteur Passionné
il y a 5 mois
une taxe serait un prétexte possible pour supprimer toute moralité et décence dans les "cadeaux".
 
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