Médecins piégés en caméra cachée : un généraliste démonte le reportage de France Télé

23/02/2018 Par Dr Yvon Le Flohic
Billet de blog

Mercredi au journal de 20 heures, France 2 a diffusé un reportage qui a ulcéré les médecins. Un journaliste de France 2 s'est fait passer pour un grippé auprès de deux médecins généralistes parisiens. Objectif : mettre en lumière les "arrêts de travail frauduleux", qui ont coûté 196 millions d'euros à la Sécu en 2016. Doc Gomi, médecin généraliste breton a publié un billet de blog pour répondre à ce reportage. Au-delà de la "fraude" des médecins, il s'interroge sur le silence autour des erreurs de calcul des CPAM.

En pleine épidémie de grippe, France télévision a trouvé très malin d'aller filmer en caméra cachée deux fausses consultations, dont le but était semble-t-il de savoir si les médecins proposent des arrêts maladie aux faux malades. L'histoire n'indique pas si les fausses consultations ont été remboursées, ni si les médecins ont du temps à consacrer en pleine épidémie à de faux malades financés par la redevance télévision. Le visionnage de la séquence montre simplement le professionnalisme des deux médecins qui n'ont en rien exagéré sur la prescription d'arrêt de travail et ont fait leur travail consciencieusement. Malgré cela, le reportage se conclue sur le fait que "pour lutter contre cette fraude le gouvernement va intensifier les contrôles dans les prochains mois". Les bras m'en tombent. De quoi parle ton précisément ? D'un rapport qui indique que le taux de fraude aux IJ détecté serait de 196 millions d'euros : environ 1% des prestations versées. Encore faut-t-il préciser comment cette "fraude" est détectée. Mes patients en arrêt court sont souvent convoqués, les contrôles sont assez nombreux ; systématiquement après ce contrôle sur un arrêt court, je reçois un courrier m'indiquant que l'arrêt n'est plus justifié et que le patient devra reprendre le travail à l'issu de cet arrêt. Or c'était juste précisément ce qui était prévu : un arrêt court sur une pathologie aigue ne donne pas lieu à prolongation sauf exception et complication. Et devinez quoi : le patient reprend, comme cela était prévu. Et ce cas est versé au quota des fraudes détectées. J'engage les journalistes santé à vérifier, peut être ceci permettrait de revenir à un fonctionnement plus honorable du contrôle médical exercé sur les IJ ; personnellement je prends très mal le fait que mon activité soit rangée dans la case fraude alors que j'ai juste fait mon travail. Deuxième précision importante : l'activité des médecins est surveillée en permanence et les forts prescripteurs d 'IJ sont convoqués par les caisses et menacés. Si cette méthode a été justifiée la première année et a permis de découvrir quelques situations aberrantes de médecins "hors des clous", cette façon de procéder a rapidement montré ses limites. Imaginez un contrôle routier par radar ou le principe serait que l'on convoque les trois automobilistes qui sont passés le plus vite dans la journée devant ce radar. C'est ce qui est fait par les CPAM depuis au moins 5 ans. J'ai eu l'occasion d'assister un collègue convoqué dans ce cadre par la CPAM de St Brieuc. Il travaillait juste à côté d'une usine agroalimentaire, grande pourvoyeuse d'arrêts maladie pour canaux carpiens/TMS, il avait donc une trentaine de patient en arrêt maladie "à l'année", tous validés par le médecin conseil de la caisse, explorés, opérés...en maladie professionnelle. En retirant ce quota de patients, ses chiffres retombaient sous la moyenne départementale. Malgré cela, ce collègue a été convoqué et menacé par la CPAM. J'ai pu l'assister uniquement en m'exprimant avant la réunion qui s'est tenue ensuite à huis clos avec le médecin conseil et le directeur de la caisse, n'ayant pas été autorisé à y assister. Ce collègue proche de la retraite, qui a toujours travaillé de façon exemplaire a été quelque peu remué d'être ainsi menacé, pour un délit statistique inexistant, une fois les chiffres sérieusement examinés. Troisième précision et non des moindres : dans ce rapport (page 32) qui donne lieu au reportage de France Télévision en caméra cachée, il est indiqué que les erreurs de versement concernant les arrêts maladie seraient d'environ 392 millions d'euros, soit environ le double de la "fraude" (je mets ce terme entre guillemet maintenant que vous connaissez son mode de calcul). Ces chiffres concernent un rapport de la Cour des comptes sur des données CNAM 2016.  3% des versements d 'IJ se font par erreur et sont injustifiés. Je trouve pour le moins curieux que France Télévision ne se soit pas formalisée de ce chiffre d'autant qu'il est le double de celui qui l'a occupé et qu'il est certainement plus facile d'agir sur cela que sur une "fraude" qui semble déjà sous contrôle. Enfin deux chiffres importants :

  • Environ 20% des arrêts délivrés par les médecins ne sont pas "pris" (enquête Malakoff Mederik).
  • Certains patients ont 90 jours de délai de carence, et ne sont donc jamais malades, même s'ils cotisent.

  On attend donc la prochaine caméra cachée de France Télévision dans les méandres des services administratifs des CPAM. J'ai déjà le titre, et ça va teaser fort "qu'est ce qui qui coûte deux fois plus cher aux Français que la "fraude" aux arrêts de travail ?"

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