Réserver le suivi simple des enfants aux généralistes : "Ce serait la mort de la pédiatrie libérale"

17/06/2021 Par A.M.
Spécialistes
Dans un rapport commandé par le ministre de la Santé, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) alerte sur le "déclin" de la pédiatrie libérale en France. Alors que la démographie est en berne et l'attractivité de la spécialité est plombée par une trop faible rémunération, les auteurs plaident pour un "repositionnement" des quelque 3100 pédiatres libéraux sur le second recours et le suivi des enfants aux "besoins particuliers", tandis que les généralistes se verraient confier la prise en charge préventive et aiguë de l'immense majorité des enfants, en "binôme" avec une puéricultrice. Une solution qui divise les principaux intéressés. 

"Recul démographique important", "crise identitaire", "attractivité déclinante"… Quinze ans après le rapport Sommelet, l'Igas dresse un constat alarmant de l'état de la pédiatrie libérale en France, "soulignant la nécessité et l’urgence de faire évoluer l’organisation des soins de santé de l’enfant". 

Si le nombre total de pédiatres a augmenté de 32% depuis 1999, l'exercice libéral ou mixte n'a progressé que de 5% sur la période. Depuis 2012, le nombre de libéraux exclusifs a même "chuté de 15%" et "l’âge moyen des pédiatres libéraux laisse présager une aggravation de la situation puisque 44% d’entre eux ont plus de 60 ans", relève l'Igas. En 2020, on comptait 73.9 pédiatres pour 100 000 enfants de moins de 15 ans mais cette moyenne cache de fortes disparités territoriales : huit départements ont une densité inférieure à un pédiatre pour 100 000 habitants. 

En cause, une "attractivité déclinante" qui s'explique par la longueur et "l'intensité" de l'internat de pédiatrie, rallongé d'une année avec la réforme du 3e cycle, et par la faible proportion de stages réalisés en libéral. Mais surtout par la faible rémunération de la spécialité, qui place les pédiatres en bas de l'échelle des revenus, en dessous des généralistes. "La cotation des actes, défavorable au regard de la longueur des consultations, ainsi que l’absence d’actes techniques pratiqués expliquent le niveau de rémunération plus faible que les autres spécialités", développe l'Igas, qui évoque également une activité moins soutenue chez les femmes et les médecins plus âgés, qui composent le gros des effectifs en pédiatrie, ainsi qu'une complexification des relations avec les parents. 

Résultat : les pédiatres "jouent très peu leur rôle de recours" pour les médecins généralistes, et se recentrent sur le suivi préventif des enfants, auquel ils consacrent un tiers de leurs consultations. "Leurs missions apparaissent ainsi en décalage avec leur formation très spécialisée", constate l'Igas. Du fait de la démographie en berne des médecins de PMI et des médecins scolaires, ce sont donc les médecins généralistes qui ont pallié les carences de la pédiatrie, assurant 84% des consultations chez les moins de 16 ans, dont deux tiers concernent des maladies aiguës. Quant au suivi des jeunes patients chroniques, il est "assuré quasi exclusivement par les établissements hospitaliers, en dépit de la formation spécialisée de certains pédiatres", regrette l'Igas. 

Mais le "mouvement de substitution" entre MG et pédiatres ne va pas pouvoir se poursuivre indéfiniment, "ce qui interroge sur la capacité du système de santé ambulatoire à prendre en charge les enfants dans les prochaines années", relève l'Igas. Et de plaider pour un "repositionnement" de...

tous les acteurs de la santé de l'enfant, en particulier des pédiatres et des généralistes. 

Le rapport décrit un "schéma-cible", dans lequel le médecin généraliste formé à la santé de l'enfant "est l’acteur de proximité du suivi médical des enfants ne présentant pas de pathologie chronique ni de facteur de vulnérabilité, assurant le suivi préventif et les soins non programmés" et jouant "un rôle actif dans la permanence des soins". Quant au pédiatre de ville, il est recentré "sur un rôle de recours et d'expertise", assurant le suivi des enfants "aux besoins particuliers" ou porteurs de facteurs de risque (certaines maladies chroniques, enfants handicapés, de la protection de l'enfance, prématurés…) et le second recours des généralistes pour certains troubles du neurodéveloppement ou de l'apprentissage. Les pédiatres hospitaliers, en particulier dans les CHU, pourraient ainsi se consacrer davantage à "leurs missions de troisième recours, très spécialisées". 

En ville, l'Igas propose enfin d'introduire un autre acteur : en relais de la sage-femme, qui assurerait la prise en charge durant le premier mois de vie, l'infirmière puéricultrice libérale pourrait assurer "des consultations autonomes" dans le cadre de protocoles et/ou d'"exercice en binôme" avec un médecin (MG ou pédiatre). L'Igas envisage de lui confier des "consultations de puériculture et d'accompagnement des familles", la réalisation d'examens du développement (3e et 5e mois), de dépistages, des actions d'éducation thérapeutique, des visites et soins à domicile… 

Un tel schéma suppose d'entamer la réingénierie et l'universitarisation de la formation de puéricultrice, de "renforcer" et "homogénéiser la formation initiale et continue des médecins généralistes à la santé de l'enfant" en systématisant le stage en pédiatrie et en créant une option "santé de l'enfant" intégrée à la future 4e année de DES, et enfin de revaloriser les actes du pédiatre. 

Qu'en pensent les principaux intéressés ?  Côtés généralistes, le rapport de l'Igas a le mérite de "remettre les pendules à l'heure", commente le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. "Les généralistes assurent le suivi et les soins de la très grande majorité des enfants, rappelle-t-il. Dans les grandes villes, nous n'avons jamais vraiment compris le positionnement des pédiatres sur le premier recours et le suivi des enfants en bonne santé." Et de saluer le "repositionnement" prôné par l'Igas. "On attend un second recours vraiment organisé...

dans des situations où un avis spécialisé est nécessaire : troubles du neurodéveloppement, de l'apprentissage, de la croissance…" A l'heure actuelle, nombre de généralistes rechignent à "envoyer" leurs petits patients chez un confrère pédiatre, de crainte de ne plus jamais les revoir. Une situation "concurrentielle" d'ailleurs évoquée par l'Igas dans son rapport pour expliquer le manque de coordination entre les deux spécialités (voir encadré). Le renforcement du rôle des MG supposerait néanmoins de revaloriser les consultations pédiatriques, "qui prennent du temps", et de clarifier les cotations mises en place en 2016, peu utilisées, insiste MG France. 

Quant aux puéricultrices libérales, Jacques Battistoni n'en voit "pas bien" l'utilité. L'arrivée d'une nouvelle profession en ville ne ferait que "complexifier" les choses, estime-t-il. 

Côté pédiatres, en revanche, si le constat d'un manque d'attractivité de la spécialité est partagé, le schéma vanté par l'Igas n'apparaît "pas du tout" comme la bonne solution, répond le Dr Brigitte Virey, présidente du Syndicat national des pédiatres français (SNPF). "Être uniquement un deuxième recours, pour nous, ce serait la mort de la pédiatrie libérale, on ne pourrait pas vivre, alerte la pédiatre. Il faudrait d'une part que les généralistes nous adressent leurs patients - ce qui n'est pour l'instant n'est pas du tout tout le cas, ils préfèrent les envoyer à l'hôpital. Et d'autre part, une amélioration des relations ville-hôpital : quand vous envoyer un patient qui a une pathologie chronique pour un bilan, vous ne le revoyez plus. Il ne nous resterait plus rien d'autres que les consultations pour les troubles du neurodéveloppement, du spectre autistique. Ce sont des consultations très chronophages, de trois quart d'heure. Les pédiatres proches de la retraite ou en cumul arrêteraient d'exercer", met-elle en garde. La pédiatre a fait le calcul : pour que la situation soit tenable financièrement, l'Assurance maladie devrait rémunérer ces consultations très longues à hauteur de 100 euros… Loin des 60 euros proposés par la caisse en novembre dernier, dans le cadre des négociations de l'avenant 9 (qui devrait reprendre prochainement), pour le dépistage des troubles du neurodéveloppement ou pour la mise en place de la stratégie thérapeutique pour ces patients. 

La proposition de l'Igas est donc non seulement "irréaliste" sur le plan financier, considère le SNPF, mais aussi sur le plan pratique. "Aller confier le suivi des enfants aux médecins généralistes qui sont eux-mêmes débordés alors que leur démographie va continuer à s'aggraver, ce n'est pas une bonne idée", lance Brigitte Virey. Pour cette dernière, "si l'objectif est d'améliorer la santé de l'enfant, les pédiatres restent les plus qualifiés", insiste-t-elle. Plus qualifiés que les médecins généralistes et surtout que les infirmières puéricultrices : "Il n'y a pas de consultation basique, souligne Brigitte Virey. Ces professionnelles n'ont pas les bases nécessaires pour porter un diagnostic." De même pour les consultations de développement de l'enfant, "ce n'est pas que du suivi, l'enfant grandissant il faut rechercher différentes choses à chaque fois". "Le risque, c'est d'arriver à des retards de diagnostic", alerte la pédiatre. Toutefois, si leur formation est au niveau, le SNPF n'est pas contre le fait de s'appuyer davantage sur les infirmières. "Délégation de tâches, pas transfert de compétences", tient à préciser Brigitte Virey. Le médecin resterait aux commandes. 

Sur ce plan-là, la spécialiste plaide davantage pour le développement des...

assistants médicaux, qui, d'après sa propre expérience, permettraient de dégager du temps médical pour prendre en charge davantage d'enfants. Les assistants médicaux peuvent peser et mesurer l'enfant, préparer le vaccin, remplir le carnet de santé, éditer un certificat… Mais le dispositif conventionnel, qui ne prévoit le financement d'un temps plein qu'en de rares cas, n'est pas adapté, pointe le SNPF. 

Autre modèle mis en avant par le syndicat, celui des "family doctor" nordiques : des médecins généralistes qui suivent une longue formation (3 ans) en pédiatrie et exercent par la suite en lien avec un pédiatre référent. Enfin, les équipes de soins spécialisées peuvent être le moyen d'améliorer la coordination et l'accès aux soins, souligne Brigitte Virey. 

Quoi qu'il en soit, la pédiatre insiste sur la nécessité de préserver la liberté de choix des parents, en théorie comme en pratique. Sous peine de voir se développer en France une médecine à deux vitesses, à l'anglaise, avec d'un côté les parents "hors système" qui "peuvent se payer une consultation de pédiatre" et de l'autre, ceux qui n'ont pas les moyens et seront dirigés vers la sage-femme ou la puéricultrice. "Pour moi, c'est extrêmement choquant."  

 

Des maisons de santé pédiatriques ? 
Dans son rapport, l'Igas fait le constat d'un manque de coordination des acteurs de la santé de l'enfant. En ville, elle plaide pour le développement des maisons de santé pédiatriques, cadre proprice à l'exercice pluri-professionnel et à la délégation au profit des puéricultrices. Le modèle n'est autre que celui du centre "Enfance et santé" situé à Bordeaux, où pédiatres, infirmières (dont une puéricultrice financée par l'association Asalée), psychologues, psychomotriciens, kinésithérapeutes et orthophonistes exercent côte à côte. Mais le développement de ces structures nécessiterait de "lever les freins existants à la création", c’est-à-dire la condition de présence obligatoire d'un médecin généraliste, relève l'Igas. 
Si le Syndicat national des pédiatres accueille favorablement cette idée, MG France y voit une "complexification" du système de santé. "Les pédiatres de second recours peuvent très bien exercer en maison de santé", fait valoir Jacques Battistoni. 
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Dominique Le Meitour

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