Fin de vie : "Les médecins ne sont pas des couteaux suisses, bons à soigner et bons à achever"

12/10/2022 Par S. B.

Alors qu'une consultation citoyenne doit s'ouvrir "dès le mois de décembre" sur le sujet de l'aide à mourir et qu'un référendum n'est pas exclu, le Dr Jean Louis Samzun, médecin généraliste appelle à un débat des médecins sur la question. Pour y parvenir, il a créé une association baptisée Claromed pour "Clarification du Rôle des Médecins dans le contexte de la fin de vie" afin que les praticiens puissent s'emparer du sujet. Pour le généraliste la mission du médecin est de soigner et non "d'achever". Il détaille sa pensée pour Egora. Egora.fr : Pourquoi et dans quel cadre avez-vous créé l'association Claromed ? Je suis un médecin généraliste parmi d'autre. J'ai peut-être une particularité, qui est d'avoir participé à une époque où j'étais élu de la profession, à la création d'une hospitalisation à domicile (HAD) à Lorient, qui est devenu par la suite l’un des premiers services de soins palliatifs et dans lequel j'ai pris des gardes pendant 7 ans. Cela m'a donné un aperçu de la réalité des soins palliatifs. D'autant qu'en garde on voit surtout les problèmes, notamment ceux liés à la fin de vie. J'ai donc été sensibilisé à ces questions. Ce qui m'a donné l'idée de créer l'association, c'est que j'avais le sentiment que la majorité de mes confrères, le nez dans le guidon ou par manque d'intérêt pour les questions sociétales, n'avaient pas du tout d'interrogations sur ce qui allait se passer en cas de vote d'une loi autorisant l'euthanasie ou le suicide assisté. En lisant les projets de loi des députés, j'avais l'impression qu'ils nous utilisaient un peu comme des couteaux suisses, bons à tout : bons à soigner et bons à achever. Je suis maître de stage universitaire, les internes ne sont pas du tout sensibilisés à ces sujets. Nous sommes très loin du fait concret qui est de mettre fin à la vie d'un patient. Mon idée était que si une loi advenait, elle risquait de surprendre les médecins, très loin de ces questions-là. Ils se trouveraient alors très concrètement en difficulté d'un point de vue éthique et psychologique, dans un contexte médical qui n'est pas favorable à ce que l'on partage cette tâche. C'est difficile d'imaginer que si on ne veut pas le faire, un autre s'en chargera, dans des endroits où il n'y a déjà pas de médecins. D'autant que mes jeunes consœurs et confrères ont une tendance à vouloir équilibrer leur existence, c’est-à-dire à ne pas avoir une disponibilité majeure aux heures de permanence des soins ou les week-ends, alors que ce genre d'engagement nécessite une grande disponibilité. Et enfin, la raison principale est que j'ai le sentiment que si les médecins acceptent cette mission-là, leur image va être transformée. Si le médecin n'est plus seulement celui qui soigne et qui prend soin mais devient aussi celui auquel on peut demander d'achever un patient, l'image de la médecine va changer. Les usagers perdraient quelque chose. Le médecin, c'est le recours, celui sur lequel on peut compter. Je pense que si les médecins sont impliqués là-dedans, c'est une loi qui marquera un tournant dans l'histoire de la médecine. Je pense qu’il faut en discuter. Je n'ai pas créé une association anti-euthanasie, je laisse ça à d'autres associations. Claromed veut susciter un débat pour que soit marqué, dans le code de déontologie ou dans la loi, que les médecins ne sont pas concernés concrètement par l'euthanasie. Ils sont là jusqu'au dernier moment, mais quand vient l'euthanasie cela ne les concerne plus parce que ça n'est pas du soin. En faire une des prérogatives du médecin, changerait le métier.

  Vous partagez une idée évoquée par le Dr Olivier Mermet, pilote du Plan national de développement des soins palliatifs, qui estime que les médecins ne doivent pas forcément être les acteurs de l'acte d'euthanasie… Qui devra alors prendre cette responsabilité ? C'est un des sujets. Normalement une loi ne doit pas créer une nouvelle charge pour l'Etat, pourtant, il faudrait peut-être créer un nouveau métier. Il y a des associations militantes en faveur de l'euthanasie, n'est-ce pas vers elles qu'il faudrait se tourner ? D'autant qu'il s'agirait d'activité extrêmement protocolisée. Des médecins ou des infirmiers pourraient y participer en tant que militants. La solution du médecin traitant, c'est la solution de facilité. On utilise une ressource qui existe déjà, pas besoin de créer une nouvelle dépense. C'est sûr que si ce ne sont pas les médecins, ça sera plus compliqué. C'est une façon de responsabiliser ceux qui décideront. Il faut peut-être envisager de créer un corps particulier ? Les débats sont ouverts.   Le conseil de l'Ordre réclame une clause de conscience pour protéger les médecins qui ne seraient pas volontaires. De votre côté, vous pensez que ça ne marchera pas. Pourquoi ? Ça ne peut pas marcher. Imaginez une situation dans laquelle un patient atteint d'une maladie incurable, suivi depuis des années et favorable à cette démarche, décide d'être euthanasié. Si le médecin qui se trouve dans une région sous-dotée, ce qui est à peu près le cas de tout le territoire français, refuse d'euthanasier son patient, il devra trouver un confrère dans les 48 heures pour reprendre le dossier. Des enquêtes montrent que près de 90% des médecins ne sont pas disposés à faire cet acte … Si nous sommes dans un désert médical, comment trouver un confrère disponible dans les 48 heures ? Ça va être très compliqué. Le médecin va donc se trouver dans une situation où la famille lui dira que c'est un droit et le médecin qui ne trouvera personne sera contraint de le faire. Même si cela ne se produira pas souvent, il faut imaginer quelques situations de ce type pour que le médecin vive des moments qui risquent de sérieusement l'ébranler. Le praticien va se sentir pris dans un piège. Pour moi, la clause de conscience doit être dépassée par un texte qui dit que l'euthanasie ne fait pas partie des missions des médecins. Mais je suis conscient du fait que cela peut beaucoup compliquer les choses.   Comment les choses se passent dans les pays où l'euthanasie et la clause de conscience existent déjà, notamment au Canada ou en Belgique ? Jean-Marie Gomas, spécialiste de la question, a écrit un texte sur ce sujet [voir encadré]. Pour revenir à la Belgique, quand je vois que récemment ils en sont à euthanasier une déprimée de 23 ans, ça me laisse songeur, voire ça me déstabilise. D'après Jean-Marie Gomas, la clause de conscience est très difficile à appliquer au Canada. Il y a une stigmatisation des médecins qui "refusent de prendre leurs responsabilités" et que l'on traite de déserteurs. Des services hospitaliers sont sanctionnés financièrement parce qu'ils refusent. En Belgique, une étude a été faite pour suivre le développement des soins palliatifs et depuis maintenant plus de 20 ans qu'ils sont autorisés à pratiquer l'euthanasie, les soins palliatifs ont tendance à stagner alors qu'ils connaissaient une dynamique auparavant. J'ai été surpris de voir avec quel entrain les médecins belges adoptaient cette mission...

qui n'a pas eu l'air de leur poser de problème.   Cela sera pourra être également le cas pour les médecins français ? Peut-être. Mais je pense que ça n'est pas possible qu'il n'y ait pas de débat avant de prendre cette décision.    Emmanuel Macron va mettre en place une consultation citoyenne sur le sujet. Des spécialistes de soins palliatifs seront également interrogés. Les médecins généralistes, de leur côté, sont-ils suffisamment écoutés ? Je ne veux pas anticiper la manière dont sera menée la consultation citoyenne. Mais pour l'instant non. Il y a un gros déficit de débat sur la question de l'euthanasie. Les députés ont déjà tranché. Dans tous les projets de loi débattus à l'Assemblée, c'est toujours le médecin traitant qui assure concrètement le service.   Le CCNE dans son dernier avis sur la question de l'aide à mourir estime que des conditions strictes doivent être respectées et notamment un réel investissement dans les soins palliatifs. Le problème ne vient-il pas du manque d'investissement dans les soins palliatifs justement ? Pour avoir été médecin de garde en HAD et donc avoir été un peu l'intermittent des soins palliatifs, on avait autour de nous des médecins qui étaient de remarquables techniciens. Leur discours était que la grande majorité des plaintes venaient du fait que le niveau technique en soins palliatifs n'était pas assez développé. On pourrait résoudre une énorme partie de la souffrance et des demandes d'euthanasie, en étant plus compétents. C'est très technique. Cela mérite de gros investissement. Je pense que c'est plutôt ça la modernité, que le fait d'euthanasier.   Comment améliorer la loi Claeys-Leonetti, actuellement en vigueur ? Je la trouve déjà très complète. Il faudrait sûrement développer les services mobiles, les lits et la culture de soins palliatifs. Faut-il faire une loi pour des cas ultra minoritaires ? C'est une éternelle question.                                               

Le Dr Jean-Marie Gomas, spécialiste de la douleur et des soins palliatifs, estime qu'une dépénalisation du suicide assisté est inéluctable en France, en raison notamment de "l'aveuglement" des parlementaires et de la pression de la société. "Nous ne nous faisons pas trop d'illusions, nous devons nous battre pour que les médecins et les soignants ne se retrouvent pas dans des situations mortifères. En cas de dépénalisation du suicide assisté, il ne faut pas que les soignants deviennent des acteurs de mort", détaille-t-il. La crainte de Jean-Marie Gomas est notamment nourrie par les exemples étrangers, comme en Belgique, où il a enseigné, et au Canada. "C'est une catastrophe au Canada, des sanctions financières sont prononcées contre les services de soins palliatifs qui ne font pas d'euthanasie", souligne-t-il. À propos de la Belgique, il rappelle la "dérive immédiate" avec des euthanasies non déclarées dès les premières semaines de mise en œuvre de la loi. Dans ces deux pays, il met également l'accent sur la "mise à l'index" par les autres soignants des médecins refusant de procéder à l'euthanasie. "La clause de conscience ne marche pas en raison de la pression sociétale. On dit aux médecins qu'ils se défilent", poursuit-il.
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