"Je suis fier des médecins" : le regard critique du président de l'Ordre sur la campagne de vaccination

20/01/2021 Par S. B.
Interview exclusive

Si le président du Conseil national de l’Ordre des médecins a martelé à plusieurs reprises le devoir d'exemplarité des médecins dans la campagne de vaccination, il s’est jusque-là peu exprimé sur le déroulé de la campagne. Pour le Dr Patrick Bouet, le Gouvernement ne fait pas assez preuve de transparence, notamment dans la gestion des doses de vaccins. Il évoque pour Egora son analyse de la campagne et les pistes d'améliorations potentielles.   Egora.fr : Comment jugez-vous la campagne de vaccination française, en comparaison avec celles d'autres pays, notamment le Royaume-Uni ou Israël ? Dr Patrick Bouet : Si on doit comparer avec ces pays, il est effectif qu'ils ont mobilisé leur système sanitaire d'une façon différente du nôtre. En nombre et en valeur absolue, ils ont des chiffres qui peuvent apparaître plus importants que ceux de la campagne de vaccination organisée en France. C'est évident. Si on regarde la façon dont nous avons organisé la campagne de vaccination française, il y a pour nous un certain nombre d'interrogations. Nous nous nous interrogeons sur la disponibilité des doses, la logistique de mise en œuvre de la distribution, la façon dont les centres de vaccination augmentent alors que la disponibilité en doses n'a pas évoluée… Effectivement il y a dans cette campagne, des interrogations organisationnelles à un moment où l'engagement des professionnels de santé, et notamment des médecins, a permis une inversion de l'attente de la population en matière vaccinale.   Les Français, qui étaient d'abord réticents à la vaccination, veulent désormais majoritairement se faire vacciner. Mais il n'y a plus de rendez-vous… Il y a deux choses. La première c'est que l'impact de l'engagement des professionnels de santé dans le fait d'adhérer à la vaccination, a été sous-évalué. Nous l'avons vu de façon très claire. La campagne "je me vaccine et je le fais savoir" a été, dès lors que les médecins se sont engagés, un moteur de confiance dans le fait que la vaccination n'avait pas les effets secondaires redoutés. La population a vu que ces vaccins ne présentaient pas de danger dans leur administration. Le deuxième point qui a été sous-évalué, c'est qu'à partir du moment où on est passés de la vaccination d'un public réduit, à un public plus ouvert, l'attente de la population était d'avoir des résultats immédiats. Ces patients savent qu'ils sont à risques de complication.  On leur dit qu'ils peuvent prendre rendez-vous, ils téléphonent et ont des difficultés d'accès. Quand ils finissent par obtenir un rendez-vous, il est dans très longtemps. Le citoyen a forcement des difficultés à comprendre ce problème.

  Est-ce aussi un problème d'approvisionnement des doses qui aurait été mal géré par l'Etat ? Nous avons toujours dit depuis le début, qu'un des nœuds de cette situation était la transparence en matière de disponibilité des doses, à la fois dans la nature des commandes et des pré-commandes, mais aussi dans la façon dont ces doses allaient être...

 distribuées sur le territoire. Nous en avons toujours appelé à ce que, quotidiennement, nous sachions exactement combien de doses sont disponibles, combien ont été utilisées, où sont-elles distribuées et comment sont approvisionnés les centres. Ce sont des éléments essentiels aujourd'hui pour que ne puissions connaître exactement la façon dont tout ceci se déroule, autrement que par quelques déclarations au moment des conférences de presse.   Olivier Véran vient d'annoncer plus de transparence sur la gestion des doses. Ça arrive un peu tard… Ça fait maintenant des mois que régulièrement, quand il y a une question, on nous annonce plus de transparence. Puis il y a une autre question et on annonce encore plus de transparence ! Nous gagnerions à être tous autour de la table pour organiser le dispositif.

  Vous estimez qu'il n'y a pas eu assez de concertation avec les professionnels de santé et notamment les médecins ? Il y a eu des concertations au niveau technique. Lorsqu'une question s'est posée, on nous a invités à venir voir un diaporama dans lequel on nous présentait la solution. Il aurait fallu que l'organisation de cette campagne de vaccination en centres collectifs se fasse en amont, avec les usagers de santé et les acteurs politiques et professionnels. Et nous disons très clairement qu'il faut déjà anticiper la vaccination en lieux individuels.   C'est-à-dire ? Dans un second temps la vaccination va se passer dans les cabinets, dans les pharmacies éventuellement, dans les cabinets d'infirmiers. A ce moment-là il faudra une logistique de distribution encore plus pointue que celle d'aujourd'hui.

  Les médecins libéraux se disent prêts à vacciner. Ils attendent et ont l'impression d'être "menés en bateau". D'un autre côté la Fédération hospitalière de France (FHF) estime que la médecine de ville n'est pas encore "totalement opérationnelle" et qu'ils ne peuvent pas vacciner en cabinet. Ne revient-on pas sur la sempiternelle guerre hôpital/libéral qui embourbe cette campagne ? Je ne peux personnellement que regretter les affirmations de cette nature-là. Si aujourd'hui les gens vont dans les centres de vaccination, c'est d'abord parce qu'en amont les médecins libéraux...

ont fait leur travail. Il faut que chacun cesse de vouloir rejeter la faute sur l'autre. Aujourd'hui les professionnels sont engagés et la responsabilité de l'Etat c'est de rendre l'action des professionnels possible. Ça ne sert à rien de dire, "ce n'est pas moi c'est l'autre". Je désavoue de façon assez claire ce type de conflit qui n'a pas de raison d'être. Nous sommes engagés dans le même combat, à savoir que la vaccination soit accessible à tous. Ça nous parait aujourd'hui fondamental. Nous sommes tous engagés. Mais ce qui est certain, c'est que la responsabilité de l'Etat est de permettre à tous ces acteurs engagés de tenir leur rang, que se soit en établissement ou en ambulatoire. C'est ce que nous réclamons depuis plusieurs semaines et que nous continuerons de réclamer dans les jours qui viennent.   Donc, si la logistique le permettait, il serait possible de vacciner en cabinet avec le vaccin Pfizer par exemple ? Actuellement nous disons très clairement que nous sommes dans une période de vaccination qui a pour objectif de vacciner collectivement. Les professionnels de santé, les libéraux notamment, s'engagent dans la mise en œuvre de la vaccination, dans un certain nombre de centres qui ne sont pas tous des centres d'initiative hospitalière, bien au contraire. Il y a aujourd'hui des centres qui se créent dans les collectivités, dans les CPTS… Il y a même des centres qui se sont créés dans les conseils départementaux de l'Ordre des médecins. Aujourd'hui, il faut que ces initiatives de vaccination collective, hors établissements, ne soient pas gênées notamment dans l'accessibilité qu'elles peuvent avoir en matière de doses vaccinales. Le vaccin Pfizer impose des contraintes logistiques très particulières mais nous voyons que le Moderna va ouvrir à d'autres capacités et que les autres vaccins qui vont arriver vont permettre de passer d'une vaccination en site collectif à une vaccination possible de façon simple, dans les cabinets ou structures individuelles.

  Les pharmaciens devraient-ils vacciner également ? Je dis qu'aujourd'hui, il faut que les Français soient vaccinés. Et pour qu'ils le soient, il faut effectivement d'une part respecter des protocoles de mise en œuvre de vaccination avec la médicalisation de l'indication et de la contre-indication et d'autre part qu'un certain nombre d'effecteurs, habilités à vacciner, puissent le faire.   Le Gouvernement envisage de reporter l'injection de la deuxième dose de 21 à 42 jours alors que l'Académie de médecine ou Pfizer y sont défavorables. Qu'en pensez-vous ? Nous avons écrit au ministre pour lui dire que nous ne pouvions sûrement pas passer de J21 à J42 comme délai normal de la vaccination. Nous avons rappelé qu'il fallait un délai prudentiel. A notre sens l'annonce faite par le Premier ministre...

qui a indiqué qu'il faudrait faire la vaccination de rappel à 28 jours, nous apparait celle qui garantit le mieux la situation. Le faire à 42 jours voudrait dire que les patients seraient en retard de vaccination par rapport à la période qui a été évaluée scientifiquement et nous pensons que ça n'est pas raisonnable. J28 nous paraît le délai maximal à mettre en œuvre. Un communiqué adressé aux médecins de Charente par le président du Conseil départemental fait état du scepticisme de ce dernier vis-à-vis de la vaccination. Certains médecins menaçaient de porter plainte devant l'Ordre pour ces propos. Avez-vous été en contact avec ce président de CDOM ? Je rappelle que la position de l'Ordre des médecins est une et unique. L'Ordre est totalement engagé dans le processus vaccinal. Je crois que nous l'avons démontré à la fois au conseil national et dans les conseils départementaux. Il y a de la part de l'institution aucune ambiguïté. Je recevrai le président du conseil départemental de Charente pour lui demander de s'expliquer. Pour l'instant, nous n'avons pas de plainte à son égard.

  Depuis quelques semaines vous martelez que vous réclamez de l'exemplarité de la part du corps médical. Êtes-vous satisfait ? Sont-ils exemplaires pendant cette campagne ? Je suis fier des médecins. J'ai vu leur engagement dans la campagne de vaccination, à la fois pour eux-mêmes mais aussi dans la promotion de la campagne et dans leur présence dans les lieux de vaccination. Ils ont rempli leur engagement vis-à-vis de la population. J'estime que si la campagne connaît une accélération, c'est pour une bonne part grâce à l'engagement des médecins.   Si dans cette campagne de vaccination il fallait améliorer certains points, à quoi penseriez-vous en priorité ? Je pense tout d'abord aux doses. Il faudrait également améliorer la concertation territoriale pour l'organisation vaccinale. Les ARS doivent être des organismes facilitateurs en matière d'organisation. C'est le cas pour certaines mais pas pour d'autres… Et surtout il faut plus de transparence de la part du Gouvernement. Si nous voulons réussir ensemble ce qui est une course de fond et qui va s'étaler sur plusieurs mois, nous devons les uns et les autres avoir cette ambition de travail en commun.    

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