Dr Patrick Bouet : "Moi, petit-fils de résistant mort à Auschwitz, je n’ai rien de comparable avec ceux qui administraient l’Ordre à cette époque"

09/07/2021 Par A.M.
Histoire
Président du Conseil national de l’Ordre des médecins et petit-fils d’un résistant communiste déporté, le Dr Patrick Bouet ne peut qu’approuver la démarche de "transparence" sur la période de l’Occupation initiée par l’institution ordinale en 1997. Mais pour ce dernier, l’Ordre d’aujourd’hui ne peut se voir éternellement reprocher les actions de son ancêtre. Interview. 

Egora.fr : La déclaration du président Glorion en 1997 vous a-t-elle marqué ? 

Dr Patrick Bouet : Oui, bien sûr, j’étais président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis à l’époque. Personnellement, je suis petit-fils d’un résistant communiste mort à Auschwitz, c’est vous dire que j’ai été bercé dans mon enfance par les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Mes convictions sont marquées depuis cette époque. 

Cette déclaration de Bernard Glorion s’inscrit dans un moment dans l’histoire de République française où beaucoup d’acteurs institutionnels sont entrés dans une démarche de repentance. Il est apparu nécessaire au président du Conseil national de prendre acte de ce qui avait pu être la position de l’Ordre des médecins dans sa configuration jusqu’en 1942 (les membres sont désignés par le pouvoir), puis dans sa configuration jusqu’en 1944 (les membres sont élus par les médecins), et qu’il y a eu des faits qui ont été préjudiciables à un certain nombre de confrères. Avec le recul, je pense que les gens voulaient de l’objectivité sur l’action de l’Ordre. 

 

L’ouverture des archives de l’Ordre sur la période 1940-1945 a-t-elle permis cette objectivité ? 

Ça a en tout cas permis de lever le voile. En tant que président aujourd’hui, je suis le comptable de l’histoire de l’institution. J’ai toujours cru fondamentalement à la transparence : on n’a rien à perdre, au contraire tout à gagner, pour que tout soit lisible et puisse être analysé. Dès les années 1990, lorsque je présidais le CDOM93, j’ai été l’un des acteurs de la disponibilité des archives de l’Ordre.  

 

Les archives auraient été en partie inondées… ou nettoyées ? 

Je n’étais pas né à l’époque donc je me garde d’interpréter ce dont je n’étais ni acteur ni spectateur. Tout ce que nous avons aujourd’hui est mis à la disposition de l’ensemble des acteurs. On peut toujours faire des procès en explications… Il y a effectivement eu des...

accidents et il y a peut-être eu des destructions volontaires mais je crois surtout que la volonté était pour certains de fermer la porte. 

 

Y a-t-il eu des médecins au sein de l’Ordre qui, au contraire, s’opposaient à cette démarche de repentance ? 

Quand on regarde l’histoire post Seconde Guerre mondiale, entre 1945 et 1975, on voit bien que la France tout entière a été confrontée à son passé. Fermer la porte a été la volonté de beaucoup d’acteurs institutionnels, l’Ordre n’a pas été différent. Voyez le temps qu’il a fallu pour que la République française elle-même fasse repentance sur la Rafle du Vel d’Hiv… 

 

Y avait-il des raisons propres au corps médical pour que le tabou n’ait été brisé qu’en 1997 ? Le fait est que les membres du Conseil de l’Ordre de l’époque sont demeurés dans les institutions médicales… 

C’est la question qui se pose de manière générale pour la France d’après-guerre. Vous remarquerez que dans l’Ordre de 1944-1945, on a retrouvé un certain nombre de membres de l’Ordre de 1942 et 1943. Il y a eu dans l’Ordre de cette époque des médecins qui ont été reconnus par la Résistance à la fin de la guerre comme ayant été des acteurs de la lutte contre l’occupant. Tout cela est une histoire très complexe. 

Alors est-ce qu’il y a eu de la part de certains médecins, comme il a pu y avoir de la part de certains industriels ou de certains acteurs politiques, de valider leur présence comme combattants plutôt que comme administrateurs de l’Occupation ? Là encore, je n’étais pas né, je ne peux pas interpréter. Mais je sais que beaucoup des membres de l’Ordre ont été reconnus comme des acteurs de la Resistance. Rien n’est blanc, rien n’est noir. 

 

Comment expliquer que 80 ans après, la naissance de l’Ordre sous Vichy soit encore l’un des principaux arguments des opposants à l’institution pour contester ses actions ou demander sa dissolution ? 

C’est une question que je continue de me poser… Pourquoi la France cherche-t-elle désespérément à se plonger dans une explication passéiste sur une institution ? Qu’y a-t-il de comparable entre moi, qui suis petit-fils de résistant mort à Auschwitz, président du Conseil national de l’Ordre et ceux qui étaient à l’époque géraient l’institution ? Moi je suis un homme du 21e siècle. Cette institution est aujourd’hui plongée au cœur du système de santé et elle a le droit, comme les autres, d’être regardée comme ayant évolué, muri, s’étant renforcée. On ne changera pas les faits : l’Ordre d’aujourd’hui est né en 1945 d’une volonté d’avoir un ordre démocratiquement élu responsable d’une mission de service public et pour moi, cette inscription dans la vie de la République française et dans la nécessité de reconstruire la France d’après-guerre, est l’élément majeur de la mutation institutionnelle. On ne changera pas les réalités : effectivement il y a un ordre en 1942-3… Mais crache-t-on sur les allocations familiales au prétexte que ce serait Pétain qui les a mises en place ? Il faut savoir vivre avec l’histoire, reconnaître ses responsabilités et être acteurs de son époque. 

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