Inceste et violences sexuelles sur enfants : des recommandations sur le rôle du médecin

31/03/2022 Par L. C.
Déontologie
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a livré, ce jeudi 31 mars, ses premières recommandations, un an après avoir débuté ses travaux. Elle préconise notamment de clarifier l’obligation de signalement par les médecins, et de suspendre les procédures disciplinaires éventuelles à leur encontre durant l’enquête pénale. 
 

Il est "urgent" d’agir, alerte la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants* (CIIVISE) qui évalue à 160.000 le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles chaque année. Cette instance – créée par le Gouvernement – a publié, ce jeudi, ses premières conclusions, un an après le début de ses travaux, qu’elle poursuivra jusqu’en 2023. Ces conclusions à mi-parcours visent à développer une "culture de la protection". 

Au total, la commission a formulé 20 préconisations réparties en 4 axes (le repérage des enfants victimes, le traitement judiciaire des violences sexuelles, la réparation par le soin et l’indemnisation et la prévention). Certaines "appellent des modifications de nature législative. D'autres relèvent davantage de pratiques professionnelles plus protectrices", peut-on lire dans son rapport. Mais "toutes sont réalisables rapidement". 

Première des mesures à mettre en place selon la commission : l’organisation du repérage systématique des violences sexuelles auprès de tous les enfants par tous les professionnels (enseignants, professionnels de santé, magistrats…). Ces derniers doivent systématiquement "poser la question de l’existence des violences sexuelles, et notamment de l’inceste," à l’enfant. 

Selon la commission, "la pratique du repérage par signe est insuffisante" et "les conséquences des violences sont encore insuffisamment connues" des professionnels et des victimes elles-mêmes. Le questionnement systématique avait par ailleurs été préconisé par la Haute Autorité de santé en 2019, "même en l’absence de signes d’alerte", rappelle la commission, qui ajoute que le repérage systématique des violences sexuelles subies dans l’enfance doit aussi être mise en œuvre auprès des adultes. 

Pour appuyer ses préconisations, la commission a lancé en septembre 2021 un appel à témoignages, auquel plus de 10.000 personnes ont répondu. Elle note que "dans les cas d’inceste, lorsque l’enfant a confié les violences à un tiers, ce confident n’a rien fait dans 4 cas sur 10". Ainsi, elle recommande de créer une cellule de conseil et de soutien pour les professionnels qui reçoivent les révélations de violences sexuelles de la part des enfants. Cette cellule devrait être disponible par téléphone sur l’ensemble du territoire national. 

 

Suspension des poursuites disciplinaires 

"Les médecins et professionnels de santé doivent pouvoir bénéficier de conseils de pairs", ajoute la CIIVISE, qui rapporte que seuls 5% des signalements pour maltraitance des enfants provenaient des médecins. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce faible taux de signalement : "le manque d’accompagnement des médecins" et "l’absence de structure de conseil des professionnels", mais aussi le secret médical et "les insuffisances du cadre juridique qui le régit". 

"Les médecins ont toutefois la faculté d’effectuer un signalement, sans s’exposer à une sanction pour violation du secret professionnel, mais ne sont pas tenus de signaler pour autant", déplore la CIIVISE, qui appelle à clarifier l’obligation de signalement des enfants victimes de violences sexuelles par les médecins. Cette obligation doit néanmoins s’accompagner de "dispositions garantissant la sécurité juridique" des praticiens. Car ces derniers font parfois l’objet de poursuites disciplinaires par l’Ordre. 

La commission souhaite ainsi la suspension de toute procédure disciplinaire (avertissement, blâme, interdiction temporaire d’exercer…) "pendant l’enquête pénale" à la suite d’un signalement effectué par un médecin pour suspicion de violences sexuelles contre un enfant. Elle rappelle que ce signalement doit être adressé au procureur de la République, mais estime que "lorsqu’une procédure d’assistance éducative est déjà en cours devant un juge des enfants, il ne doit pas être reproché à un médecin d’avoir adressé un signalement à ce juge plutôt qu’au procureur". 

La commission énumère également des recommandations concernant le traitement judiciaire de ces violences. "La justice doit se mettre à hauteur d’enfant", plaide-t-elle. Elle appelle à garantir que les auditions des enfants victimes lors de l’enquête soient faites conformément au protocole spécifique (NICHD) par un policier ou un gendarme formé et habilité. Mais aussi à mettre en place sur tout le territoire des "unités d’écoute pédiatriques". "Des expertises psychologiques et pédopsychiatriques par des praticiens formés et spécialisés" doivent être assurées.  

Les enregistrements des auditions des victimes devraient être par ailleurs systématiquement visionnés par les magistrats. Le rapport préconise également que les décisions de classement sans suite soient "expliquées verbalement à la victime" par le procureur de la République, alors que 70% des plaintes pour violences sexuelles sur des enfants sont actuellement classées sans suite. Il demande que les parties civiles puissent faire appel des décisions pénales sur l’action publique. A ce jour, elles ne peuvent faire appel "que sur la partie de la décision relative à l’action civile, c’est-à-dire aux dommages et intérêts". 

Dans le volet "réparation par l’indemnisation et par le soin", la CIIVISE juge qu’il est urgent de garantir des soins spécialisés en psychotrauma aux victimes, ainsi qu’une "réparation indemnitaire prenant en compte réellement la gravité du préjudice", notamment le remboursement intégral des frais du médecin-conseil. 

*La commission est composée de 26 membres (experts, victimes et associations). 

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