"J'assume le risque d'être déconventionnée" : pourquoi cette généraliste facture désormais 5 euros de dépassement à ses patients

03/05/2023 Par A.M.
Témoignage
Depuis le 2 mai, devant l'absence de revalorisation tarifaire digne de ce nom, la Dre Claire Cadix, médecin généraliste installée en secteur 1 à Ger (Pyrénées-Atlantiques), a pris la décision de facturer sa consultation 30 euros. "Je n'impose pas, je propose", témoigne-t-elle auprès d'Egora. Une démarche "mûrement réfléchie", qui s'inscrit dans un mouvement de contestation tarifaire qui pourrait devenir national.

  "Je suis installée en secteur 1 depuis 23 ans, dans un cabinet de groupe. Il y a un mois, nous avons mis une affiche en salle d'attente pour alerter les patients sur le fait que nous n'avions aucune perspective de revalorisation, alors que les charges augmentaient. On a une secrétaire en présentiel, on a investi dans du matériel, on a refait pour 300 000 euros de travaux il y a deux ans sur nos fonds propres… Je sais que la conjoncture économique est difficile pour tout le monde, mais on ne peut pas continuer comme ça et travailler à perte. Nous, on est coincés avec la caisse d'Assurance maladie. La seule façon qu'on a de pallier l'augmentation des charges, c'est de voir plus de patients. Moi, je ne peux pas. J'ai déjà des journées très remplies. Depuis le mois d'avril, on a fixé le temps de consultation à 10 minutes. Mais ce n'est pas tenable, ce n'est pas satisfaisant. Ce n'est pas ma façon de voir la médecine.   "Les patients prennent la chose différemment..." Après réflexion, je me suis rendu compte que la seule solution était d'augmenter le tarif de la consultation… J'ai mis une affiche derrière mon bureau, où j'ai écrit : "Devant l'absence d'une revalorisation du tarif de la consultation permettant une médecine de qualité, de proximité et humaine, face au niveau de l'inflation, votre médecin a décidé de facturer la consultation à 30 euros à compter du 2 mai 2023."

L'affiche placardée dans le cabinet de Claire Cadix, pour informer les patients (DR)

En fin de consultation, je demande à mes patients s'ils sont d'accord d'avoir un dépassement de 5 euros. Je ne leur impose pas, je leur propose, c'est toujours une discussion. Quand je fais ma feuille de soins, je mets 30 euros avec dépassement pour exigence. Les patients sont remboursés sur la base de 25 euros, après je ne sais pas si les mutuelles prennent en charge les 5 euros restants. Pour les CMU, je ne fais pas de majoration. Pour les ALD, si le patient est d'accord, je cote le G à 25 en tiers payant AMO et il me règle les 5 euros de dépassement.

Les patients prennent la chose différemment… Certains me disent : "Pas de souci, 5 euros c'est correct". J'ai un patient qui m'a dit ok, puis après réflexion, se rendant compte qu'il ne serait pas remboursé des 5 euros, il n'était plus d'accord. J'ai discuté longuement avec une patiente qui m'a demandé si je prenais des risques. Je lui ai répondu : "Oui, j'assume le risque de potentiellement être déconventionnée si la caisse réagit très fortement". Pour elle, rajouter 5 euros c'est une chose, mais effectivement si j'étais déconventionnée, elle ne viendrait plus me voir.   "Si je ne peux plus faire mon travail comme j'aspire à le faire, alors j'arrête la médecine" Je n'impose rien mais la caisse peut me reprocher de faire toujours 30 euros… Si je veux éviter que la caisse m'embête, il faut que je fasse un coup du 27 euros, un coup du 30… Mais ça je ne veux pas, c'est hypocrite. J'assume ma décision, elle a été mûrie. Si j'ai un redressement fiscal, si la Sécu vient me taper sur les doigts, si je subis une procédure conventionnelle, advienne que pourra. Si la procédure aboutit à un déconventionnement, on verra si je peux continuer déconventionnée. Et si c'est autre chose, je ferai un CAP de pâtissière ! J'ai 56 ans, ça fait 23 ans que je travaille, si je ne suis pas épanouie dans mon travail...

je préfère faire autre chose. Je vois trop de patients qui sont en épuisement professionnel, qui ont perdu le plaisir dans leur boulot. Je ne veux pas que mon boulot devienne alimentaire, que je sois contrainte d'enchaîner les consultations à 26.5 euros avec la pression de la caisse pour voir 30-40 patients par jour. Je ne veux pas faire l'abattage et perdre le côté humain de la médecine holistique… Notre consultation, ce n'est pas juste un acte, juste un renouvellement. C'est aussi de la prévention, de l'éducation thérapeutique. Si je ne peux plus faire mon travail comme j'aspire à le faire, alors j'arrête la médecine. Ce matin [mardi 2 mai, NDLR], j'ai signé la promesse de déconventionnement sur le site de l'UFML (bien que je sois syndiquée à la FMF). C'est une démarche compliquée pour moi, qui suis très attachée à l'idée de la Sécurité sociale et aux ordonnances de 1945. Je suis dans un milieu semi-rural, avec des personnes qui sont parfois très précaires. On n'a pas une patientèle qui roule sur l'or… On prend de nouveaux patients, on voit les urgences. On essaie d'être à l'écoute des gens. Me déconventionner, ce n'est pas dans mes gênes. Ce n'est pas pour ça que j'ai fait médecine. Je n'ai pas fait médecine pour gagner du fric. Mais par contre, j'ai besoin de gagner suffisamment pour payer mon secrétariat, pour payer les travaux qu'on a fait au cabinet, etc. 25 euros ce n'est pas tenable et 26.5 c'est du mépris. Je crois que les 1.5 euro de revalorisation ont fait plus de dégâts encore que rien du tout. On ne reconnaît pas notre travail. La médecine est maltraitée. Pour le ministère, la seule solution c'est la numérisation, la téléconsultation, l'intelligence artificielle… Notre valeur intellectuelle n'est pas reconnue. Il y a déjà plus beaucoup de médecins, s'il n'y a pas de prise de conscience de notre mal-être, des difficultés grandissantes de notre exercice, il n'y aura plus de médecins du tout.   "Je trouve ça désolant que chaque fois qu'on aspire à être augmenté, on en passe par la rue, par un bras de fer" Nous sommes 4 médecins au cabinet : j'ai une collègue, qui a 58 ans, qui est dans la même optique que moi et qui va procéder de la même façon. Nous avons deux jeunes collaboratrices qui elles, ne se sentent pas prêtes. Elles ne sont pas à l'aise, vis-à-vis des patients : à qui facturer un DE, à qui ne pas le faire… Il y a des groupes What's App, où les médecins se disent "faut qu'on en discute ensemble". Mais si on se met d'accord sur un territoire, on peut avoir la direction de la concurrence qui nous tombe dessus, parce qu'il y a une entente et ça, c'est sanctionnable. Je pense que ça va faire boule de neige. Effectivement, il y a des confrères qui ont besoin de savoir qu'ils ne sont pas seuls à le faire, et c'est aussi plus difficile de sanctionner 40 médecins qu'un médecin tout seul. En 2002, quand ils sanctionnaient une poignée de médecins, il y en avait 400 qui manifestaient devant la caisse ! Et c'est ce qui a fait fléchir la Cnam. Certes, il y a eu des élections… Je trouve ça désolant que chaque fois qu'on aspire à être augmenté, on en passe par la rue, par un bras de fer. Il n'y aucune réflexion de la part des gouvernants sur le fait que si on permet aux médecins de passer le temps nécessaire avec chaque patient pour faire de l'éducation thérapeutique, en fin de compte on diminuera les frais."  

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Les négociations conventionnelles entre les médecins et l'Assurance maladie doivent-elles reprendre?

Jerry Tulassan

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La négociation est une série d'entretiens, de démarches entreprises pour parvenir à un accord, pour conclure une affaire ou mettre... Lire plus

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