Des recommandations françaises dans la maladie de Crohn
L’arrivée de nouvelles molécules et des combothérapies bouscule les schémas et stratégies thérapeutiques. Le Getaid vient de publier ses recommandations, qui évolueront probablement au gré des essais cliniques à venir.
Après les recommandations dédiées à la rectocolite hémorragique publiées en 2022, le Groupe d'étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif (Getaid) vient de publier des recommandations dédiées à la maladie de Crohn (MC) Le texte rappelle les traitements qui ont un bon niveau de preuve pour parvenir à l’obtention d’une rémission.
Ainsi, la première ligne repose sur une corticothérapie systémique (≤40mg/j, pendant moins d’un mois) ou le budésonide, moins efficace mais mieux toléré, qui peut être privilégié dans les formes moins sévères. Dès lors que la maladie est corticodépendante ou corticorésistante, ou que le patient présente une contre-indication, le traitement de première ligne repose sur un antiTNF ou l’ustekinumab (ciblant la sous-unité p40 sur l'IL-12 et l’IL-23). Parmi les anti-TNF, l’infliximab peut être associé à une thiopurine pour optimiser son efficacité à court terme. L’infliximab et l’adalimumab peuvent être associés au méthotrexate (MTX) pour prévenir l’immunogénicité.
Les traitements de 2e ligne reposent sur un second anti-TNF, l’ustékinumab, le risankizumab, le védolizumab ou l’upadacitinib. La décision est individualisée selon le patient. Après l’échec d’un anti-TNF, le risankizumab (inhibition la sous-unité p19 d’IL-23) semble plus efficace que l’ustékinumab. C’est ce qu’a confirmé l’étude de phase 3b Sequence, présentée lors du congrès. Cette étude, qui a comparé face-face les deux molécules, a démontré l’utilité de l’inhibition spécifique de l’IL-23 par le rizankizumab dans les formes modérées à sévères de la maladie, en échec à au moins un traitement par anti-TNF. Le risankisumab était non inférieur à l’ustékinumab sur le critère de rémission clinique à 24 semaines (58,6% des patients vs 39,5%). Il était par ailleurs supérieur sur celui de rémission endoscopique à 48 semaines (31,8 % vs 16,2 %), avec un profil de tolérance comparable et satisfaisant.
Conduite à tenir après la rémission et la chirurgie
Une fois la rémission obtenue, le traitement d’entretien repose idéalement sur le traitement efficace en induction. Les patients asymptomatiques sous traitement d’entretien doivent être surveillés tous les 3 à 6 mois, sachant qu’une augmentation des taux de CRP ou de calprotectine est souvent constatée 3 à 4 mois avant la poussée proprement dite. En cas de rémission prolongée sous combothérapie, l’arrêt de l’immunosuppresseur peut être envisagé. Une rémission à la fois clinique, biologique, endoscopique et éventuellement radiologique peut justifier une désescalade thérapeutique chez des patients sélectionnés n’ayant pas de facteurs de risque et qui seront bien compliants à la surveillance.
En revanche, une perte de réponse aux anti-TNF invite à chercher une infection qui, si elle est écartée, doit motiver une évaluation objective de l’activité de la MC (coloscopie, entéro-IRM, échographie ou vidéocapsule). Lorsque l’activité de la maladie est confirmée, la posologie ou la fréquence d’administration peuvent être augmentées et la molécule doit être dosées pour évaluer l’utilité de son maintien ou la nécessité de changer de stratégie.
Quant aux patients opérés, la récidive post-opératoire sans traitement concerne un patient sur 2 à 5 ans. La rémission post-opératoire endoscopique permet de prédire fortement la rémission post-opératoire clinique. Un traitement prophylactique par biothérapie (anti-TNF, védolizumab et, dans une moindre mesure l’ustékinumab) doit être prescrit 2 à 4 semaines après le rétablissement de la continuité chez les patients présentant des facteurs de risque : tabagisme actif et au moins deux paramètres propres à la maladie (antécédents de résection, phénotype fistulant, au moins 2 biothérapies avant la chirurgie…). Et, chez tous les patients, une endoscopie de suivi doit être prescrite 6 mois après le rétablissement de la continuité.
Vers de nouvelles molécules et de nouvelles stratégies
Le retard de l’arsenal thérapeutique contre la maladie de Crohn par rapport à celui disponible dans la RCH tend à se réduire : plusieurs biothérapies sont actuellement évaluées et notamment des anticorps ciblant les anti-sous unité p19 de l’IL23 autres que le risankizumab (mirikizumab, guselkumab). Des inhibiteurs de JAK commencent à être disponibles, comme l’upadacitinib dont les données en traitement d’induction (U-Exceed, U-Excel) et en traitement d’entretien (U-Endure) ont permis de voir la molécule enregistrée et récemment remboursée chez les patients en échec des anti-TNF.
Au cours du congrès, une analyse post hoc de l’étude U-Endure a été présentée pour évaluer si l’escalade thérapeutique à 30 mg/j d’upadacitinib, en ouvert, permettait de restaurer le bénéfice clinique et améliorer les marqueurs inflammatoires lorsque les patients avaient eu une perte de réponse durant la phase d’entretien par 15mg/j ou après arrêt du traitement. La posologie de 30mg/j a permis d’obtenir une réponse clinique chez environ 85 % des patients et une rémission clinique à 12 semaines chez environ la moitié des patients. Et toutes deux maintenues à la 24e semaine. Deux autres anti-JAK, un pan-JAK (izencitinib) et un anti-JAK-TYK2 (brepocitinib) sont également à l’étude.
Enfin, de nouvelles classes thérapeutiques sont en cours de développement, incluant les modulateurs de sphingosine-1-phosphate (S1P), les anticorps anti-IL-36 (spésolimab) et les antagonistes de TL1A (PRA-023). Enfin, des essais de combothérapie sont actuellement conduits pour dépasser les chiffres actuels de taux de réponse cliniques qui restent de 30 à 50 % à 1 an. La récente étude Explorer a ainsi montré l’intérêt d’associer l’adalimumab et le védolizumab au MTX pour atteindre une rémission clinique chez la moitié des patients à la 26e semaine.
RCH : efficacité confirmée du risankizumab en 2ème ligne
Le risankizumab a aussi été évalué dans la rectocolite hémorragique (RCH), en comparaison au placebo. Ainsi, l’étude de phase 3 Inspire a été menée chez des patients ayant une forme active modérée à sévère de la maladie, et une intolérance ou un échec aux traitements conventionnels et/ou avancés. Les résultats ont montré que le taux de rémission clinique sous ce traitement était supérieur au placebo à la 12e semaine : 20,3% vs 6,2%.
L’amélioration endoscopique, la rémission endoscopique et l’amélioration histo-endoscopique, ainsi que les critères composites associant ces différents critères, étaient également supérieures dans le groupe risankizumab, ainsi que la fréquence des hospitalisations pour la RCH.
Les profils de sécurité étaient satisfaisants. La molécule continue son développement.
Au sommaire du congrès :
- Maladie de Crohn, cancer du pancréas... Ce qu'il faut retenir des dernières Journées francophones d'hépato-gastroentérologie
- MASH, VHB : quelle est la valeur pronostique de la régression de l’atteinte hépatique ?
- Troubles fonctionnels intestinaux : la place des probiotiques et des approches non médicamenteuses précisée
- Cancer du pancréas : un lien avec l’exposition aux pesticides identifié en France
- Maladie cœliaque : 4 cas sur 5 sont atypiques ou frustres
Références :
Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive (JFHOD, 14 -17 mars, Palais des congrès de Paris). D’après les communications du Pr Laurent Peyrin-Biroulet (CHRU Nancy), du Dr Xavier Roblin (CHU Saint-Étienne), et de la Dre Pauline Wils (CHRU Lille) au cours du symposium scientifique "Maladie de Crohn : nouvelles recommandations françaises", de la séance plénière scientifique du jeudi 14 mars 2024, et de la session de communications orales "MICI thérapeutique".
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