Politicien

Syndrome d’hubris, troubles de la personnalité... Les politiciens sont-ils fous ?

Ces derniers mois ont été marqués par une actualité politique dense et de nombreuses frasques de nos leaders politiques. Alors que le second tour des élections législatives se tient ce dimanche 7 juillet, la question de la santé mentale de ces hommes et ces femmes peut se poser. En France comme ailleurs, il semblerait que certaines personnalités politiques présentent un tableau psychiatrique. Mais est-ce le pouvoir qui rend fou ou bien faut-il être fou pour réussir en politique ? Analyse.

05/07/2024 Par Dr Clément Guillet
Psychiatrie
Politicien

Dissolution inédite de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, refus de quitter la présidence des Républicains pour Eric Ciotti, maintien public du souhait de Jean-Luc Mélenchon de devenir Premier ministre malgré le désaccord d'une partie de ses alliés et retournements de veste par dizaines... En pleine campagne des élections législatives, et alors que le Rassemblement national pourrait arriver au pouvoir, les personnalités politiques n'ont cessé de s'exprimer - avec plus ou moins d'impact - ces dernières semaines. 

En France, comme ailleurs, les frasques, choix et actions de ces leaders peuvent questionner. Et avec eux, leur santé mentale. Au-delà des prises de position et dérapages de ces hommes et femmes politiques, certains commentateurs se sont déjà risqués à des diagnostics. Psychopathe, personnalité narcissique ou histrionique... Les supputations sur les profils de ces leaders se sont multipliées. 

L'un des cas les plus marquants de ces dernières années : l'arrivée au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis en 2017. Alors que le chef de fil de Républicains pourrait être réélu président, les craintes sur sa santé mentale sont encore nombreuses. Si celles-ci n'ont jamais été confirmées, Trump serait loin d'avoir été (ou d'être de nouveau) le premier président américain à souffrir de troubles mentaux. Dans un article de 2006, paru dans Journal of nervous and mental disease, Davidson analysait les biographies des présidents américains depuis l’indépendance en 1776 jusqu’à 1974. Les cas étaient nombreux : d’un Lincoln dépressif à un Kennedy sujet à des variations de l’humeur induits par l’abus de substances stimulantes et la cortisone qu’il s’injectait pour sa maladie d’Adisson.

 

Dépression, dépendance à l’alcool, bipolarité…

L’article retrouvait chez 49% des présidents américains des critères de troubles psychologiques allant de la dépression (24%) à la dépendance à l’alcool (8%) ou l’anxiété (8%). L’article relevait des traits de bipolarité chez 8% d’entre eux, comme Theodore Roosevelt et Lyndon Johnson. Mais ces taux correspondent à ceux retrouvés dans la population américaine. A l’exception d’un plus fort taux de dépression : l’usure du pouvoir sans doute.

En France, les hommes et femmes politiques n’ont pas fait l’objet d’études aussi précises. Mais régulièrement l’actualité vient nous rappeler que le pouvoir révèle la face sombre de certains politiques : des abus sexuels, aux violences conjugales en passant par la fraude qui frise parfois la mythomanie. "Le pouvoir est une drogue qui rend fou quiconque y goûte", assurait François Mitterrand. L’homo politicus est-il un cas psychiatrique ? Mais faut-il être fou pour arriver au pouvoir ou est-ce le pouvoir qui rend fou ?

 

Maladie professionnelle

C’est la question que se posait le Pr Pascal de Sutter dans son livre Ces fous qui nous gouvernent : comment la psychologie permet de comprendre les hommes politiques, paru en 2007. Le psychologue, professeur à l'université de Louvain-la-Neuve (Belgique), écrivait : "La folie, chez un homme politique, c’est un peu comme la tuberculose pour les mineurs du siècle de Zola, une maladie professionnelle, un risque difficilement évitable." Pascal de Sutter paraphrasait alors le titre du livre à succès du Dr Pierre Rentchnick et de Pierre Accoce, Ces malades qui nous gouvernent, paru en 1976. L’ouvrage explorait l’état de santé physique des gouvernants et les répercussions sur leur politique. En ouverture du livre, cette citation de Montherlant : “On nous parle du nez de Cléopâtre, mais on ne nous parle pas des hémorroïdes de Richelieu."

 

Psychologie politique

De son côté, Pascal de Sutter s’intéressait à l’aspect psychologique des grands de ce monde. Il mettait ainsi en avant une discipline peu connue : la psychologie politique. Née durant la Seconde Guerre mondiale, cette discipline cherche à établir à distance des profils de leaders en se basant sur l’analyse verbale du discours, le discours non verbal (expressions et gestes) et les questionnaires des proches et des adversaires. Ceci dans un but stratégique et diplomatique : connaître ses ennemis et ses amis permet de mieux les manipuler.

 

Des traits de psychopathie utiles

Stress, dépression, mégalomanie, abus de substances… De nombreux troubles psychologiques peuvent être entraînés par l’exercice du pouvoir. Mais ils peuvent aussi précéder l’accession au pouvoir, voire la favoriser ; un zeste de paranoïa permettrait de se méfier de ses ennemis ou de remporter l’adhésion par une vision manichéenne du monde. Et, des traits de psychopathie – soit notamment le défaut d’empathie – seraient utiles pour se faire une place dans la lutte politique tout en s’arrangeant avec sa conscience. Enfin, la mythomanie peut être un avantage adaptatif pour esquiver certaines situations... 

Ces traits peuvent aussi être accentués, une fois arrivé au pouvoir : la victoire flattant le narcissisme des uns, la déférence, l’histrionisme des autres et l’impunité libérant les pulsions les plus sombres.

Certains de nos politiques étaient analysés dans le livre de Pascal de Sutter. Par exemple, Nicolas Sarkozy y était diagnostiqué comme un ambitieux-dominant narcissique compensatoire. Soit ayant une ambition dévorante, venant compenser des complexes sous-jacents anciens. "Il est probable que seul un grave échec personnel, comme se faire massacrer aux élections, pourrait le guérir", affirmait notamment le psychologue dans un entretien au journal suisse Le Temps, en 2008. 

 

Un avantage en temps de crise

Toujours selon de Sutter, un grain de folie initial pourrait aussi protéger les hommes politiques du pouvoir ; "Cette machine à broyer l’équilibre mental." Et lui éviterait ainsi de tomber dans un état pathologique. Le Pr Nassir Ghaemi, psychiatre américain et professeur à l'université Tufts à Boston, va plus loin : il estime que les troubles psychologiques peuvent même servir les hommes de pouvoir dans les périodes de crise.

Dans son livre paru en 2011, Une folie de première classe : les liens entre esprit dirigeant et maladie mentale, le psychiatrie écrit : "Lorsque les temps sont bons et que le vaisseau de l’État n’a besoin que d’aller de l’avant, les gens sains d’esprit sont de bons leaders politiques. Mais en cas de crise et de tumulte, ceux qui sont anormaux mentalement, voire malades, deviennent les plus grands leaders." Face à Hitler, la lucidité d’un Churchill, bipolaire, est mise en avant par rapport à celle d’un Chamberlain, sain d’esprit, qui échoua dans la négociation des accords de Munich.

Quatre éléments-clés peuvent servir les leaders en cas de crise : le réalisme, l’empathie, la résilience et la créativité. Pour Nassir Ghaemi, la dépression peut aider les leaders à être plus réalistes et plus empathiques, alors que la manie contribuerait à la créativité et la résilience. Les carrières de Churchill, Lincoln, Gandhi et Luther King montrent les liens existant entre la dépression, le réalisme et l’empathie. Tandis que les personnalités hyperthymiques de Roosvelt et Kennedy, aurait pu favoriser la résilience.

 

Le syndrome d’hubris : une nouvelle maladie ?

Le pouvoir peut amplifier des traits pathologiques préexistants. Mais l’ivresse du pouvoir est-elle une entité clinique à part entière ? C’est la thèse du Dr David Owen, médecin et homme politique anglais, qui a développé le concept de "syndrome d’hubris".

David Owen n’a rien d’un anarchiste ou d’un révolutionnaire. C’est un politique de premier plan, qui fut le plus jeune ministre des Affaires étrangères anglais, membre du Parlement, puis membre de la Chambre des Lords. Un médecin qui connaît donc bien son sujet d’étude. Il définit ce syndrome dans un livre paru en 2008, et dans un article paru dans la revue Brain - co-signé avec le Dr Davidson. Dans la Grèce antique, l’hubris est synonyme d’orgueil démesuré : lorsque le succès monte à la tête des puissants.

 

Personnalité narcissique

David Owen cherche à définir sa nouvelle entité : il décrit quatorze caractéristiques (cf. encadré) notamment un mépris pour les critiques, la perte de contact avec la réalité ou encore un sentiment d’invulnérabilité. Trois caractéristiques parmi ces quatorze sont nécessaires pour que l’ont puisse parler de syndrome d’hubris. Beaucoup recoupent les traits de caractère de la personnalité narcissique décrite dans le DSM-5. D’autres celle des personnalités histrioniques ou antisociales.

Contrairement aux troubles de la personnalité qui sont stables à partir de la fin de l’adolescence, le syndrome d’hubris a pour particularité d’être transitoire, déclenché par le pouvoir et de s’estomper avec lui. Plus la durée du mandat est longue plus le risque de déclencher le syndrome d’hubris est fort. S’il peut être associé à des comorbidités psychiatriques, il peut aussi survenir sur un terrain neutre : c’est le pouvoir uniquement qui en est le facteur déclenchant.

Owen s’intéresse aux présidents américains et aux premiers ministres anglais sur une durée d‘un siècle. George W. Bush et Tony Blair présentent un syndrome d’hubris typique selon lui, notamment lors de leur engagement dans guerre en Irak.

 

Stars, hommes d’affaire ou gourous

Mais pourquoi les hommes politiques seraient les seuls affectés ? Pour l’auteur, le syndrome d’hubris peut atteindre aussi bien les stars, les hommes d’affaires ou les gourous. Mais le médecin reconnaît des limites à son syndrome, notamment le fait que le peu de sujets concernés rende son étude complexe. N’ayant aucune validation scientifique, le syndrome d’hubris reste une simple hypothèse de travail. Toutefois, quand on sait quel impact peut avoir l’action démesurée d’un puissant sur la population qu’il commande, il est légitime d’envisager des pare-feux. Le Dr Owen suggère des limitations possibles au syndrome d’hubris : la démystification du secret médical et la séparation bien marquée des pouvoirs.

 

Des fous qui nous ressemblent

Ainsi, les politiques peuvent développer des troubles durant l’exercice de leur fonction, qu’il s’agisse de troubles psychiatriques induits (dépression, anxiété, abus de substances...), d’un trait de personnalité préexistant renforcé par l’exercice du pouvoir (paranoïa, narcissisme, perversion...), ou même un syndrome d’hubris. La question reste posée : pourquoi votons-nous pour eux ?

En 2012, après la présence d'une "omniprésident" à la tête de l'Etat, les Français s'étaient tournés vers François Hollande, alors perçu comme un président "normal". Il a très vite battu des records d'impopularité, poussant ainsi Emmanuel Macron au pouvoir. A deux jours du second tour des élections législatives, quel sera le choix de ces Français ? De l'autre côté de l'Atlantique, la question se pose aussi  : après un mandat de Joe Biden, le retour à la tête des Etats-Unis de Donald Trump est probable. Est-ce pour sa personnalité, qui apparaît comme l'archétype d'une personnalité narcissique, que les électeurs voteront pour lui ? 

Sur ce point, Pascal de Sutter écrit : "Le plus cocasse, c’est que si les fous sont au pouvoir, c’est parce que nous les y avons mis justement parce qu’ils sont fous." Parce que les électeurs cherchent des leaders séducteurs, menteurs, ou manipulateurs. Nous recherchons à travers ces défauts, des hommes politiques qui nous ressemblent ou nous rassurent sur nous-mêmes. C’est peut-être cela le secret du populisme.

[REPUBLICATION : article initialement publié sur Egora en novembre 2016, mis à jour vendredi 5 juillet 2024]

 

Les critères du syndrome d'hubris :

Selon David Owen, pour être atteint du syndrome d’hubris, il faut présenter au moins trois des critères parmi les quatorze suivants. Certains sont uniques (*), d’autres recoupent les critères de personnalité narcissique (PN) , antisociale (PA) ou histrionique (PH) :

– propension narcissique à voir le monde comme une arène où exercer son pouvoir et chercher la gloire (PN)
– prédisposition à engager des actions susceptibles de présenter l’individu sous un jour favorable c’est-à-dire pour embellir son image (PN)
– attrait démesuré pour l’image et l’apparence (PN)
– façon messianique d’évoquer les affaires courantes et tendance à l’exaltation (PN)
– identification avec la nation ou l’organisation, au point que l’individu pense que son point de vue et ses intérêts sont identiques à ceux de la nation ou de l’organisation (*)
– tendance à parler de soi à la troisième personne ou à utiliser le “nous” royal (*)
– confiance excessive en son propre jugement et mépris pour les critiques et les conseils d’autrui (PN)
– impression d’omnipotence sur ce que l’individu est personnellement capable d’accomplir (PN)
– croyance qu’au lieu d’être responsable devant ses collègues, le seul tribunal auquel devra répondre sera celui de l’histoire (PN)
– croyance inébranlable que le jugement de ce tribunal lui sera favorable (*)
– perte de contact avec la réalité, souvent associé à un isolement progressif (PA)
– agitation, imprudence et impulsivité (*)
– tendance à accorder de l’importance à leur “vision”, à leur choix, ce qui leur évite de prendre en considération les aspects pratiques ou évaluer les coûts et les conséquences (*)
– incompétence “hubristique”, lorsque les choses tournent mal parce qu’une confiance en soi excessive a conduit le leader à négliger les rouages habituels de la politique et du droit (PH)

 

 

Références :

Davidson J., et coll. Mental Illness In U.S. Presidents Between 1776 and 1974. A Review of Biographical Sources. The Journal of Nervous and Mental Disease. Volume 194, numéro 1, janvier 2006.

De Sutter Pascal. Ces fous qui nous gouvernent. Les Arènes, 2007.

Ghaemi Nassim. A First-Rate Madness : Uncovering the Links Between Leadership and Mental Illness. Penguine Press. 2011.

Owen D., Davidson J. Hubris syndrome : an acquired personality disorder ? A study of US Presidents and UK Prime Ministers over the last 100 years. Brain, numéro 132, 2009, p. 1396-1406.

Owen David. In sickness and in power : illness in heads of governement during the last 100 years. Praeger, 2008

Faut-il prévoir deux stages en libéral pour tous les internes de spécialité ?

Michel Pailleux

Michel Pailleux

Oui

Ma collègue qui vient d'obtenir sa spécialité de MPR , et qui a pratiqué pendant plusieurs années la M.G. à la campagne, a suivi ... Lire plus

21 commentaires
4 débatteurs en ligne4 en ligne
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Débatteur Renommé
Oto-rhino-laryngologie
il y a 4 mois
D'apres la description clinique de l'hubris, il parait évident que notre président en est atteint. D'ailleurs, meme des personnalités publiques comme Alain Minc ont fait cette constatation. Mais il ma
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 4 mois
L’âpreté au gain aggravée par le fait que l’on sait ne pas être capable d’autre actions que d´enfumer ses contemporains par incompétence ou lâcheté doit un peu y être pour quelque chose. On peut y ajo
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202 points
Débatteur Renommé
Psychiatrie
il y a 4 mois
En tant que psychiatre, je me permets des réserves importantes. Il est déjà important de ne pas confondre psychologie et psychiatrie. N'étant pas psychologue, je ne me prononcerai pas sur les troubl
 
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