AVC

"Si je n'avais pas été étudiante en médecine, je serais peut-être morte" : à 20 ans, elle est victime d'un AVC diagnostiqué 2 mois plus tard

En juin dernier, Marion Da Ros Poli, 20 ans, est prise de vertiges alors qu'elle est en vacances en Corse. L'étudiante en médecine fait en réalité un AVC, qui ne lui sera diagnostiqué que deux mois plus tard à Paris. Si elle s'estime "chanceuse" au vu de ses séquelles, l'apprentie blouse blanche souhaite alerter sur les risques d'AVC et sur le manque de moyens médicaux en Corse, son "île natale". "Si je n’avais pas été étudiante en médecine, je serais peut-être morte d’un second AVC dans les semaines qui ont suivi", lâche celle qui est désormais en quatrième année de médecine. Elle partage son histoire sur le réseau social X. 

23/10/2024 Par Marion Da Ros Poli
AVC

 

 

"Il y a maintenant 4 mois, j’ai été victime d’un accident vasculaire cérébral. À 20 ans. Mais ce diagnostic, je ne l’ai entendu de la voix d’un médecin que 2 mois après cet incident.

Le 16 juin 2024, je suis en vacances en Corse avec mon copain. Nous sommes en train de monter les marches de la citadelle de Calvi quand un mal de tête apparaît. Moi qui suis migraineuse, je n’y prête pas attention et continue de marcher.

Ayant une bicuspidie aortique de naissance, je suis facilement essoufflée. Après notre ascension, je demande donc à m’assoir sur un banc. C’est alors qu’en discutant avec mon copain qui me tenait la main gauche, je ressens des picotements dans celle-ci. D’un coup, mon bras semble complètement glacé, bloqué. Je me demande ce qu’il m’arrive, et tente de dire à mon copain que je ne sens plus mon bras. J’ai alors la bouche complètement engourdie, j’ai l’impression de ne pas réussir à parler, de baver, d’être anesthésiée.

Ma vision se trouble, mon champ visuel est réduit, je peine à voir la mer face à moi. Je panique, car, étant étudiante en médecine et mon copain en pharmacie, nous comprenons que quelque chose ne va pas. Ces symptômes durent quelques minutes, et petit à petit, je retrouve les sensations de mon bras et ma vision (bien qu’elle reste floue). Seule ma voix reste 'monotone' et je peine à articuler, du fait de ma bouche engourdie.

"J'en veux énormément au personnel soignant m'ayant reçue"

Après un arrêt rapide pour acheter de quoi m’hydrater (complètement délusionnelle, je pensais que c’était un coup de chaud), mon copain insiste pour que nous nous rendions aux urgences. Et à partir d’ici, j’en veux énormément au personnel soignant m’ayant reçue. L’infirmière d’orientation à l’accueil, à la description de mes symptômes, est inquiète. Elle me fait passer en priorité. Une étudiante infirmière prend mes constantes, et me pose des questions sur mes antécédents (bicuspidie, potentielle HTA mais jamais diagnostiquée…).

On m’amène alors sur un brancard dans un box et on me fait un bilan sanguin (qui s’avérera normal). Voilà que débute 1h d’attente sans que personne ne vienne me voir pour m’évaluer. Après cette heure, un médecin arrive enfin. Il réalise un examen neurologique, bien trop rapide pour une patiente suspecte d’AVC. A posteriori, mon score NIHSS devait être à 7, mais au vu de son évaluation, il n’a pas pris le temps de le calculer complètement.

Il m’annonce alors qu’il va me faire faire un scanner injecté 'pour être sûr qu’il n’y a rien' et que s’il est normal, je pourrais ressortir. Je passe donc le scanner, à H+3, celui-ci est normal.

Le médecin m’apporte donc mon dossier et me dit qu’il s’agit sans doute d’une aura migraineuse, que je n’ai pas à m’en faire. Tout de même un peu consternée, je lui demande si je peux avoir de l’aspirine, au cas où ce soit plus grave. Il me dit oui, 'si ça peut vous rassurer, on peut même vous prescrire une IRM à faire en ville dans la semaine qui arrive'. J’acquiesce, ils me ramènent les ordonnances et à H+4, me laisse sortir.

Pas d’évaluation neurologique complète, pas d’IRM, pas de thrombolyse, et si je n’insistais pas, pas de traitement de sortie ni d’IRM. Et pourquoi ? Par manque de moyens ? Par manque de compétences ? Parce que personne ne croyait à l’AVC de la petite jeune de 20 ans ? Qui sait…

Le mardi, je vois un neurologue qui ne s’inquiète pas le moins du monde et affirme lui aussi qu’il s’agit d’une aura migraineuse. Le jeudi suivant, je réalise l’IRM prescrite. Le vendredi, je reçois les résultats : 'individualisation de plages d’allure ischémique récente, dont la plus grande mesure 18mm de long'. Il n’y a pas de conclusion, pas de 'probable AVC ischémique', seulement des observations, et bien qu’étudiante en médecine, je ne veux pas aller trop vite sur un diagnostic.

Alors, je renvoie ces résultats au neurologue. J’attends toujours une réponse ce jour. Et me voilà, à 20 ans, pendant l’été, en Corse, avec ce résultat d’IRM, mon aspirine, et l’impossibilité de voir un médecin pour un diagnostic précis, non fait par le radiologue ayant analysé mon IRM.

"C'est le 27 août qu'on m'annonce que j'ai bel et bien fait un AVC"

C’est grâce aux connaissances de ma famille que j’obtiens un rendez-vous à l’hôpital Raymond-Poincaré, en août (ne retournant sur le continent qu’à la fin août, je ne pouvais accepter de rendez-vous plus tôt). C’est le 27 août qu’on m’annonce que j’ai bel et bien fait un AVC. C’est ce 27 août qu’on commence à me prendre en charge, qu’on me programme une hospitalisation en HDJ, qui révélera d’ailleurs que mon rétrécissement aortique est plus que serré (46mmHg de gradient), alors qu’il était mesuré à 32mmHg en Corse. Dégradation soudaine ou erreur de mesure ? Je ne m’avancerai pas.

Nous voici maintenant en octobre, et je sais que je vais devoir subir une opération de ma valve afin de la remplacer, car c’est elle qui était à l’origine de mon AVC. Si je n’avais pas eu ce rendez-vous sur Paris, je n’aurai jamais su tout ceci. Et si je n’avais pas été étudiante en médecine, je serais peut-être morte d’un second AVC dans les semaines qui ont suivi. Cependant, le patient lambda habitant en Corse n’est peut-être pas étudiant en médecine, et n’a peut-être pas de connaissance sur Paris.

C’est ici tout l’intérêt de ce long thread. Je veux alerter sur le manque de moyens médicaux constaté sur mon île natale. Je veux rappeler aux gens que l’AVC est une urgence vitale, et qu’il ne devrait pas être pris à la légère. Je veux faire en sorte que ce qu’il m’est arrivé, bien que je sois chanceuse au vu de mes séquelles, ne se reproduise pour personne. Je m’excuse encore une fois pour la longueur de ce thread, mais il me semble plus à sa place sur Twitter que dans mes notes.

PS : j’étais en fin de troisième année au moment de mon AVC, je n’avais que très peu de notion de médecine. C’est à posteriori qui je parviens à déceler ce qui n’a pas été, après plusieurs gardes en neurologie, et l’apprentissage de l’item 'accident vasculaire cérébral' dans mes livres de médecine. Item que tout médecin doit connaître, dès sa 4eme année d’apprentissage.

Je remercie celles et ceux qui auront lu jusqu’ici, j’espère que le gouvernement et les politiques corses verront qu’une fois de plus, il y a un sérieux problème concernant la prise en charge médicale sur notre île."

 

Thread initialement publié le 20 octobre sur X (anciennement Twitter) par Marion Da Ros Poli (@mariondrp)

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Claire FAUCHERY

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Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Je ne vois pas le rapport avec la Corse, puisque cette prise en charge aux urgences est exactement ce qui se fait partout en France pour une suspicion d'AIT : un scanner au SAU, puis IRM en externe s'il est normal. Je suis même étonnée de la rapidité avec laquelle elle a eu son IRM (par chez moi, zone rurale du Grand Est, on a toujours environ 4 à 6 semaines de délai pour une IRM, même si c'est pour une suspicion d'AVC...). On peut en revanche s'étonner que le neurologue (ou son secrétariat) n'ait pas rappelé après réception des résultats, mais malheureusement il y a beaucoup de CH dans lesquels les patients vus par le specialiste en post-urgences ne sont jamais rappelés. C'est souvent le fameux médecin traitant qui doit "organiser le parcours de soins" lorsqu'il voit les résultats (parce que c'est bien connu, le médecin traitant il sert à faire la secrétaire... #sarcasme). D'ailleurs je suis étonnée que cette patiente n'ait pas pris RDV avec un généraliste sur son lieu de vacances dès qu'elle a obtenu ses résultats d'IRM, et qu'elle ait préféré attendre la rentrée pour consulter sur le continent... Bref, un thread pour encore une fois dire "j'ai été mal pris(e) en charge" ou "dans ma région c'est pire qu'ailleurs". Non, on ne déclenche pas une alerte thrombolyse pour chaque suspicion d'AIT vue après résolution des symptômes, ni en Corse, ni nulle part ailleurs, et si on le faisait, c'est pas de 20 000 médecins qu'on manquerait, mais de 100 000. Non, on ne rappelle pas forcément tous les patients quand ils ont un examen anormal, parce qu'on suppose qu'ils vont le faire eux-même. Une partie des médecins ont déjà du mal à se payer un secrétariat, c'est une ressource humaine qu'on doit essayer d'utiliser à bon escient.
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6,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Je ne ne me permettrait pas de juger celle qu'il faut appeler ici une patiente (au sens original de "celle qui souffre") car il faut la considérer avant tout comme une patiente et non comme un médecin. Mais pour moi qui était à Calvi il y a une à peine quinze jours pour un stage de traumatologie et de mésothérapie, je suis extrêmement ému par ce témoignage qui doit nous rappeler à nous, médecins, que nous devons sans cesse nous remettre en question et savoir traquer cette petite anomalie dans le témoignage du patient où dans les données de l'examen qui nous empêchera de minimiser un tableau sémiologique et de passer à côté d'un diagnostic risquant de mettre en jeu le pronostic fonctionnel ou pire, vital. Sachons faire preuve de modestie et que l'erreur nous guette !
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252 points
Médecine générale
il y a 1 an
"je ne pouvais accepter de rendez-vous plus tôt"... Cette demoiselle se prend pour le centre du monde. Le job a été fait aux urgences chez cette patiente qui se reconnait migraineuse (la "migraine accompagnée ça existe). Il faut cependant reconnaitre qu'une IRM aurait pu voire dû être pratiquée d'emblée compte tenu du terrain. Il aurait été aussi de bon aloi de consulter un médecin généraliste à sa sortie des urgences qui l'aurait prise en charge. Je suis étonné aussi de la notion de "bicuspidie, potentielle HTA mais jamais diagnostiquée…" Cette patient n'avait pas de suivi médical antérieur ? Pas vu de cardiologue? Et quid du neurologue ? Dans quelles circonstances ont été transmis les résultats de l'IRM ? Etait-ce son neurologue ? La connaissait-il ? Je souhaite à cette future confrère un bon rétablissement et de ne pas tomber sur des patientes piégeuse comme elle plus tard comme nous en rencontrons tous...
 
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