"On est devenus des paillassons sur lesquels chacun trouve normal de s'essuyer les pieds" : médecins grévistes, nous vous avons donné la parole

01/12/2022 Par S. B.
Témoignage
Ces 1er et 2 décembre, les médecins libéraux sont appelés à la grève. Ils militent pour une hausse significative du tarif de la consultation à hauteur de 50 euros. Ils expriment aussi un ras-le-bol général devant des conditions de travail de plus en plus dégradées. Lancé à l'appel du collectif Médecins pour demain, fort de plus de 15.000 membres, ce mouvement social est soutenu par les syndicats médicaux. Ces derniers s'attendent à une mobilisation massive et prévoient entre 70 et 90% de grévistes. Interrogés par Egora, des dizaines de médecins nous ont confié leurs revendications. 

 

Ils sont épuisés, en ont marre d'être tenus pour responsables des déserts médicaux et s'interrogent devant le partage d'actes. Les médecins libéraux, et notamment les généralistes, seront nombreux à baisser le rideau ces 1er et 2 décembre. "Beaucoup de médecins qui n'ont jamais fermé de leur vie vont faire grève pour la première fois", constate le Dr Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre (UFML-S). 

"Le 1er décembre, je ne travaillerai pas. Je ferai grève comme nombre de mes confrères. Pas pour doubler le tarif de la consultation, pas par intérêt corporatiste ou par appât du gain, mais bien pour soigner le système de santé. Ce mouvement est l’expression d’un ras-le-bol, celui de médecins à qui l’on refuse un traitement alors qu’ils ont déjà fait le diagnostic : manque d’investissement dans les soins primaires, ubérisation de la médecine, surcharge administrative, destruction de la logique de parcours de soins. Il est aujourd’hui plus qu’urgent d’agir pour réanimer un système de santé qui agonise. Si je fais grève le 1er décembre, c’est avant tout pour appeler les politiques à prendre leurs responsabilités et à mesurer les conséquences de leurs décisions. Pour le bien de la population, il est indispensable de mettre dès aujourd’hui un terme au démantèlement de la médecine de ville organisé ces dernières décennies", a témoigné Paracetamed, médecin généraliste en maison de santé pluriprofessionnelle. L'ensemble de sa MSP sera d'ailleurs en grève ce jeudi.  

 

"Nous souhaitons un profond changement" 

Et les patients comprennent. "La majorité se montre tout à fait compréhensive et solidaire de notre mouvement dès lors qu'il est expliqué clairement. Les usagers, acteurs de santé, constatent eux aussi la dégradation du système de santé et comprennent ce ras-le-bol qu'ils partagent. Tous unis, nous souhaitons un profond changement nécessitant une véritable concertation et non des effets d'annonce à répétition", ajoute le praticien. 

Comme lui, Isabelle, médecin généraliste dans un centre médical et paramédical en Provence baissera le rideau. "Je ferme mon cabinet les 2 jours, ce mouvement est asyndical et apolitique, ce sont des médecins exaspérés par les récentes orientations tellement éloignées de ce que nous souhaitons pour l'avenir de notre profession ; toujours plus d'administratif, de certificats et documents absurdes, et le risque réel d'une médecine faite par des non-médecins", a confié la praticienne. "Nous pensons aux jeunes qui, après des études éprouvantes et des stages souvent éreintants, ont un futur bien sombre et différent de ce qu'ils rêvaient", ajoute-t-elle.  

Pour nombre de médecins, la hausse des contraintes administratives a été l'élément déclencheur de cette grève. C'est notamment le cas de Thomas, généraliste en Bretagne. Il déplore "trop de demandes administratives (certificats divers, arrêts de travail courts, prescription de transport, procédures de l'assurance maladie...)", mais aussi une "perte de sens de la profession", et un "harcèlement de l'Assurance maladie (arrêts de travail)". "Nous sommes devenus des paillassons sur lesquels chacun trouve normal de s'essuyer les pieds", conclu le médecin. 

 

"Maltraitance" 

D'autres parlent même de "maltraitance" subie de "depuis des années de la part des pouvoirs publics et des administrations comme l’ARS et la CPAM qui nous pourrissent la vie malgré notre investissement sans faille et notre bonne volonté", comme la Dre Anne Saint-Marc Fuhrer. "La rémunération à l’acte est sous-payée, les Rosp qui nous aliènent, la nomenclature est trop compliquée et non réévaluée et elle ne permet pas le cumul des actes", explicite la généraliste avant de poursuivre : "La délégation des tâches médicales est dangereuse et contre notre essence même alors qu’il nous faudrait un allègement administratif." La praticienne déplore également "la non-reconnaissance des pouvoirs publics dans leur responsabilité concernant les déserts médicaux pour lesquels ils veulent nous faire porter non seulement le chapeau mais aussi pour lesquels les propositions apportées sont non concertées, prises à la va-vite, dangereuses et inacceptables". 

"Nous ne sommes pas responsables du manque de médecins, l'Etat est...

responsable au fil des années, incapable, ou plus certainement ne désirant pas faire une simple règle de trois permettant d'ouvrir le numerus clausus à temps", s'agace Fredoc 54, médecin généraliste en MSP qui fermera les 1er et 2 décembre. "Le respect et la rémunération à la hauteur de la moyenne européenne sont les derniers leviers permettant de motiver les jeunes médecins. La délégation des tâches n'est pas acceptable pour des médecins formés durant de si longues études et si performants", ajoute-t-il.  

 

"Pourquoi nos gouvernants nous détestent autant ?" 

Pour Gaëlle, médecin généraliste remplaçante en cabinet de groupe, il s'agit même d'un "manque de respect de notre profession". Elle s'insurge contre "le mépris social financier qu’on subit chaque jour". Et contre "l’abrogation des lois permettant aux IPA d'exercer car c'est l’insulte de trop !" Elle s'emporte contre les tarifs de consultations des infirmières en pratiques avancées : "50 euros pour une consultation dite simple et nous, 25 pour une consultation complexe". "Pourquoi nos gouvernants nous détestent autant, nous qui avons tenu pendant des années, tenu pendant le Covid, convaincu et vacciné ?", s'interroge la praticienne qui dénonce "la mort annoncée de la médecine générale". Comme beaucoup de ses confrères, la généraliste est soutenue par les patients qui "ne sont pas dupes des réels responsables". 

Les médecins grévistes sont nombreux à se dire "épuisés", "proche du burn-out" ou "d'un point de rupture". Ils demandent une "revalorisation" de leur travail. Il faut une "revalorisation de la consultation à 50 euros pour redonner de l'attractivité à la médecine libérale et nous donner les moyens d'améliorer notre outil de travail pour accueillir plus de patients", estime le Dr Alexis Antoine généraliste à Brignoles avec secrétaire, assistante et internes.  

 

"Tout est fait pour dégoûter les jeunes" 

"Je souhaite une revalorisation des actes de la médecine et un projet pour la médecine libérale de ville qu'on essaie d'achever. Tout est fait pour dégoûter les jeunes générations de la médecine générale libérale. Il ne faudra pas s'étonner si aucun jeune ne s'installe dans les années qui viennent", estime Benjamin, généraliste en Gironde. 

Au-delà d'une hausse du tarif de la consultation, les médecins grévistes réclament un réel changement des mentalités. Il faut "des mesures concrètes pour que les patients ne nous voient pas comme de simples distributeurs d’arrêts, de certificats et d’ordonnances", mais aussi "la suppression de l’arrêt médical pour un arrêt court" ou "la suppression des certificats non indispensables", liste Cécile, généraliste dans le Vaucluse. 

Les praticiens réclament tous "du temps médical". "Notre cœur de métier est le soin, j’ai besoin de temps médical et je suis prête à déléguer quelques consultations (entretiens motivationnels, éducation à la santé). J’ai surtout besoin de libérer le temps gâché par des actes inutiles comme les 'certifalacons' pour tout et n’importe quoi", analyse une autre généraliste gréviste. 

Si quelques médecins ont décidé de faire grève sans en avertir leur patients, la plupart avaient affiché leurs revendications dans le cabinet. Quelques praticiens seront présents pour les urgences, d'autres ont déjà prévu un répondeur téléphonique avec un renvoi vers le 15.  

Tous n'ont cependant pas passé le pas de la grève. C'est le cas de ce praticien réunionnais qui a estimé : "La grève me déclenche de l'anaphylaxie. On n'est pas des cheminots tout de même. Impossible de dire aux patients que je ferme pour doubler mon salaire."

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