Elle a bousculé le syndicalisme médical : portrait de Nicole Renaud-Cristofari, généraliste qui a tenu tête aux grandes centrales

16/08/2021 Par L. C.
Syndicalisme

LES HEROÏNES DE LA MEDECINE 3/4. Le Dr Nicole Renaud-Cristofari, généraliste à la retraite, a, dès son installation, en 1976, fait face à ses premières désillusions : concurrence farouche, faible représentativité des femmes, image catastrophique de la médecine générale. Dès lors, elle décide de s’engager politiquement et lutte ardemment face aux grandes centrales, qui font la part belle aux spécialistes. Elle lance avec 9 confrères et consœurs un appel retentissant pour la défense et l’autonomie de la profession. Un succès fulgurant qui engagera un véritable mouvement national. Cet été, Egora rend hommage aux femmes méconnues qui ont fait honneur à la profession. C’est l’histoire d’une “aventure humaine irremplaçable”. Une aventure humaine qui n’aurait pas vu le jour sans Nicole Renaud- Cristofari, ancienne médecin généraliste d’un petit bourg aveyronnais, Saint-Cyprien-sur-Dourdou. Alors qu’elle vient tout juste de s’installer, au tout début de l’année 1976, la praticienne âgée de 28 ans, fille de mineur de fond, connaît ses premières désillusions. Elle qui avait choisi la médecine générale par pure conviction – “alors qu’à ce moment-là, on était généraliste par l’échec quand on ne réussissait pas le concours pour être spécialiste”, elle se retrouve confrontée à une absence de confraternité qui la met hors d’elle.

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Dans ce village de 800 habitants, le cabinet secondaire, tenu par trois hommes médecins du bourg voisin, est contraint de fermer après son installation. Nicole Renaud- Cristofari se heurte à leur colère. Très vite, la jeune femme fait l’amère expérience de “la concurrence farouche” entre généralistes. “Ils disaient que je ne me déplacerai pas la nuit, que j’aurai peur quand il y aurait de la neige”, nous explique Nicole Renaud-Cristofari, aujourd’hui âgée de 73 ans. Rapidement, elle se rend compte qu’en plus de la dénigrer, ses trois confrères continuent de prendre en charge certains patients du village sous prétexte qu’ils avaient une autorisation pour soigner les mineurs avec la caisse des mines. Déterminée à ne pas se faire marcher...

sur les pieds, l’Aveyronnaise porte plainte devant l’Ordre des médecins et alerte le président du syndicat départemental de la CSMF. C’est la douche froide. “Je n’ai pas eu la réponse attendue, je n’ai pas été du tout soutenue. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me dire qu’il allait falloir que je me défende.” Elle, mais aussi les autres femmes généralistes, qui étaient alors “moins de 10% à exercer” ; et, plus globalement, toute la médecine générale qui souffrait à l’époque d’une “très mauvaise image publique”.

  “Premiers pas” Deux ans plus tard, elle rencontre un jeune médecin généraliste qui vient de s’installer dans un village tout proche. Ce dernier lui fait part de son envie de monter un syndicat de généralistes et la convie à Rodez, où une réunion est organisée. Elle y fait la connaissance de praticiens qui, comme elle, ont l’envie de défendre leur médecine. C’est “la révélation”. Tous décident d’établir un bureau départemental de la FNOF (Fédération nationale des omnipraticiens français), à l’époque adhérente à la CSMF, qui s’appellera le SDOA (Syndicat départemental des omnipraticiens de l’Aveyron). Ce sont ses “premiers pas” vers un engagement syndical qui ne la lâchera pas jusqu’à sa retraite. Nicole Renaud-Cristofari entre en 1980 au comité directeur de la FNOF, qui tente alors de se féminiser, puis au bureau. Elle y côtoie de jeunes praticiens comme Richard Bouton et Georges Pradoura, l’équipe avec laquelle elle marquera “l’histoire du syndicalisme”. Au niveau local, la généraliste engagée poursuit ses actions et organise notamment un premier congrès régional à Rodez lors duquel est largement soulevée l’importance de revaloriser la pratique des généralistes. C’est donc pleine d’ambition que Nicole Renaud-Cristofari aborde le Congrès de la FNOF à Bayonne, qui doit se tenir en 1983. Et pourtant… Quelques temps avant la tenue de cet événement, les jeunes généralistes apprennent dans la presse professionnelle la mort programmée de la FNOF. “On a appris qu’il y avait eu des ‘transactions’ pour que la FNOF disparaisse au bénéfice d’un collège à l’intérieur de la CSMF qui serait l’UNOF. Nous, les jeunes, avons très mal pris cette décision prise sans consensus. On a donc décidé de lancer un appel...

solennel à la tribune en disant que nous accepterions d’entrer à l’UNOF à la seule condition que nous ayons une place aux négos conventionnelles en tant que collège des généralistes avec une autonomie de décision”, raconte avec toujours autant de fermeté Nicole Renaud-Cristofari. Une première mise en garde…   L’appel des 10 … Qui ne semble toutefois pas avoir été pleinement entendue, comme le déplore Nicole Renaud-Cristofari qui raconte que lors d’une assemblée générale de la CSMF, le prix de la visite du généraliste – bloqué depuis des années et que ce corps demandait à être nettement augmenté, a été décidé par les spécialistes seuls. “On s’était préparés pour monter à la tribune. Mais on y a appelé que des médecins spécialistes et on a voté à 12h sans qu’un seul généraliste n’ait pu prendre la parole. Résultat des courses : la visite n’avait pas été augmentée. J’étais dans un état de colère inimaginable.” La rupture est entamée.

Nicole Renaud-Cristofari décide alors de convier 9 médecins généralistes* de Paris, Marseille, Roanne ou encore du Gers, tous impliqués dans des domaines différents mais représentatifs de la profession, chez elle, à Saint-Cyprien-sur-Dourdou. Ils se retrouvent le 13 mai 1984. Ensemble, ils constatent l’échec du système de soins, “incohérent”, et s’inquiètent de l’avenir de la médecine générale, reléguée au second rang. Pour y remédier, ils élaborent une série de propositions visant à lui redonner ses lettres de noblesse. “On a bossé chez moi comme des dingues”, se souvient l’Aveyronnaise, presque nostalgique. Résultat de ce travail acharné : “l’Appel des 10”, diffusé dans de nombreux journaux médicaux. “Nous lançons un appel solennel à tous les médecins généralistes de France qui se reconnaissent dans cette analyse et qui, conscients de l’urgence de la situation, sont décidés à mettre en œuvre les moyens indispensables à la sauvegarde de leur profession… seule une médecine générale, libérale, ambitieuse et moderne pourra réaliser les différents objectifs de la structure de soins que réclame notre pays”, lit-on dans cet appel, dont la revendication première est la négociation d’une convention spécifique à la médecine générale. Une seule adresse est jointe à cet appel : celle de Nicole Renaud-Cristofari qui, en quelques semaines à peine, reçoit des centaines de lettres de généralistes. Courriers auxquels elle répond, avec l’aide de ses enfants qui collent les timbres sur les enveloppes. La diffusion de cet appel provoque alors un séisme au sein de la CSMF qui contacte, alarmée, son instigatrice. Cette dernière répondra que ce texte n’est “rien de plus que ce que l’on [leur] demande depuis des mois”. La Confédération propose de convoquer les Etats généraux de la médecine générale, qui actent la création d’un Comité de salut public, auquel seront élus quatre des dix auteurs de l’Appel des 10, dont Nicole Renaud-Cristofari. Au cours de l’été 1984, les 23 membres travaillent d’arrache-pied pour bâtir la future UNOF, dont le Congrès de médecine rurale de Rodez, en octobre, doit être le tremplin. Le “clash” s’installe néanmoins quelques semaines avant, rapporte Nicole Renaud-Cristofari. En effet, la CSMF refuse “l’autonomie de décision et de gestion” des généralistes, ainsi que leur participation aux négociations conventionnelles. C’est dans une atmosphère...

plus que tendue, décrite par la praticienne désormais connue de tous, qu’elle part chercher le Dr Beaupère, président de la CSMF, à l’aéroport pour assister au Congrès de Rodez. “D’emblée, je lui dis que c’est sa dernière chance, soit il accepte qu’on rentre à l’UNOF en ayant une autonomie, soit c’est le clash. Le bureau confédéral est parti manger ailleurs, ils nous ont tous plantés là au lieu d’essayer de négocier”, se rappelle Nicole Renaud-Cristofari, avec la même sidération dans la voix.   La “passionaria” à la tête d’un nouveau mouvement Alors que près de 300 MG avaient fait le déplacement, l’événement, qui devait permettre à l’UNOF de prendre racine, dessine les contours d’un tout nouveau mouvement, le MAG (Mouvement d’Action des Généraliste). Nicole Renaud-Cristofari en prend tout naturellement la présidence, avec Richard Bouton en tant que secrétaire. Du côté de la CSMF, l’UNOF voit le jour, avec à sa tête le Dr Antoinette Vienet, sans se soucier du petit mouvement qui est en train de germer. Pourtant, la “passionaria” et son acolyte parviennent à créer une multitude de petits mouvements de généralistes lors de leur tour de France qui les ruinera financièrement. “Tous les week-ends on était quelque part”, se rappelle la praticienne, alors mère de deux enfants, dont la R5 parcourra 50.000 kilomètres en 1985.

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  Le tout jeune mouvement commence à interpeller les pouvoirs publics. “Le Gouvernement voyait cet élan nouveau qui naissait, ce qui fait qu’on a été régulièrement reçu par le ministère pour savoir où on en était. ” La crédibilité du MAG s’amplifie, et les adhérents affluent. Déçus du refus permanent de la CSMF de permettre aux généralistes de sa structure d’avoir une autonomie de décision et des moyens à la table des négociations conventionnelles, le MAG décide de se transformer. Un peu plus d’un an après...

sa création, le mouvement – désormais représenté dans 82 départements -, se mue en un syndicat autonome de médecins généralistes : la Fédération française des médecins généralistes (FFMG) qui devient rapidement MG France. Enceinte de son troisième enfant, Nicole Renaud-Cristofari, bien qu’ayant été l’une des principales instigatrices du syndicat, ne prend pas sa présidence mais le poste de secrétaire générale.

En 1989, le nouveau syndicat obtient la représentativité. Nicole Renaud-Cristofari quitte néanmoins le comité directeur de MG France pour se consacrer à sa famille et à ses patients. “Il fallait que je renfloue mes finances”, raconte-t-elle, ajoutant par ailleurs qu’il y a “un temps pour tout”. Le premier syndicat mono-catégoriel participe à ses premières élections professionnelles cinq ans plus tard. C’est le carton plein. MG France rafle 60% des voix. Et Nicole Renaud-Cristofari refait surface en prenant la tête de l’URML en Midi-Pyrénées. “C’était reparti pour un tour”, plaisante-t-elle. Elle restera engagée dans l’Union régionale jusqu’en 2006. Puis, “fatiguée” par les allers-retours à Toulouse, les réunions au siège parisien de MG France, ainsi que ses engagements au conseil d’administration de la Haute Autorité de santé (HAS) et au bureau de la conférence nationale de santé, elle finit par se retirer définitivement. Deux ans plus tard, la généraliste ferme son cabinet, mais ses engagements, eux, ne prendront pas congés. Sur demande, elle devient suppléante au conseil de son département, avec une exigence : que le social lui soit dévolu. Elle s’attachera notamment à sortir de terre trois unités de vie dans un canton où il n’existe pas d’Ehpad. “C’était une expérience certainement très dure, mais au niveau de l’aventure humaine que l’on a vécue, c’est irremplaçable”, revient, avec émotion, Nicole Renaud-Cristofari, aujourd’hui présidente de la fédération départementale de l’Aveyron de l’ADMR. Après plusieurs années dévolues à sa profession, sa mission de sauver la médecine générale semble avoir été accomplie, mais il reste “toujours des choses à défendre”, pointe la syndicaliste dans l’âme. *Dr Bernard Wolf, Dr François Angles, Dr Georges Pradoura, Dr Guy Barbara, Dr Jacqueline Valensi, Dr Philippe Degeyne, Dr Pierre Atlan, Dr Pierre Favard et Dr Richard Bouton.   Bibliographie :

  • La Médecine générale – une histoire en mouvement, de Nicole Renaud-Cristofari.

La semaine prochaine, retrouvez sur Egora le dernier épisode de notre série "Les héroïnes de la médecine", consacré à Colette Brull-Ulmann, ancienne interne membre du réseau d'évasion des enfants juifs de l’hôpital Rothschild.
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