Réforme de la santé : ils refont le match

19/09/2018 Par Catherine le Borgne
Politique de santé

Le plan présenté par Emmanuel Macron a immédiatement suscité un flot de réactions. Majoritairement favorables, elles n'éludent pas quelques zones d'ombres. Dans lesquelles ont plongé les opposants, qui critiquent l'erreur de traitement, malgré un bon diagnostic. Revue de détail.

     

Les "pour"

    - L'Ordre des médecins "satisfait" de orientations correspondant à ses demandes Une grande consultation du corps médical a été menée en 2015, a rappelé le président du Conseil national de l'Ordre des médecins, le Dr Patrick Bouet face à la presse. Ces propositions ont été portées dans le débat public. "Beaucoup de préoccupations que nous avions exprimées ont été prise en compte par le président de la République. Nous ne pouvons que nous en satisfaire", a-t-il commenté. Décloisonnement ville-hôpital, coopération interprofessionnelle… "Cela correspond à ce que nous portons depuis des années", a-t-il ajouté. Patrick Bouet a indiqué que l'Ordre des médecins sera un "élément moteur" dans  les discussions qui vont s'ouvrir prochainement pour lever les interrogations soulevées sur un certain nombre de sujets",  comme la fonction d'assistant médical. Ou la réforme du numerus clausus qui "n'est pas un aboutissement en soi. Nous allons maintenant rentrer dans la mise en œuvre concrète des mesures, avec un calendrier à 3 ans. L'Ordre y sera vigilant".   - La Mutualité française salue l"ambition" de la réforme Plusieurs motifs de satisfaction pour la Mutualité française : la fin de l'exercice isolé d'ici 2022, la création des assistants médicaux qui seront 4000 d'ici 2022, et la constitution de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), "le chaînon manquant pour décloisonner notre système en créant un réseau de santé de proximité", estime l'assureur complémentaire.
"Avec le regroupement de tous les professionnels de santé d'un territoire, et leur articulation avec les hôpitaux de proximité et l'offre médico-sociale, les CPTS devraient offrir une réponse coordonnée et large aux besoins de santé (permanence des soins, "petites" urgences, orientation du patient, etc) pour notamment limiter les recours non pertinents aux services hospitaliers, en particulier les urgences" veut croire la Mutualité. Autre motif de satisfaction pour l'assureur qui milite de longue date pour cela :  la fin du tout paiement à l'acte et le développement de rémunérations forfaitaires, en complément ou en alternative à l'acte. Parmi les interrogations, voire les critiques, la Mutualité demande que la participation des complémentaires à ces nouveaux modes de paiement soit "visible par les professionnels et les assurés et ne prenne pas la forme d'une taxe comme pour le forfait patientèle médecin traitant". Elle demande un soutien plus fort au centres et maisons de santé installés dans les quartiers de la politique de la ville et considère que la suppression du numerus clausus" ne peut être la seule réponse à l'inégale répartition des médecins sur les territoires."
  - MG France : Un chantier énorme qui demandera des moyens énormes MG France, "attend les moyens après les annonces", et se félicite que son idée d'assistants de médecine générale, ait été retenue par la stratégie de refondation." La mise à disposition d’un assistant de cabinet médical est une mesure de bon sens que MG France a proposée aux pouvoirs publics. Elle doit permettre de faire face plus aisément à la baisse du nombre de médecins en permettant au médecin généraliste de se consacrer à ses missions principales. Mais l'impact de cette mesure ne sera réel que si elle est facile à déclencher par les médecins généralistes qui en ont besoin" commente le syndicat dans un communiqué. Le syndicat du Dr Battistoni, qui a milité de longue date pour le développement d'un réseau de professionnels organisé sur tout le territoire, reconnaît maintenant que le chantier sera "immense à mener, d'une ampleur équivalente à celui des CHU en 1958". Un chantier de telle ampleur qu'il nécessitera un accompagnement sans faille de la puissance publique et "un redéploiement des moyens financiers disponibles au-delà de l'augmentation de l'Ondam qui vient d'être annoncée (+ 2,5 % au lieu de + 2,3 %. Ndlr), estime le syndicat de généralistes.   - Le SML heureux de retrouver ses propositions Redéfinition du rôle de l'hôpital, décloisonnement entre la ville et l'hôpital, assistants de médecine générale, déploiement des CPTS… Ces propositions figuraient dans le projet du SML et il se félicite de les retrouver dans la réforme d'Emmanuel Macron. En outre, la réforme part des besoins des patients "et ça change tout", écrit le syndicat dans un communiqué. "Cela signifie que l’on sort des positions doctrinaires pour rentrer enfin dans une approche pragmatique". Le syndicat demande qu'on maintienne les aides et les soutiens aux praticiens qui demeurent isolés :"la fin de l’exercice isolé n’est pas un objectif à l’horizon d’un quinquennat, sauf à couper les têtes. En réalité, cette mutation prendra une génération". Mais le SML n'applaudit pas à la transformation du mode de rémunération, induit par la réforme. Il demande que l’on "en pèse bien les conséquences économiques pour les cabinets libéraux. Jusqu’ici aucun chiffrage n’a été produit". Le syndicat reste ouvert à une forme de diversification des modes de rémunération à condition que le paiement à l’acte reste majoritaire.    

Les soutiens critiques

    - Les négociations à venir seront fondamentales pour la médecine de ville, prévient la CSMF La CSMF considère positivement le recentrage du système de santé vers la médecine de ville. En revanche, elle ne baissera pas la garde sur plusieurs points et promet une grande vigilance pour que la médecine de ville soit dotée des moyens nécessaires pour assumer ces nouvelles missions. D'accord sur la suppression du numerus clausus, la Confédération considère que c'est l'ensemble des études médicales qui est à revoir, et pas seulement la première année. "Les études de médecine doivent s’ouvrir sur l’exercice en ville, y compris par des stages en zones sous-denses" écrit la centrale dans un communiqué. Autre point "de vigilance" : la mise en place d'hôpitaux de proximité. Elle doit se faire en "ouvrant largement sur la médecine de ville, particulièrement pour leur gouvernance". Il faudra pour se faire bien les identifier et leur accorder un statut élaboré en concertation avec les médecins libéraux. Troisième point, la promotion des CPTS, soutenue par la CSMF. L'organisation des soins de ville en CPTS doit être "un objectif, non une obligation", sur une base de contrats avec des objectifs "et non sur un cahier des charges avec de contraintes", précise bien le syndicat. Mais autrement, la confédération approuve l'orientation vers un statut mixte ville-hôpital, qu'elle défend depuis plusieurs années. Idem pour la création des assistants médicaux, idée qu'elle promeut depuis 2011, rappelle-t-elle en se félicitant que grâce à son action, ces fonctions seront accessibles aux généralistes comme aux spécialistes. "Quant à la création de 400 postes de médecins généralistes dans les zones sous-denses, on peut d’ores et déjà parier qu’elle restera une intention : la carte des manques de médecins libéraux se superpose à celle des nombreux postes hospitaliers vacants. Ce seront des postes-papier !", doute la centrale.   - Gare aux "bullshit" jobs, grincent les jeunes généralistes Les jeunes généralistes du SNJMG répondront présents pour participer à l'engagement collectif souhaité par le président, mais ils demeureront très vigilants. Ainsi, la suppression du numerus clausus ouvre de grandes interrogations qui ne trouvent pas de réponses à ce jour, notamment sur les moyens alternatifs mis en œuvre, regrettent-ils dans un communiqué, mais ils se satisfont du recrutement de 400 postes de médecine générale salariée et de la transformation des hôpitaux locaux en établissements publics de proximité "deux de nos revendications historiques". Les assistants médicaux ? Une bonne idée également, à condition qu'il ne s'agisse pas de "bullshit jobs" de la médecine ambulatoire, mais que cela corresponde à une fonction bien précise d'aide à la médecine générale. Car, dans le même temps, la réforme alourdit la présence de la PDSA, jusqu'à 20 heures et peut être 22 heures, soulignent les jeunes généralistes. Satisfaits de l'annonce de la fin du tout T2A à l'hôpital, le SNJMG craint que par le biais de forfaits à l'épisode de soins, "soient recréé un système de budget global non plus focalisé sur l’hôpital mais dispatché sur plusieurs activités et partagé avec les professionnels de santé extra hospitaliers". Quant à la prévention, "elle reste toujours le parent pauvre du système de santé", lâchent-ils. A ReagJir, la satisfaction est globalement de mise. On y approuve la mise en place d'assistants médicaux, des CPTS, des hôpitaux communautaires pour décloisonner l'hôpital. Mais l'association place un bémol sur la suppression du numerus clausus. "La suppression du numerus clausus à la fin de la première année commune des études de santé et des ECN (à la fin de la 6ème année de médecine) nous semblent une bonne chose si ces études sont revues dans leur intégralité. Cela n’a de sens que si on augmente les stages en médecine de ville et qu’on repense les débuts d’exercice dans un cadre réfléchi", font-ils valoir dans un communiqué.   - Rien pour les finances des hôpitaux, interpelle la FHF La Fédération hospitalière de France reconnait plusieurs vertus à la réforme : la fin de l'exercice isolé de la médecine au travers du développement des CPTS, la promotion de l'exercice partagé ville/hôpital, même si les 400 postes salariés annoncés apparaissent "insuffisants". "L’objectif fixé à la médecine de ville de prendre sa part dans les urgences de jour jusqu’à 20 heures, puis dans la permanence des soins, est un premier pas mais ne répondra pas complétement aux attentes des patients et n’est pas de nature à remédier à la saturation des services d’urgence : la FHF sera attentive à l’approfondissement de cette mesure, note la FHF dans un communiqué. En outre se félicite la fédération hospitalière, la réforme met la pertinence des actes au centre du système. En revanche, trois "préoccupations majeures demeurent" à commencer par les tensions financières  vécues aujourd'hui par les hôpitaux alors que la réforme ne portera ses fruits que dans quelque années : les hôpitaux sont appelés à faire 960 millions d'euros d'économies en 2018, " dans un contexte où les déficits s’aggravent et dans une perspective où le gouvernement demande une économie de 1,2 milliard d’euros sur la masse salariale d’ici 2022. Ce qui relativise fortement la portée du 0,2 point d’augmentation de l’ONDAM (400 millions d’euros à distribuer à l’ensemble des acteurs de santé)"écrit la FHF. La FHF réclame à nouveau un moratoire sur la baisse des tarifs en 2019. En outre, la stratégie de transformation ne répond pas suffisamment aux enjeux de la psychiatrie "qui appellent des actions rapides, tant en matière d'organisation des soins que de parcours au quotidien des patients". Enfin, le "choc de simplification" attendu par tous, n'est pas au rendez-vous. "La FHF souhaite une réflexion sur le rôle des ARS et la fin du mille-feuille bureaucratique'".
   

Les franchement "contre"

    - Macron et Buzyn, "à côté du sujet", critique Philippe Vigier Le député militant de la coercition à l'installation considère que l'ordonnance du président Macron "n'est pas à la hauteur des drames que vivent les territoires en matière d'accès aux soins". Ce plan "souffre de graves insuffisances", tacle le député centriste. Il relève néanmoins quelques points positifs : la suppression du numerus clausus, "que j'avais recommandé dans le rapport de ma commission d'enquête", le soutien au développement des CPTS, "dont le financement ne peut être laissé aux seules collectivités territoriales"la réforme du financement des hôpitaux, "une avancée significative", et l'ouverture des Groupements hospitaliers de territoires (GHT) à l'hospitalisation privée "une étape importante pour faire tomber les barrières entre le public et le privé". Pour le reste, le plan "n'est pas à la hauteur de ses ambitions" et de l'urgence pour contrer la désertification médicale. Le député estime qu'Emmanuel Macron et Agnès Buzyn "passent complètement à côté du sujet : rien n’est véritablement fait pour mettre fin à la bureaucratisation rampante qui diminue le temps médical disponible. Rien n’est fait non plus pour véritablement faciliter les délégations de tâches et permettre ainsi aux sages-femmes, pharmaciens et auxiliaires médicaux de participer davantage à la chaîne de soins, qui seuls permettront d’apporter une réponse immédiate", critique-t-il. Par ailleurs, la création de 400 médecins salariés dans les déserts médicaux n’est pas à la mesure des situations d’urgence qui existent partout en France, insiste-t-il.   - L'UFML redoute la fin de la médecine libérale Pour le syndicat du Dr Marty, la réforme pourrait remettre en cause "le particularisme sanitaire français fait d'un système bipolaire hôpital public/médecine de ville". L'offre des assistants médicaux ?  Une médecine "subventionnée contre performante", tout comme l'installation de 400 médecins salariés. Cela souligne "un manque de volonté de rendre son attractivité à la médecine libérale et un risque d'étendre les pouvoirs des GHT sur la ville". Le Dr Jérôme Marty, le président de l'Ufmls, réfute la notion d'exercice isolé, affirmant que "tous les médecins généralistes travaillent en lien avec les infirmières libérales, les pharmacies, les médecins spécialistes, les établissements hospitaliers, les Ehpad". Il regrette également que les CPTS soient présentées comme l'alfa et l'oméga de l'organisation de la médecine de ville. "La médecine de ville annoncée comme plus libre est en fait dans la STSS (stratégie de transformation du système de santé), enfermée entre ARS et GHT".  Enfin la modification des études avec la suppression du numerus clausus pourrait être la bonne surprise, ajoute l'UFML. C'est "la condition expresse que la nécessaire sélection au regard d’études nécessitant une approche au lit du malade et un compagnonnage, soit organisée et réfléchie avec l’ensemble des acteurs".   - Un "grave retour en arrière" et une réforme "médico-centrée" taclent les infirmiers La Fédération nationale des infirmiers (FNI) dit "non" à une super tutelle des médecins, qui s'instaurerait par le bais des assistants médicaux, ce nouveau métier créé par la réforme, ouvert aux infirmiers (mais pas seulement, a bien précisé l'Elysée). "Dans le prolongement du dispositif ASALEE, ce serait une mesure supplémentaire pour replacer les infirmiers sous la tutelle des médecins libéraux", estime la FNI. Le syndicat réaffirme son opposition à toute mesure visant à "conduire une régression du rôle des infirmiers et à remettre en cause leur indépendance et leur champ d'activité". Les infirmières considèrent que leur rôle essentiel au cœur des territoires et grâce à leur mode d'exercice au domicile des patients est la "pierre angulaire de l'organisation territoriale des soins". Or, leurs négociations conventionnelles sont "au point mort, témoignant d'un réel mépris pour la profession" font-elles valoir. "Les IDEL, acteurs essentiels du virage ambulatoire, n’acceptent pas d’être la cinquième roue du carrosse de la réforme. Autant de revendications oubliées et chaque jour qui passe rapprochent le Chef de l’Etat de l’ouverture d’un grave conflit avec la profession", prévient la FNI. L'Ordre des infirmiers est d'un avis plus nuancé, accordant quelques vertus à la réforme, telles, "l'augmentation de l’ONDAM, l’élan en faveur de la télémédecine et de l’innovation, la prise en compte de la souffrance des soignants à l’hôpital". Mais aux côtés des syndicalistes, l'Ordre infirmier regrette aussi "des annonces très médico-centrées, et notamment la création des assistants médicaux. Totalement inattendue, la création de ce nouveau métier semble parfaitement contradictoire avec une vision collective, coordonnée et graduée de la prise en charge des patients. C’est même un grave retour en arrière vers une médecine d'un temps révolu. La réforme de la santé ne peut se résumer à celle de la médecine", tâcle l'ONI.   

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La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

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