Lésions cardiaques : l’espoir de traitements basés sur l’ARN messager

28/03/2022 Par A.V.
Cardio-vasculaire HTA
Réparer le cœur en utilisant la technologie de l’ARNm… c’est ce que des chercheurs de lUniversité de Pennsylvanie ont montré dans une étude publiée dans Science chez des souris de laboratoire atteintes de fibrose. Ils ont reprogrammé, in vivo, des CAR-T cells dirigées contre les fibroblastes cardiaques. Les explication de Jean-Sébastien Silvestre, coresponsable de l’équipe « Thérapies régénératives pour les maladies cardiaques et vasculaires », à Paris Centre de Recherche Cardiovasculaire – Inserm UMRS 970.

  Egora.fr : En quoi consiste cette étude ?

Jean-Sébastien Silvestre* : Ce travail s'inscrit dans une approche assez novatrice, initiée depuis 5-6 ans, du traitement par immunothérapies des pathologies cardiovasculaires. Il complète une étude précédemment publiée dans Science (Rurik JG. Et al., 6 janvier 2022) sur l'utilisation de CAR-T cells, lymphocytes T CD8 à l’activité cytotoxique. L’approche thérapeutique consiste à programmer les lymphocytes T CD8 afin qu’ils ciblent les fibroblastes activés pour les détruire. Leur innovation est la construction de récepteurs antigènes chimériques avec une partie intracellulaire qui n’est pas changée et une partie extracellulaire modifiée pour reconnaître un antigène spécifique. L’antigène ciblé est la protéine FAP (Fibroblast activation protein-α) exprimée par les fibroblastes activés. Dans le contexte de pathologies cardiaques, les fibroblastes sont principalement responsables de l’accumulation excessive de protéines de la matrice extracellulaire. C’est intéressant car cette stratégie utilise ces CAR-T cells pour réduire l’activité fibrotique et donc diminuer la fibrose cardiaque.   Dans leur modèle pathologique expérimental, les chercheurs ont traité leurs souris avec de l'angiotensine II et de la phéniléphrine, ce qui induit une fibrose cardiaque très massive. Leur innovation n'est pas vraiment conceptuelle mais méthodologique au niveau de la fabrication des CAR T cells. Leur approche précédente était classique. Ils extrayaient et transfectaient des cellules T CD8 ex vivo avec un adénovirus dans lequel la construction CAR était insérée. Les CAR-T cells modifiées étaient ensuite réinjectées dans l’animal. Dans la dernière étude, ils ont utilisé une stratégie in vivo à l’aide de nanoparticules lipidiques comportant deux innovations intéressantes. La première est qu'ils ont mis à l'intérieur l’ARNm codant pour le CAR. La deuxième est qu’ils ont décoré ces particules lipidiques avec un anticorps dirigé contre la protéine CD5. Leurs particules lipidiques injectées se focalisent sur les lymphocytes T CD8. C’est donc un moyen in vivo de faire exprimer par les lymphocytes T CD8, la protéine CAR pour aller détruire ensuite les fibroblastes cardiaques. Avec cette stratégie particule lipidique et ARNm codant pour la protéine CAR, ils induisent une diminution de la fibrose cardiaque chez les souris dans ce modèle expérimental.   Quels en sont l’efficacité et les effets secondaires ? Les résultats montrent une très nette réduction de la fibrose cardiaque et en conséquence, une amélioration de la fonction cardiaque évaluée par échocardiographie. La fraction d'éjection ventriculaire gauche est améliorée. Mais la stratégie n'est pas complètement efficace. Premièrement, la fibrose dans le tissu cardiaque n’est pas totalement réduite car celle périvasculaire persiste. Deuxièmement, les résultats sont débattus dans la littérature concernant les effets secondaires de l’administration de CAR-T cells. Certains auteurs trouvent des effets toxiques surtout dans les os et sur les muscles périphériques. Des souris présentent en particulier des cachexies. Des interactions interviennent probablement avec les cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse. Globalement, la plupart des CAR-T cells observées sont principalement dans la rate. Un élément important est le fait de ne pas utiliser des approches adénovirales pour exprimer le récepteur CAR dont l’expression est plus soutenue dans le temps. L’expression par ARNm limite la durée de vie des CAR-T cells et donc probablement aussi les effets secondaires.   Dans l’éventualité d’une approche clinique chez des patients, à quelle phase de la fibrose cardiaque, ces traitements pourraient-ils être utilisés ? L'apparition des CAR T cells doit être très adaptée au développement de la fibrose. Lors d’un infarctus du myocarde par exemple, la fibrose cardiaque va se développer et favoriser la transition vers une insuffisance cardiaque. Au départ, la fibrose joue un rôle physiologique protecteur pour remplacer les cardiomyocytes morts et créer une cicatrice. Une approche antifibrotique doit donc arriver au bon moment. Ensuite, les CAR-T cells doivent apparaître en parallèle de l'activation des fibroblastes cardiaques car elles reconnaîssent une protéine exprimée lorsqu’ils sont activés. Si les CAR-T cells arrivent après l’activation des fibroblastes une fois qu’ils ont déposé la matrice extracellulaire, cette approche thérapeutique serait-elle efficace ? Enfin, cela dépend également probablement du type de pathologie cardiaque. En particulier, nous pouvons supposer que d’autres antigènes seraient plus adaptés en fonction de l’étiologie de l’atteinte cardiaque. Ces points restent donc à analyser.   D'après vous, cette technologie est-elle prometteuse ? C’est très intéressant du point de vue conceptuel et technologique. Dans cette étude, il existe plusieurs niveaux d'innovation. Le premier est l'effet transitoire. En général, les approches thérapeutiques basées sur les CAR-T cells entraînent des effets secondaires probablement liés à leur capacité à persister dans l’organisme et activer des réactions inflammatoires systémiques. Avec l’ARNm, les CAR-T cells semblent moins persister entraînant des effets secondaires plus réduits. Le deuxième est que la création de CAR-T cells in vivo est moins compliquée et donc moins chère qu’ex vivo. Le troisième est la combinaison de l'utilisation d'un ARNm inséré dans une particule lipidique. C'est intéressant car vous pouvez travailler sur des approches complémentaires ciblant plus spécifiquement la cellule que vous voulez détruire. Dans cette publication, les auteurs ont décoré la particule d'un anticorps anti-CD5, le CD5 étant exprimé par les lymphocytes T notamment. Cela peut aussi diminuer les effets secondaires potentiels. Quatrièmement, le fait de ne pas utiliser de virus évite les problèmes éventuels d'intégration et d’altération dans le génome de l’hôte. Et enfin, la production in vivo de CAR-T cells évite sans doute les chimiothérapies utilisées pour faciliter la greffe cellulaire diminuant ainsi la toxicité associée aux thérapies CAR-T cells classiques.   Quelles sont les voies de recherche utilisant l’ARNm ? L’innovation combinant l’ARNm avec des particules lipidiques est prometteuse car elle permet d’éliminer ou de diminuer les problèmes potentiels liés aux approches de thérapie génique, virale ou non virale. Avec l’ARNm, nous pouvons activer les voies dont l’effet est protecteur ou inhiber celles dont l’effet est délétère en surexprimant une protéine ou à l’inverse en inhibant son expression. L'utilisation de l’ARNm comporte trois intérêts. Le premier est le gain de fonctions en cas de gène altéré. Le deuxième est la perte de fonction. Par exemple, l’utilisation d’un ARN interférent comme un petit ARN de type siRNA va bloquer l'expression d'un gène délétère. Le troisième est la correction de gènes dont l'expression est altérée en remettant, dans le système, un ARNm codant pour la protéine n’étant plus exprimée à ce moment-là. Un autre point intéressant est l’approche des « modRNA » (ARN modifiés), pour lesquels les bases nucléotidiques et la structure peuvent être modifiées comme par exemple le capping (extrémités 5’ et 3’) pour jouer sur l’immunogénicité et la stabilité de ces ARNm.   Quelles pathologies cardiaques pourraient être traitées ? À quel horizon ? La stratégie ARNm a été testée dans plusieurs modèles expérimentaux de pathologies cardiaques chez l’animal comme la fibrose cardiaque, l'infarctus du myocarde, l'insuffisance cardiaque, l’ischémie reperfusion. Cette approche thérapeutique peut être très facilement utilisée pour potentiellement toutes les pathologies cardiaques. Avec une cible d’intérêt à activer ou à inhiber, l’utilisation de l’ARNm permet d’affiner l’option thérapeutique. Actuellement encore en préclinique dans le domaine cardiovasculaire, l’efficacité thérapeutique de ces approches doit encore être améliorée. Mais j'imagine que, dans les cinq à dix ans, elles vont probablement être testées lors d’essais cliniques dans plusieurs pathologies cardiaques.   Pouvez-vous nous présenter brièvement vos travaux sur ce thème ? Nous avions démontré, chez l’animal, que les lymphocytes B avaient un effet délétère et que si nous en réduisions leur nombre, la fonction cardiaque était améliorée (Nature médecine, 2013). Dans notre dernière publication (Journal of American College of Cardiology, 2022), nous montrons que ces lymphocytes B délétères sont probablement ceux venant de la rate. Actuellement, nous mettons en place un projet de recherche européen collaboratif dont l’objet consiste à transfecter des nanoparticules lipidiques avec des ARNm qui vont cibler des voies délétères dans les lymphocytes B de la rate.   *Jean-Sébastien Silvestre déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.

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