La Ligue contre le cancer : les nouveaux combats d’une centenaire

09/03/2018 Par Chantal Guéniot
Cancérologie

Si la mortalité par cancer a diminué depuis les années 1980, cette pathologie reste la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez les femmes. Les défis sont donc majeurs, en particulier dans les domaines de la prévention, ou de la lutte contre les inégalités, comme le rappelle La Ligue contre le cancer, à l’occasion des célébrations de son 100ème anniversaire. Sa présidente, le Pr Jacqueline Godet, présente les orientations actuelles de cette association.

  Egora : Quels sont les grands défis à relever pour la Ligue nationale contre le cancer ? Pr Jacqueline Godet :Dès sa fondation, la Ligue s’est donné comme objectif de soutenir la recherche, y compris la recherche fondamentale. Elle continuera dans ce sens, car si l’on guérit aujourd’hui 60 % des cancers, c’est grâce à la recherche. Mais il reste encore beaucoup de progrès à faire. Un grand pas reste à franchir, également, pour que les avancées accomplies, grâce notamment aux thérapies ciblées et aux immunothérapies, puissent bénéficier à tous les Français. Cela concerne l’augmentation du coût des traitements innovants, mais aussi les pénuries de médicaments, qui provoquent actuellement de grandes inégalités d’accès aux traitements y compris pour les médicaments non innovants. Ce nouveau problème inquiète beaucoup la Ligue qui, en tant que représentante des malades et de la société civile, a un rôle d’information et d’alerte auprès des décideurs. Enfin, la Ligue souhaite que la prévention du cancer devienne une priorité. Certes, grâce aux progrès de la recherche et de la médecine, de plus en plus de cancers sont guéris. Mais le fait –démontré par plusieurs études – que 40 % des cancers seraient évitables, souligne la nécessité de mettre en œuvre, à l’échelle nationale, une politique de prévention des cancers pragmatique et efficace. Déjà très engagée en ce domaine, la Ligue veut renforcer son action pour inciter les citoyens à adopter un certain nombre de mesures et de comportements. C’est la raison pour laquelle elle a décidé d’organiser les 1er États Généraux de la Prévention des Cancers réunissant, au sein d’ateliers thématiques, des représentants des Institutions publiques et privées (lnstitut national du cancer, Santé publique France, Conseil économique, social et environnemental, Académie de médecine, etc…), des chercheurs en Santé publique et des représentants de la société civile, afin de définir des mesures concrètes et des recommandations pour les prochaines années. Ces différents intervenants sont actuellement à l’ouvrage et présenteront leurs propositions aux instances gouvernementales le 21 novembre 2018. Ainsi, 20 ans après les États Généraux des malades organisés par la Ligue en 1998 et dont l’impact considérable avait conduit à l’organisation du premier Plan cancer et à la création de l’INCa, l’objectif n’est plus un plan cancer, mais bien un plan de prévention des cancers.   L’accompagnement des malades est une des 3 missions historiques de la Ligue, avec le soutien à la recherche et le dépistage et la prévention. Comment cet accompagnement va-t-il évoluer ? Nous devons accompagner l’évolution des traitements, axée sur l’ambulatoire et le retour précoce à domicile. La Ligue a été pionnière pour faire bénéficier les malades de soins de support et de bien-être. Tous ses Comités Départementaux proposent , pendant et après les traitements, des activités physiques adaptées, des soins esthétiques et un soutien psychologique. Ces activités ont lieu le plus souvent dans les locaux des établissements de soins ou dans ceux des Comités. Il faut que ces activités soient davantage proposées au domicile des malades. Mais les responsabilités des animateurs ne sont pas les mêmes en établissement et au domicile, et les interactions avec les acteurs de santé de ville (pharmaciens, généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes…) sont très différentes de celles que l’on peut avoir avec les oncologues. La Ligue dispose d’une École de formation agréée pour ses bénévoles. Elle est en train de modifier ses modules de formation pour s’adapter à ce virage ambulatoire.   La ligue pilote deux mesures du Plan cancer 2014-1019 : l’association des patients aux essais cliniques et le patient-ressource. Où en sont ces expérimentations ? La mesure sur le patient ressource a été entièrement confiée à la Ligue, qui mène une expérimentation dans trois régions de France. D’anciens patients y sont formés pour accompagner les nouveaux malades tout au long de leur parcours (« patient ressource parcours ») et pour rendre compte de leur expérience de patients auprès des professionnels de santé (« patient ressource témoin »). Cette expérimentation est en bonne voie. De nombreux établissements de soins, publics et privés, ont accepté d’y participer et 150 patients ont déjà été formés. Une évaluation est prévue mi-2019 pour voir s’il est envisageable de généraliser cette mesure. Les relations entre professionnels de santé et malades en seraient profondément modifiées. Par ailleurs, dans le cadre du Plan cancer 3, la Ligue a été chargée de relire tous les protocoles d’essais thérapeutiques en cancérologie. Un comité de 50 patients relecteurs, spécialement formés, vérifie que le protocole proposé est compréhensible pour tous. Ce travail entraîne très souvent des ajustements dans la rédaction du protocole.   Cette relecture concerne donc uniquement la formulation, pas le contenu ?
Les relecteurs peuvent formuler des interrogations sur le contenu, qui sont utiles car elles aboutissent parfois à des reformulations.     Comment choisissez-vous les études que vous financez ? La Ligue contribue à financer des essais cliniques qui intéressent peu ou pas l’industrie pharmaceutique. Elle soutient par exemple des études sur les sarcomes ou des essais de désescalade thérapeutique. Elle a été la première à financer les essais thérapeutiques chez les personnes âgées et elle soutient beaucoup les essais thérapeutiques chez les enfants.    Comment sont sélectionnés les chercheurs qui vont bénéficier d’un financement ? Chaque année, la Ligue lance des appels à projet. Des comités d’expertise composés de chercheurs académiques les évaluent et font des propositions à un Conseil Scientifique national. Celui-ci les examine à son tour et propose au Conseil d’administration d’en financer une sélection. La Ligue lance chaque année un appel à projets pour soutenir des équipes d’excellence sur une période de 5 ans, éventuellement prorogeable 3 ans. Les équipes portant ces projets pluriannuels doivent fournir chaque année un rapport scientifique et financier permettant de mesurer l’avancement du projet, sinon le financement est suspendu.   Comment les adhésions à la Ligue évoluent-elles ? Le nombre de bénévoles se maintient depuis de nombreuses années entre 13 000 et 13 600. Comme durant chaque année électorale, le nombre d’adhérents a, quant à lui, légèrement baissé en 2017 : presque 5% d’adhérents (sur plus de 640 000) ont été perdus. L’incertitude sur les évolutions fiscales a également provoqué, sinon une inquiétude, du moins un peu de retenue de la part des donateurs, mais si le nombre de dons a légèrement diminué, leur volume est resté stable. La Ligue ne vit que de la générosité du public. Nous souhaitons que cette année du Centenaire soit l’occasion de renforcer sa lisibilité et d’encourager la population à la soutenir. C’est un enjeu majeur. Alors qu’il s’était stabilisé pendant plusieurs années autour de 350 000 cas par an, les derniers chiffres montrent que le nombre de nouveaux cas de cancer a grimpé à presque 400 000 en 2017 en France. Une estimation récente indique que l’incidence du cancer augmentera de 15 % par an en Ile de France dans les années qui viennent. Chacun de nous est donc concerné par le cancer, que ce soit directement ou par ses proches.      

Le cancer, un mal social

Les Etats généraux du cancer organisés par la Ligue en 1998 ont représenté un moment historique dans la prise en charge du cancer en France. Pour la première fois la parole était donnée aux malades qui ont dénoncé l’hétérogénéité des pratiques et les conditions parfois scandaleuses dans lesquelles étaient annoncées le diagnostic. "Cela a été un mouvement irrésistible, une véritable révolution culturelle, témoigne le Pr Henri Pujol, qui a présidé la Ligue de 1998 à 2007, et président d’honneur de la Ligue. Le patient est passé du statut d’objet de soins à celui de sujet, voire de partenaire de soins. La mesure 40 du Plan cancer 2003-2007, qui est la consultation d’annonce, a été créé par la Ligue et avec les malades de la Ligue".

Pour le Pr Francis Larra, président de la Ligue de 2007 à 2010, et président d’honneur, un deuxième tournant a eu lieu en 2008, avec la première Convention de la société face au cancer. "Elle a montré à quel point le cancer n’est pas seulement un très grave problème de santé publique, mais aussi un mal social. Les inégalités socio-économiques pèsent à toutes les étapes- prévention, participation au dépistage, traitement- et il existe des problèmes importants de reste à charge, d’assurabilité et d’accès au crédit".  

La lutte contre les inégalités de traitement a été gagnée en grande partie grâce aux procédures d’autorisation des établissements de santé, définie par les Plans cancer, estime le Pr Pujol. "Mais il n’est pas sûr que tous les établissements répondent de façon optimale à tous les critères d’autorisation. Le déclaratif ne suffit pas. Il faudrait contrôler davantage".   

La question sociale reste plus que jamais d’actualité, "car on observe un accroissement des demandes d’aide financière des patients auprès des comités départementaux, remarque le Pr Larra. Cela montre bien qu’il y a une diminution du niveau socio-économique des malades. Un problème qui nous préoccupe beaucoup est le prix exorbitant de certains médicaments. Le cancer ne peut pas relever de la marchandisation.  La Ligue a fait trois propositions. La première est d’avoir une transparence sur le prix de revient réel des médicaments innovants. Le comité économique des produits de santé (GEPS), qui fixe le prix des médicaments, ne dispose pas aujourd’hui de cette information. La deuxième est que les associations de malades participent aux négociations sur les prix de vente de ces médicaments au sein du GEPS et la troisième est d’être très attentif aux conflits d’intérêt. Nous avons lancé cette alerte auprès du Ministère. Mais cette épreuve de force ne peut être portée par un seul pays. Il faut agir au niveau européen".

                                     

La Ligue en chiffres

Principal organisme non gouvernemental finançant la recherche en cancérologie, la Ligue nationale contre le cancer est une fédération de 103 Comités départementaux. "Ce maillage territorial est très important parce que cela permet d’avoir une action au plus proche des malades et de la population, et de faire remonter les informations", observe le Pr Francis Larra.

Le bureau et le président de la Ligue sont élus par les 30 membres du Conseil d’administration, eux-mêmes élus par l’Assemblée générale, composée essentiellement des représentants des Conseils départementaux.

En 2016, le budget de la Ligue s’élevait à 105 millions d’euros, quasi exclusivement issus des dons et cotisations. Sur ces 105 millions, 68,6 millions sont dévolus aux missions de la Ligue, dont 38,9 millions d’euros pour la recherche, 20,2 millions pour les actions auprès des personnes malades et 6,5 millions pour la prévention et la promotion des dépistages. Plus de 121 000 familles fragilisées ont reçu une aide financière en 2016.

Les anciens malades et les proches de malades sont nombreux parmi les 13 000 bénévoles de la ligue. Mais quelle est leur place au sein des instances de l’association ? Chacun des conseils d’administration des 103 Comités départementaux doit comprendre au moins un représentant des malades pour 12 administrateurs. "Mais la place des personnes touchées par la maladie au sein des conseils d’administration est certainement plus importante étant donné la prévalence du cancer, remarque le Pr Pujol. Il faudrait peut-être la régénérer à l’occasion de ce centenaire et nous devons donner de plus en plus de place aux patients experts. Personne n’exprime mieux les besoins de prise en charge que celui qui reçoit les soins".
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