Télémédecine en rhumatologie : faire face au manque de praticiens

27/06/2022 Par Roxane Goulam
Rhumatologie
Des rhumatologues plaident pour l’utilisation de la télémédecine pour éviter la sélection des patients. Mais pour certains, elle nuirait à la communication avec les malades et donc à leur bonne prise en charge. Le récent Congrès de l’European League Against Rheumatism (Eular, Copenhague 1er- 4 juin), a été l’occasion d’échanges à ce sujet.

  En 2015, L’American College of Rheumatology a établi une projection du nombre de demandes et d’offres en rhumatologie. Le Dr Christian Dejaco, rhumatologue et professeur associé (faculté de médecine de Graz, Autriche), commente ces projections futures : « On voit clairement au fil du temps un écart qui se creuse entre la demande des patients pour des consultations en rhumatologie et l’offre de soins disponible pour répondre à ces demandes. Il y a notamment une accentuation de ce fossé estimée entre 2025 et 2030 ». Selon le rhumatologue, nous sommes déjà dans une situation où nous avons besoin de réagir. « Nous n’avons pas assez de médecins, d’infirmiers ni même de personnel administratif pour faire face à une telle demande, et ce dans plusieurs pays d’Europe. Cependant, dans le même temps, nous souhaitons tous conserver la qualité de nos services de soins… il nous faut donc trouver une solution sans trop tarder », ajoute-t-il. Ces difficultés à voir les patients peuvent entraîner des conséquences non négligeables. A titre d’exemple, les patients atteints d’arthrose devraient, selon les recommandations de l’Eular mises à jour en 2016, être vus par un rhumatologue dans les 6 premières semaines après l’apparition des premiers symptômes. Le fait de ne pouvoir recevoir les patients en consultation qu’après un délai de plusieurs mois ne permet pas de respecter ces recommandations ; la prise en charge n’est alors pas précoce ni optimale. De plus, à la difficulté de poser le diagnostic à temps vient s’ajouter... la difficulté de suivre correctement les patients tout au long de leur maladie. Le Dr Dejaco illustre : « Si l’on prend l’exemple des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, nous constatons, là encore, une discordance entre les recommandations internationales de 2014, qui préconisent de mesurer l’activité de la maladie tous les 1 à 6 mois, et ce qui se pratique dans la vie courante. En effet, à peine un tiers des patients, parmi ceux qui ne sont pas en rémission, sont revus par leur rhumatologue dans les 3 mois qui suivent la consultation ». Cette situation constitue donc, d’après le spécialiste, un véritable enjeu pour l’avenir de la rhumatologie et par extension pour l’avenir de la médecine en général, car elle mène parfois à une logique de sélection des patients : l’on décide que certains seront vus par un rhumatologue et que d’autres, faute de disponibilité et de personnel, seront pris en charge ailleurs. Un moyen d’améliorer le suivi des patients Pour parer à cela, la télémédecine semble être l’une des options les plus appropriées, selon le Dr Dejaco. « La télémédecine pourrait aider à prioriser les patients qui ont un besoin de consultation en urgence, sans pour autant laisser de côté les autres. On mettrait ainsi fin au triage des patients, au profit d’un système de priorisation qui permettrait de réduire considérablement le temps d’attente pour ceux qui ont besoin de consulter plus urgemment. » explique-t-il. Le médecin appuie son idée sur le fait qu’une consultation en face à face demande effectivement davantage de ressources. La télémédecine, en revanche, serait à même de régler le problème de cette contrainte, et par la même de mieux suivre les patients tout au long de leur pathologie. « Des études ont montré qu’avec la télémédecine, les patients bénéficiaient d’un suivi tout aussi régulier et que le contrôle de l’activité de la maladie était le même qu’avec un suivi conventionnel, mais avec l’avantage de sauvegarder les ressources. En effet, le fait qu’il y ait moins de visites permet de préserver les ressources pour le système et donc aussi pour les patients. L’impact est aussi positif pour la société puisque les patients n’ont plus à se déplacer et à s’absenter, par exemple, de leur lieu de travail », indique le rhumatologue. Enfin, un ultime argument en faveur de la télémédecine serait qu’elle permettrait d’avoir un meilleur aperçu de l’historique du patient, si l’outil informatique était utilisé de façon optimale et alimenté de comptes-rendus concernant l’évolution de l’état du patient. Pour conclure son argumentaire, Christian Dejaco fait remarquer que... : « Le médecin verrait ainsi un peu mieux ce qu’il se passe entre 2 consultations, avec un suivi régulier à disposition. En présentiel, en revanche, il faut se fier à la mémoire du patient uniquement et l’on risque d’avoir un aperçu bien moins exhaustif de ce qui se sera passé entre deux consultations à plusieurs mois de distance. » Des limites La vision du Dr Robert B. M. Landewé, rhumatologue à Amsterdam, est tout autre sur le sujet. Ce dernier met en avant le fait que les patients sont souvent anxieux et que le rôle du médecin est de soigner mais aussi de prendre soin de ses patients. « La satisfaction du patient passe par la construction d’une relation de longue durée avec le médecin, on peut espérer avoir un patient moins anxieux et davantage satisfait après plusieurs années de relation, parfois après 30 ans ! », expose le Dr Landewé. « Nous avons tendance à penser, dans l’esprit collectif, que pour contenter un patient, il faut surtout lui prescrire le bon traitement, le plus efficace pour traiter sa maladie. En réalité, ce postulat n’est pas entièrement faux mais, tel qu’il est exposé, il est trop linéaire. La réalité est plus complexe, nuancée et ponctuée par un grand nombre d’autres facteurs influençant la satisfaction du patient : la relation avec le médecin en fait partie ». Selon le rhumatologue, la clé est donc de ne pas sous-estimer l’importance du versant psychologique et social dans la prise en charge d’un patient. Un parallèle peut être fait, pour illustrer ces propos, avec la notion... d’effets placebo et nocebo : « Si l’on prend l’exemple de la réduction de la douleur chez un patient sous antalgique, le résultat ne sera pas le même s’il prend son traitement en aveugle ou en ouvert. Cela est tout simplement dû au fait qu’il y a une part psychologique et des facteurs extérieurs qui s’ajoutent à l’effet pharmacologique pour donner une efficacité globale de la prise en charge. Une bonne communication avec le patient est essentielle, et, de la même manière, si vous avez un patient qui se plaint auprès d’autres patients de l’inefficacité d’un traitement, l’effet nocebo de cette mauvaise communication s’avèrera contagieux ! », indique le médecin néerlandais. En somme, pour ce dernier, le patient attend d’être écouté, suivi dans le temps et avec régularité, il attend de son médecin qu’il passe du temps avec lui, qu’il respecte sa dignité et qu’il communique. La télémédecine serait un frein à tout ceci selon lui, et donc entraînerait un échec dans l’objectif de rendre le patient « heureux » et d’en prendre soin.

Faut-il octroyer plus d'autonomie aux infirmières ?

Angélique  Zecchi-Cabanes

Angélique Zecchi-Cabanes

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