Egora : Les Universités d'été de la CSMF ont pour thématique cette année "Nationaliser la médecine libérale ? Non merci !" Serait-ce une mise en garde adressée à la Cnam, à quelques semaines du lancement des négociations conventionnelles ?
Dr Franck Devulder : C'est une mise en garde envers tout le monde. Envers ce groupe de députés et sénateurs qui s'intitulent "Les transpartisans" qui imaginent que c'est par la suppression de la liberté d'installation et par la coercition que les problèmes seront résolus. Envers ceux qui pensent que la solution, c'est le salariat des médecins. Et envers ceux qui tentent de financiariser la médecine française, en créant des centres de soins de non programmés, ou en investissant dans la télémédecine, comme le groupe Crédit agricole qui explique dans Les Echos qu'ils ont pour objectif d'accompagner le passage de la médecine de ville « d'un modèle libéral à un modèle salarié » et attirer des « médecins des cliniques ». Nous avons alerté dans un communiqué du 19 septembre. Et nous avons interpellé à ce sujet la Cnam, le ministère et la députée Stéphanie Rist, rapporteuse générale de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée. Nationalisation d'un côté, financiarisation de l'autre… avec le même résultat. Quels sont les enjeux principaux de ces négociations pour la CSMF ? Donner à la médecine libérale les moyens qui vont lui permettre de répondre mieux aux besoins de soins des Français, dans une politique de confiance, de liberté et de responsabilité que j'ai qualifiée de "droits et devoirs". Valorisons l'expertise médicale, pour libérer du temps aux médecins. A la CSMF, nous défendons la hiérarchisation des consultations à quatre niveaux, pour toutes les spécialités. Lorsque je suis médecin généraliste ou spécialiste et que je reçois un patient pour la première fois, ma consultation, qui sera plus longue, sera valorisée à hauteur de 60 euros : ça va pousser les médecins à voir plus de patients différents. Ce même niveau de tarification doit s'appliquer pour le suivi du patient chronique : mais si ce dernier est stabilisé, je vais le voir moins souvent, peut-être deux fois par an, tandis que d'autres professionnels de santé -notamment les IPA- prendront le relais dans l'intervalle. Il faut également donner les moyens de mieux s'organiser, de se coordonner : mettre en place les équipes de soins primaires, les équipes de soins spécialisées, des maisons de santé (et non des centres de santé)…
Ce sont les deux piliers. Mais il y beaucoup d'autres mesures. Il faut revaloriser le forfait patientèle médecin traitant. Pour développer les soins non programmés (SNP) et les SAS*, on l'a vu cet été, la majoration de l'acte régulé à 15 euros pour le généraliste, ça marche. Il faut également inciter les autres spécialistes à voir des patients en SNP : la majoration coordination urgence (MCU), aujourd'hui limitée aux actes cliniques effectués sur des patients vus dans les 48 heures après adressage du médecin traitant, doit être élargie. Elle doit passer à 5 jours, toujours sur adressage pour éviter tout effet d'aubaine, mais cela peut venir du médecin traitant, d'un régulateur, d'un urgentiste… Nous demandons depuis longtemps à pouvoir associer lors d'une même consultation un acte clinique et un acte technique ou plusieurs actes techniques sans réduction du tarif. De toute façon, le patient aura son échographie et son infiltration du genou… mais ça éviterait d'occuper deux plages horaires et de générer deux déplacements, dans le contexte actuel. Tout cela libérerait du temps médecin.
Cela passe donc par la rémunération… La Rosp doit être accessible à toutes les spécialités, mais elle doit être simplifiée. Il faut moins d'indicateurs : pas plus de 10 pour la médecine générale, et pas plus de 5 pour les autres spécialités. La Rosp des généralistes c'est 29 indicateurs : est-on vraiment capable de suivre autant d'indicateurs de qualité de sa pratique, à moins d'y passer tout son temps ? Il faut que la Rosp soit suffisamment incitative : l'objectif cible, c'est 5000 euros par an et par médecin. Alors que la Rosp des pédiatres est à moins de 500 euros par an, celles des gastro-entérologues -ma spécialité – aux alentours de 1300 euros, soit dans les 3 euros par jour… Nous avons le souci que la France paie ses médecins comme elle le devrait. Aujourd'hui ce n'est pas le cas...
Il n'y a pas que l'argent dans la vie, mais cela joue sur l'attractivité de nos métiers. C'est un choix national. Aujourd'hui, la France est classée 6 ou 7e. Donnons-nous les moyens d'avoir le système de santé que l'on souhaite. Je sais bien que l'on est passé du "quoi qu'il en coûte" à "combien ça coûte", mais faisons aussi le pari de "combien ça rapporte" ! La création de consultations de prévention aux "trois âges clés de la vie" (25 ans, 45 ans, 65 ans) est-elle une bonne chose ? Nous saluons haut et fort cette annonce du ministre. Lors d'une audition devant l'Igas il y a un an et demi, d'ailleurs, j'avais proposé trois consultations : une pour l'adolescent (vaccination Gardasil, addictions…), une pour le jeune adulte car il n'y a plus rien depuis la suppression de l'étape médicale avant le service militaire, et une consultation "de la maturité" pour la personne âgée de 45-50 ans. La gratuité est une très bonne mesure. Mais si l'on souhaite une consultation de prévention de qualité, c'est une consultation longue, de 35-45 minutes, donc une consultation d'expertise. Car on n'embrasse pas la vie d'un homme ou d'une femme en un quart d'heure. Le volet santé du Conseil national de la refondation sera lancé le 3 octobre prochain. Comment s'annonce cette concertation pour les médecins libéraux ? Le Gouvernement semble vouloir éviter la régulation à l'installation mais évoque néanmoins des "exigences", des "contreparties"… A peine élu président de la CSMF, j'ai annoncé que nous allions nous engager dans une politique de "droits et devoirs", ce qui n'est pas forcément naturel pour un leader syndical. Les politiques ont repris ces mots en parlant de "liberté et de responsabilité". Parlons-en ! On ne réorganisera pas la médecine de ville avec une consultation à 25 euros. Il faut nous en donner les moyens. Je ne suis pas en train de dire la CSMF demande une consultation à 50, 60, 80 euros secs. Mais nous demandons une tarification différente pour un nouveau patient, pour le suivi… Si on ne met pas sur la table une politique suffisamment énergique pour répondre aux besoins de soins de la population française, on ne va pas y arriver. Quant à la coercition, ça ne marchera pas. La Cnam, le ministre de la Santé et la rapporteuse de la commission des Affaires sociales en sont conscients. On n'applique pas une coercition à une profession, quelle qu'elle soit, qui est en démographie déficitaire. Si demain on manque de boulangers partout en France et qu'on vous pique celui qui est au pied de votre immeuble pour le mettre dans le quartier où il n'y en a pas, c'est vous qui n'en aurez plus. On manque de médecins à tous niveaux, dans toutes les disciplines: 25% des PU-PH de gastro-entérologie vont faire valoir leurs droits à la retraite dans les cinq ans à venir, par exemple ! Ils n'ont pas les bras pour les remplacer dans les CHU. Et les hôpitaux généraux sont peuplés de médecins à diplôme étranger, dont il faut d'ailleurs saluer le dévouement pour soigner nos concitoyens. Je pense non seulement que ça ne marchera pas mais que c'est dangereux. A moins d'employer les forces de l'ordre, si l'on vous contraint à aller dans un territoire loin de vos bases, de votre famille, que faites-vous si vous avez une offre ailleurs? Vous allez céder aux sirènes d'une plateforme de téléconsultation, d'un centre de soins non programmés, d'un hôpital et on va aboutir à une baisse du nombre de nos médecins traitants alors que l'objectif est à l'inverse de renforcer l'offre de soins de proximité.
La régulation à l'installation figure tout de même dans le programme d'Emmanuel Macron… Il y a le risque de voir passer une mesure comme celle-là dans une loi, oui. Mais je pense que le risque que porteraient les politiques à appliquer une telle mesure serait encore plus grand. Si on n'est pas tous ensemble, on n'arrivera pas à régler le problème. Quand je parle de "droits et de devoirs", je considère que les devoirs sont collectifs : ce sont les devoirs des médecins libéraux, des médecins salariés, de l'hôpital public, de l'Etat, des collectivités locales, des autres professions de santé, mais aussi des usagers. Les solutions existent. Il ne s'agit pas de faire peser les devoirs sur une partie de la population seulement, les médecins libéraux. Comme s'ils n'en faisaient pas assez... *Service d'accès aux soins
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