Gare au poids croissant du pouvoir politique et des minorités sur la justice ordinale

11/12/2018 Par Dr Richard Hanlet
On sait que beaucoup de médecins ne débordent pas d'affection pour l'institution ordinale. Mais on peut penser que mise en cause sur un sujet déontologique, la majorité préfère être jugée par des confrères plutôt que par des fonctionnaires. Mais est-ce bien la réalité ?

Depuis 2007 en effet, en application de la loi Kouchner de 2002, la chambre disciplinaire de première instance (régionale) est, de droit, présidée par un magistrat professionnel de l’ordre administratif, désigné par le vice-président du Conseil d'État. La justification de sa présence, ou peut-être le prétexte, était de faire seconder les médecins -insuffisamment formés au droit-, par un expert censé éviter les erreurs de procédure. Or, loin d'être un simple sachant juridique, ce nouveau venu a en pratique trois grands pouvoirs, généralement ignorés des médecins. D'abord, et ce n'est pas rien, c'est lui qui reçoit les plaintes et juge de leur recevabilibité : il peut de sa seule initiative les rejeter par ordonnance. S'il estime qu'elle doit être jugée, l'affaire se plaidera alors sous sa présidence, entourée d’assesseurs élus (conseillers ordinaux ou anciens conseillers ordinaux.) Quand les parties se sont retirées, la chambre délibère sur la culpabilité, et le cas échéant, sur la peine à prononcer. Deuxième privilège, en cas de partage des voix, celle du président compte double. Enfin il rédige seul les attendus du jugement. Point plus important qu'il n'y paraît, parce que si son avis est minoritaire (en cas de relaxe par exemple), il peut dans ses considérants mettre en exergue ceux favorables à sa propre opinion, et minorer ceux majoritaires des médecins assesseurs. C'est ainsi qu'un jugement de relaxe peut factuellement contenir des attendus propres à justifier un appel. Ils influenceront de facto l'appréciation de la chambre nationale d'appel, surtout lorsqu'il s'agit d'appliquer l'article 31 du code de déontologie, "Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci", dont le commentaire donne des exemples clairs : "une intempérance notoire, une conduite en état d'ivresse, un délit de fuite, des abus de confiance ou la violation grave d'engagements contractuels, notamment s'il s'abstient systématiquement de régler ses dettes..." Or l'interprétation de cet article s'avère aujourd'hui de plus en plus extensive, quand par exemple un médecin exprime publiquement des opinions politiquement incorrectes ou non conformes à la doxa ordinale officielle, réagit vertement aux propos d'un politique, s'interroge sur les bienfaits de l'IVG ou de certaines vaccinations, sur la pertinence du mariage pour tous ou de la PMA pour les homosexuelles, etc. Cette liberté d'expression élémentaire l'expose aujourd'hui aux plaintes de groupes de pression d'autant plus vindicatifs qu'ils représentent peu de monde (quoique souvent subventionnés par la collectivité.) Certains délateurs plus soucieux de discrétion préfèreront parfois ne pas porter plainte, mais simplement faire savoir par des voies plus opaques, l'opinion "déviante" au conseil national. Comme celui-ci ne craint rien tant que de passer pour réactionnaire, il  résistera rarement à la tentation de porter lui-même plainte. Dans tous les cas l'accusé se retrouvera donc in fine devant le conseiller d'État présidant la chambre nationale d'appel, issu du même corps que le président de la première instance, et dans la salle même où siègea son accusateur et/ou celui qui aura fait appel de sa relaxe1… On constate donc qu'en cas d'affaires sensibles, idéologiques voire politiques, des fonctionnaires de l'ordre administratif peuvent adresser -par dessus les assesseurs élus- des signaux aux conseillers d'État qui sont en quelque sorte leurs supérieurs hiérarchiques. Enfin il faut savoir que le pouvoir des représentants de l'État sur l'application de la déontologie s'accroîtra encore en 2019. En effet cette année-là, en raison de la loi de régionalisation de 2016, les assesseurs des chambres disciplinaires de première instance seront renouvelés en totalité, et non plus partiellement. Le magistrat professionnel, qui lui n'aura pas changé, pourra donc orienter à sa guise l'organisation du travail des nouveaux élus. Occasion supplémentaire de faire peser sur la justice ordinale, la férule du pouvoir politique et l'influence des minorités agissantes.   (1) La Cour européenne des droits de l'Homme a jugé cette monstruosité juridique parfaitement normale, car à ses yeux l'inamovibilité des membres de la chambre nationale d'appel (conseillers nationaux qui siègent sous le même toit et déjeunent à la même cantine que les autres) exclurait toute dépendance hiérarchique ou pressions amicales sur eux…

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