Après plusieurs mois d’attente et de recherche, deux nouvelles concernant un vaccin efficace dans la prévention contre le Covid-19 ont fait sensation ces dernières semaines : le 9 novembre, c’est d’abord Pfizer qui a annoncé que son candidat vaccin était efficace à 90% selon des résultats de phase 3 préliminaires. Une semaine plus tard, Moderna a également présenté une efficacité de son vaccin à près de 95%. Mais ces bonnes nouvelles sur le plan de la recherche ont été accueillies avec une relative froideur, voire une grande défiance en France. 24% des Français interrogés suite à ces annonces par la Fondation Jean Jaurès affirment qu’ils n'accepteront probablement pas de se faire vacciner et 19% disent qu’ils ne le feront sûrement pas. Si l’on compare les chiffres à d'autres pays dans le monde, la France arrive dernière du classement. En effet, en Inde 87% de la population se dit prête à se faire vacciner, c’est aussi le cas de 85% de la population en Chine, 79% au Royaume-Uni, 69% en Allemagne, 65% en Italie, 65% aux États-Unis… Et seulement 54% en France. Rien d’étonnant à ces chiffres, la France est historiquement l'un des pays d’Europe, voire du monde, les plus sceptiques à l’égard de la couverture vaccinale. “Plus particulièrement, l’épisode de la grippe H1N1 aurait ainsi durablement mis à mal la relation entre les Français et les vaccins”, analyse la Fondation Jean Jaurès.
Pour comprendre cette défiance et ce scepticisme français, cette dernière a décidé, dans une grande étude, de dresser un profil sociologique de ceux que l’on qualifie communément d'“antivax”. Il apparaît d’abord que les jeunes générations sont les plus hostiles au vaccin, 52% d’entre eux ayant entre 25 et 34 ans. Les jeunes déclarent en effet avoir moins peur des conséquences sanitaires de l’épidémie ; ils ont donc moins d’intérêt à se faire vacciner. En revanche, le phénomène est inverse pour les populations plus âgées, comme le montre ce graphique :
Contrairement à la sociologie des anti-masques français également établie par la Fondation Jean Jaurès en septembre, la catégorie socio-professionnelle et le niveau d’éducation n’ont aucun impact sur le refus de vaccination. En revanche, le sexe a une grande importance. Une femme sur deux refusera tout vaccin, contre 35% chez les hommes. Elles sont également plus...
nombreuses à craindre des effets indésirables de l’injection et rester sceptique sur sa réelle efficacité. Pour compléter leur profil, la Fondation Jean Jaurès s’est intéressée à leur positionnement politique. Bien qu’aucun parti ne soit ouvertement anti-vaccination en France, contrairement au Mouvement 5 étoiles en Italie par exemple, l’étude révèle que les électeurs de Marine Le Pen, François Asselineau, Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan sont “beaucoup plus” antivax que les autres électeurs. De plus, 35% des antivax sont ouvertement contre le port du masque.
Défiance envers les institutions Dans son livre “La matière noire de la démocratie” publié en 2019, le chercheur Luc Rouban a par ailleurs montré que le populisme scientifique, le populisme politique “classique” et la défiance envers les principales institutions politiques et médiatiques du pays sont différents versants d’un même phénomène : les individus rejetant les institutions politiques classiques auraient également une forte probabilité d’être défiants envers les institutions scientifiques, en particulier chez les individus qui manifestent une sympathie pour les partis populistes de droite, explique la Fondation Jean Jaurès. Tout cela est également à rapprocher au manque de confiance à la fois dans les institutions politiques mais aussi dans les médias au profit des scientifiques, bien que leur image ait été écornée pendant la crise du Covid. La Fondation Jean Jaurès rappelle que 29% des Français déclarent avoir confiance dans les députés et dans les sénateurs, 36% dans la présidence de la République et 11% dans les partis politiques. Au contraire, pendant cette crise, de nombreux Français se sont identifiés à certains scientifiques, médecins, chercheurs. A l’heure actuelle, trois quarts des personnes interrogées ont déclaré avoir confiance en eux. “Plus ils vont se remettre à leur jugement et plus ils vont respecter les mesures sanitaires. Cela se traduit donc dans notre cas précis par le fait d’accepter de se faire vacciner”, explique l’étude. A noter cependant qu’entre le début de l’épidémie et le mois d’octobre 2020, la confiance des Français envers les scientifiques a baissé de plus de vingt points, notamment à cause de la remise en question de l’autorité scientifique et de la “mise en scène sur la place publique d’un dissensus, présenté comme profond, au sein de la communauté scientifique”. Le cas du Pr Raoult illustre notamment ce fait. “Alors qu’il apparaissait que tout ou presque de ce que le professeur marseillais avait pu dire ou prévoir se révélait faux, les invitations sur les plateaux télévisés continuaient à fleurir. Or, il faut rappeler à quel point le professeur Raoult a multiplié les...
charges envers le monde scientifique, n’hésitant pas à comparer le Conseil scientifique au maréchal Pétain”, rappelle la Fondation.
Influence des réseaux sociaux Enfin, les débats d'opinion se jouant sur les réseaux sociaux, c’est donc à cet endroit que circulent abondamment les thèses conspirationnistes en général, les thèses antivax en particulier. Dans une précédente étude, la Fondation Jean Jaurès montrait qu’à âge, niveau de diplôme, niveau d’éducation et confiance institutionnelle similaires, “plus une personne va s’informer sur Internet et les réseaux sociaux, plus elle va avoir tendance à adhérer aux différentes théories conspirationnistes". La principale ? “Le Gouvernement serait de mèche avec les laboratoires pharmaceutiques pour cacher la réalité sur la nocivité des vaccins”, crue par 43% des Français. Sur Youtube également, les chaînes antivax comptabilisent des millions d’abonnés. Récemment, le documentaire conspirationniste Hold-Up a été visionné plusieurs millions de fois en quelques jours seulement et relayé par de nombreux rassuristes ou leader Gilets jaunes. Enfin, on observe une proximité entre des groupes Facebook d’anti-masques et de “pro-Raoult” et le refus de se faire vacciner. “La proximité entre les groupes Facebook anti-masques s’étant développée à la fin de l’été et les anti-vaccins est également patente : 96% des membres de ces groupes Facebook déclaraient refuser de se faire vacciner contre la Covid-19 si un jour un vaccin était disponible”, explique l’auteur de l’étude.
Alors que la #vaccination contre la #Covid19 émerge comme un sujet clé pour les mois à venir, @A_Bristielle dresse le portrait des #antivax français et analyse les ressorts de cette défiance https://t.co/YlTPMboELf pic.twitter.com/AUxAanclVz
— Fondation Jean-Jaurès (@j_jaures) November 17, 2020
Comment convaincre ? Fort de cet état des lieux, l’étude de la Fondation Jean Jaurès livre des pistes pour “favoriser l’acceptation de la vaccination contre le Covid”. A commencer par le fait de rassurer les Français sur le bien-fondé de la politique sanitaire, l’étude rappelant qu’il peut être tout à fait légitime de douter d’un vaccin produit rapidement sans être antivax. Dans ce cas, le Gouvernement mais aussi les scientifiques, les laboratoires ont gros travail de pédagogie à faire, notamment en exposant une stratégie claire donnant l’impression d’anticiper plutôt que de subir, comme c’est le cas actuellement. En plus de cela, une campagne d’information expliquant les bénéfices de la vaccination devrait être mise en place.
Pédagogie mais aussi… fin du buzz. L’étude appelle certains médias, connus pour surfer sur la vague conspirationniste depuis le début de la crise, à ne pas “céder à la facilité” en donnant la parole à des individus “pourtant connus pour leur assertions ininterrompues de contre-verités”. En parallèle de cela, une régulation des messages postés sur les réseaux sociaux est indispensable. Enfin, impossible de convaincre les Français sans restaurer leur confiance dans les institutions, phénomène pourtant fermement enraciné dans le pays. Le travail est identique du côté des scientifiques, plaide l’étude. Il convient donc de valoriser la transparence sur leurs méthodes de travail. Beaucoup de personnes estiment en effet que leurs motivations, opaques, pourraient être contrôlées par des laboratoires ou des responsables politiques.
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