Clash entre médecins et patients sur Twitter, le buzz de trop

26/05/2016 Par Sandy Berrebi-Bonin
E-santé

Et si c'était la fin de l'insouciance et de la convivialité entre médecins et patients sur Twitter. Depuis trois jours l'"ArnicaGate" affole la Toile. A l'origine un simple tweet ironique de DocArnica sur les bienfaits du "sans gluten" et de l'homéopathie dans le traitement de la maladie de Lyme. Puis l'emballement. La levée de l'anonymat pour la praticienne, menacée de plainte à l'Ordre par une association de patients. Cette ancienne de Twitter supprime alors son compte, au grand désespoir de ses confrères Twittos. Un buzz qui pose des questions sur l'anonymat des médecins et sur la liberté d'expression.   "Je ne supporte plus les "sans gluten" "sans lactose" etc… #Dimanche confession". Une remarque sarcastique de DocArnica sur le traitement de la borréliose par de l'homéopathie et un régime sans gluten a provoqué un emballement médiatique qui l'a sûrement dépassée… A peine quelques heures après, la généraliste recevait un appel à son cabinet la menaçant d'une plainte à l'Ordre.  

  "Sur Twitter, les médecins se fichent de nous"   A l'origine de la plainte, une association de patients souffrants de la maladie de Lyme. Léna* est la patiente qui a appelé DocArnica a son cabinet. Comment est-elle parvenue à percer son anonymat ? Elle ne nous le dira pas. "J'ai été choquée de lire des messages comme ça. On a déjà du mal à faire confiance aux médecins. DocArnica avait l'air de ne pas croire aux malades de Lyme. Il y a un déni des médecins sur notre maladie. Je ne supporte plus de lire ça. Plutôt que de critiquer, qu'ils nous disent quoi faire. Nous avons des douleurs articulaires insoutenables. J'ai déjà pensé à en finir plein de fois. Ca n'est pas normal de souffrir comme ça", confie-t-elle. "Nous avons plusieurs associations, nous ne nous laisserons pas faire et nous allons porter plainte", prévient la patiente avant d'ajouter "Sur Twitter, les médecins se fichent de nous. Ils nous trouvent chiants parce qu'on souffre mais c'est parce qu'ils se sentent impuissants". Des propos que réfute catégoriquement le Dr Mathieu Calafiore qui a également eu une altercation avec...[ pagebreak ] cette patiente cachée sous le pseudo @la_verite_2016. Le compte a depuis été supprimé. "Les propos de DocArnica relevaient du sarcasme quant au traitement de la maladie par de l'homéopathie et un régime sans gluten. Si sur Twitter on ne peut plus tenir des propos scientifiques, autant ne pas être là. Il n'y avait absolument pas de négation de la maladie de Lyme. Le quotidien de cette personne doit être difficile à vivre, le tout c'est de dialoguer avec un respect mutuel", estime le généraliste.

"DocArnica est quelqu'un d'extraordinairement humain. Ils se sont attaqué à la mauvaise personne", regrette le Dr Calafiore. Depuis, une rupture entre patients et médecins s'est créée sur le réseau social qui permettait pourtant un dialogue simple et convivial entre malades et praticiens. Par crainte des trolls (compte malfaisants), les médecins twittos se sont mis à trier leurs abonnés.

  "Ça laisse un goût amer"   "Il ne faut pas perdre cet espace de communication qui permet le dialogue entre médecins et patients. Twitter permet de montrer aux patients que les médecins sont des gens comme tout le monde, qui doutent, se posent des questions, se remettent en question. Il n'y a pas de piédestal", commente Mathieu Calafiore.  

  "Je suis surpris par la rapidité des événements. Cette "shit storm" a explosé en moins de deux heures. Une seule personne a réussi à casser un lien de confiance qui s'était établi depuis longtemps. Beaucoup de confrères se sont mis en privé pour protéger leur compte", commente le Dr Christian Lehmann. "Ça laisse un goût amer", déplore-t-il.  

Peut-on tout dire sur Twitter ? Ironiser sur un patient ou un traitement peut-il être passible d'une plainte ? "Un médecin doit avoir conscience que...[ pagebreak ] quand il est sur un réseau social ouvert, il s'exprime sur la place publique. Les propos ont une résonnance  que l'on ne veut pas forcement donner", explique le Dr Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé, avant de poursuivre : "un médecin peut exprimer qu'un traitement est inadapté. Cela relève des données de la science. Le médecin a une liberté d'expression". "Dans cette affaire je comprends que l'association demande à être prise en considération mais le bashing des médecins sur Twitter n'est pas acceptable non plus", juge le Dr Lucas qui souhaite qu'il y ait "un dialogue entre les plaignants". Le vice-président de l'Ordre rappelle qu'un livre blanc de la déontologie médicale sur le web a été publié en 2011. Il devrait être bientôt réactualisé.   "Le moindre mot peut être déformé"   "Le fait de pouvoir tweeter de n'importe où fait que l'on oublie souvent que Twitter est un espace public, il faut faire attention à la manière dont les propos sont reçus et pouvoir assumer ses tweets", estime le Dr Lehmann. Mais dans le cas de DocArnica, le praticien avoue ne pas comprendre l'objet de la plainte. "Ca me semble totalement injustifié. Aucun patient n'a été nommé ni attaqué. Si à chaque fois qu'une personne se sent irritée ou choquée elle porte plainte devant l'Ordre des médecins ou la Ligue des droits de l'Homme, on ne s'en sort plus", s'agace le praticien. Mais l'anonymat est peut être aussi un confort à double tranchant. "Le fait de s'exprimer en son nom montre que l'on a intégré la notion d'espace public", analyse le Dr Lehmann. "Il y a probablement pour chacun d'entre nous une réflexion à avoir sur l'utilisation du pseudo. Se cacher derrière un pseudo peut amener à tweeter différemment et à croire que l'on est, d'une certaine manière, protégé". Un avis partagé par le Dr Jean-Jacques Fraslin, généraliste et twittos de longue date. "Parler en son nom propre fait que l'on fait un peu plus attention à ce que l'on dit. On a une autocensure", constate le généraliste. "D'autant qu'il y a de plus en plus de recherche de la polémique sur Twitter et que la discussion en 140 caractères n'est pas simple. Le moindre mot peut être déformé". "Certains, sous pseudo se sentent un peu plus protégés et se disent qu'ils peuvent aller un peu plus loin. C'est dommage que cette affaire tombe sur DocArnica, car ce n'est pas son cas. Elle est tombée dans un piège. Certains patients essaient de se payer des médecins. Son tweet était tout à fait anodin. J'ai parlé de cette histoire au CISS et eux même ont été surpris", commente le Dr Fraslin.   *son prénom a été modifié

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