Nitrates/nitrites : l’Anses confirme le risque de cancer colorectal

13/07/2022 Par Marielle Ammouche
Nutrition
Une expertise de l’Anses conclut qu’il faut réduire l’exposition de la population aux nitrates et nitrites. L’agence identifie plusieurs leviers en ce sens, tels que la diversification de la consommation de produits végétaux ou la réduction de l’utilisation d’additifs nitrités dans les charcuteries. En outre, il serait utile de posséder des doses journalières admissibles (DJA) communes aux composés nitrosés.

Les nitrates et nitrites sont des substances, qui existent dans la nature, mais aussi sous formes d’additifs alimentaires notamment dans la charcuterie. Ce qui fait que la population y est fortement exposée via l’alimentation. Or, leur nocivité est suspectée depuis longtemps. Ainsi, dès 2010, le Centre International de recherche sur le Cancer (Circ) a classé « probablement cancérogène pour l'Homme » les nitrates et les nitrites. Puis, en 2015, la viande transformée - et notamment la charcuterie – a été classée comme cancérogène. En 2017, l’European food safety authority (Efsa) en a limité l’utilisation, en établissant des doses journalières admissibles (DJA) pour les nitrates (3 ,7mg/ kg de poids corporel et par jour) et pour les nitrites (0,07 mg). 
Pour faire le point sur les données les plus récentes, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a réalisé une expertise sur ces risques liés à l’exposition aux nitrites et aux nitrates dans l’alimentation. Une des originalités de cet avis est, comme l’a souligné Matthieu Schuller, Directeur général délégué au pôle sciences pour l’expertise, d’avoir pris en compte, pour la première fois, ces 2 sources de composés nitrosés en même temps, et ainsi de s’intéresser à un possible « effet cocktail ». 
Cette expertise était rendue nécessaire par le fait que l’exposition au nitrates et nitrites est très importante, entrainant des questionnements de santé publique de la part des institutions publiques, comme de certaines associations de patients au premier rang desquelles la Ligue Nationale contre le Cancer qui milite depuis longtemps pour l’interdiction de ces substances. Ainsi, les nitrates sont naturellement présents dans les sols, avec une concentration qui « peut être renforcée par des activités agricoles, et dans les ressources en eaux » précise l’Anses. Ils peuvent s‘accumuler dans les végétaux, - en particulier les légumes feuilles comme les épinards ou la laitue – dont la consommation représente la principale source d’exposition pour l’Homme (2/3). Quant aux nitrites, on les retrouve surtout en tant qu’additifs alimentaires (E249, E250, E251, E252) pour leurs propriétés conservatrices et antimicrobiennes (permettant de lutter contre le risque de toxi-infection alimentaires lié à la salmonellose, la listériose ou encore au botulisme) dans la charcuterie et les viandes transformées. Ainsi, plus de la moitié de l’exposition aux nitrites provient de la consommation de charcuterie. Le problème réside dans le fait qu’une fois ingérés, les nitrites et les nitrates peuvent entrainer la formation de composés nitrosés, dont certains sont cancérogènes et génotoxiques pour l’être humain. Cette transformation commence dès la cavité buccale.
Sur le plan épidémiologique, l’Anses a analysé près de 200 publications parues depuis les dernières évaluations de l’Efsa (2017), et du Circ (2018). Ses conclusions sont sans appel concernant le cancer colorectal, le lien entre exposition aux nitrates et nitrites, via l’alimentation et l‘eau, étant bien confirmé. « Plus l’exposition à ces composés est élevée, plus le risque de cancer colorectal l’est également dans la population » souligne l’agence sanitaire. Elle confirme ainsi les travaux menés jusqu’à présent sur ce sujet, et en particulier les données du Circ. En revanche, si des associations positives avec d’autres cancers ont été identifiées, elles en restent au stade de « suspicions », en raison de l’insuffisance de données ou de résultats contradictoires. De nouvelles recherches sont donc nécessaires pour confirmer ou non ce lien. Pour une DJA globale
Dans les conclusions de son analyse, l’Anses juge « pertinentes » les doses journalières admissibles (DJA) établies par l’Efsa pour les nitrates d’une part et les nitrites d’autre part. Et elle ajoute qu’en France, toutes sources d’exposition confondues, près de 99 % de la population ne dépasse pas ces DJA :  pour les nitrates, moins de 1,5% des adultes et des enfants dépassent la DJA ; et pour les nitrites, moins de 0,4% des enfants dépassent la DJA et aucun adulte ne la dépasse.
Mais l’Anses souhaite aller plus loin et s’attaque à la co-exposition. Elle recommande ainsi de « mener une réflexion pour établir une valeur toxicologique de référence globale incluant nitrates et nitrites compte-tenu de leur transformation en composés nitrosés ». En outre, « alors que les limites d’expositions sont majoritairement respectées, les expositions sont néanmoins associées à la formation de composés augmentant la probabilité de cancers ».  Pour l’agence, il est donc nécessaire de « réduire l’exposition de la population à ces substances par des mesures volontaristes ». C’est pourquoi elle considère que l’ajout intentionnel des nitrites et des nitrates dans l’alimentation doit se faire dans une approche « aussi bas que raisonnablement possible ». Dans cette optique, elle recommande plusieurs mesures à mettre en œuvre. Il s’agit tout d’abord de réduire les additifs dans les charcuteries. Mais supprimer les nitrites sans mesures compensatoires, entrainerait une augmentation du risque infectieux, ainsi qu’une réduction de la conservation des produits. La baisse doit donc s’accompagner d’une maitrise du risque de contamination par d’autres moyens, qu’il faudra préciser et adapter à chaque catégorie de produits. « Par exemple, pour le jambon cuit, la réduction des nitrites pourrait s’accompagner du raccourcissement de la date limite de consommation. Pour le jambon sec, cela supposerait un contrôle strict du taux de sel et de la température au cours des étapes de salage, de repos et d’affinage du produit » détaille l’Anses. Avec à la clé, une nécessaire adaptation des industriels, mais aussi des consommateurs, puisque, par exemple, la durée de vie d’un jambon cuit pourrait passer à 1 semaine, contre environ 2 actuellement. « On peut réduire les nitrites dans toutes les catégories de produits mais la marge de manœuvre dépend de produit, ajoute Laurent Guillier, chef de projet scientifique Unité d’évaluation des risques liés à l’alimentation. C’est plus évident dans les jambons secs. En revanche, pour le saucisson sec, c’est plus difficile car il existe un risque de salmonellose. Les leviers sont assez compliqués à trouver. Il faudrait intervenir en amont sur la filière porcine ». Attention aux produits dits « zéro nitrite »
Mais attention, certains procédés de suppression des nitrites, utilisés par les industriels, ne sont pas efficaces. Laurent Guillier attire ainsi l’attention sur le fait que certains fabricants utilisent des extraits végétaux ou des bouillons de légumes comme substituts aux additifs nitrités. Or ils contiennent naturellement des nitrates qui, sous l’effet de bactéries, sont convertis en nitrites. « Ces produits dits « sans nitrite ajouté » ou “zéro nitrite” contiennent donc des nitrates et des nitrites cachés » dénonce l’Anses.  Par ailleurs, il faut aussi maîtriser la teneur en nitrates dans l’eau et les végétaux. L’Agence souligne ainsi « l’importance de poursuivre l’optimisation de certaines pratiques, comme l’épandage de fertilisants et d’effluents d’élevage, en les ajustant au mieux aux besoins des cultures ».  Enfin, à coté de ces mesures collectives, des actions individuelles jouant sur les consommations sont utiles. L’Anses rappelle ainsi certaines mesures préconisées dans le Programme national nutrition santé (PNNS), et en particulier le fait de limiter la consommation de charcuterie à 150 grammes par semaine. Or, en France, on en est loin. La consommation moyenne avoisine les 40 g/jour en France. Et la moitié de la population française dépasse les 25g/ j (ou 150 g par semaine). Et pour réduire l’apport de nitrates dans les végétaux, le PNNS recommande aussi d’avoir une alimentation variée et équilibrée, avec au moins cinq portions de fruits et légumes par jour d’origine différente.  Un plan gouvernemental
Après la publication de ce rapport, le gouvernement a annoncé qu’il suivrait les recommandations de l’Anses. Un plan d’actions coordonné sera ainsi mis en place « afin d’aboutir à la réduction ou la suppression de l’utilisation des additifs nitrés dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire et cela le plus rapidement possible ». Une première réunion « technique » devrait avoir lieu avant la fin du mois de juillet 2022, avant une présentation du plan d’actions au parlement à l’automne. Le gouvernement s’est par ailleurs engagé pour accroitre la recherche dans ce domaine.

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